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Énergie : Le solaire au Cambodge, enjeux et perspectives

Les enjeux liés au solaire sont multiples et multiformes au Cambodge : réduire la dépendance énergétique du pays, permettre l’accès à l’électricité pour des populations rurales défavorisées et rendre son coût plus accessible.

ferme solaire

Ferme solaire de Kampong Speu


Une stratégie pour les énergies renouvelables : optimiser l’énergie solaire

De par ses caractéristiques intrinsèques, l’énergie solaire pourrait répondre théoriquement à tous ces besoins et plus encore. Avec un ensoleillement important, d’une durée journalière longue et ce, tout au long de l’année, le Cambodge dispose d’un potentiel considérable, estimé par des experts à environ 8 000 MW, pour l’utilisation de cette énergie propre et abondante. Cependant, ce potentiel a été jusqu’alors largement sous-exploité.

La part du solaire et plus généralement des énergies renouvelables dans la production d’énergie au Cambodge est encore négligeable, seulement 0.46% du total produit et son utilisation dans les régions rurales reste anecdotique. L’usage du solaire auprès des particuliers ou des entreprises, qui aurait pu s’avérer très attractif en raison du coût élevé de l’électricité au Cambodge, est resté également limité faute de réglementations claires ou de mesures incitatives réelles. Les choses sont néanmoins en train de changer.

Sous l’impulsion des partenaires internationaux de développement tels que l’ADB, UNDP, la Banque Mondiale ou USAID, de nombreux programmes en faveur du développement du solaire au Cambodge ont permis récemment au Gouvernement de mettre en place une stratégie pour les énergies renouvelables. Des perspectives à reconsidérer donc pour le solaire au Cambodge.

Diversifier la production énergétique : priorité donnée aux fermes solaires

Dans le passé, accroître rapidement la production d’énergie tout en se diversifiant était la priorité du Gouvernement pour faire face à la croissance forte du pays et réduire sa dépendance aux importations. Le choix s’est porté non pas sur le solaire mais sur l’hydroélectricité dont la part est passée entre 2011 et 2018 de 5% à 48.5% de la production totale. Si les observateurs n’ont pas manqué d’alerter sur les risques possibles en terme d’impact environnemental, force est de constater que les objectifs ont été atteints en grande partie : la production totale d’énergie a atteint 2 650 MW en 2018 contre 579 MW en 2010. Une production désormais produite à 85% localement.

Il faut dire que si le solaire dispose d’avantages évidents, son utilisation pose également certaines contraintes majeures, à savoir un besoin en investissement important en amont et beaucoup d’espace pour produire une quantité importante d’énergie. Sa variabilité entraîne aussi des réticences de la part des autorités par rapport à la connexion des installations solaires au réseau électrique. Cependant, la baisse importante (-83%) du coût des composants et panneaux solaires ces dix dernières années et dont le prix devrait encore être divisé par deux d’ici 2050, a permis de rendre cette technologie plus attractive.

Les méthodes de financement ont également évolué : la mise en place de partenariats public-privés (PPP) préconisés par des programmes tels que le SREP (Scaling Up Renewable Energy Program) ou la mise en place d’appels d’offres vont permettre de maitriser davantage un risque financier encore important.

La première ferme solaire a ainsi vu le jour en 2017 à Bavet avec une capacité de 10 MW et un investissement de 12,5 millions de dollars USD, grâce à un prêt ADB de 9.2 millions à Sunseap Cambodia, d’origine singapourienne. Ce prêt est assorti d’un PPP de 20 ans avec Électricité du Cambodge (EDC).

Le tarif offert par Sunseap est de 0.091 USD par kWh, en-dessous du coût moyen de production d’EDC. La même année, Global Purify Power, une joint-venture d’investisseurs régionaux, a commencé son programme de trois fermes solaires à Kampong Speu, Takeo et Kampong Chhnang pour une capacité de 225 MW. L’investissement prévu est de 400 millions, sans PPP avec EDC. SchneiTec, un groupe sino-cambodgien, a également commencé le déploiement des panneaux pour la construction d’une ferme solaire d’une capacité de 60 MW à Kampong Speu qui devrait être finalisée fin 2019 pour un investissement de 58 millions.

Centrale solaire flottante

Centrale solaire flottante. Photographie Walden Floating PV (cc)


Enfin, EDC a, plus récemment lancé les appels d’offres pour la construction d’un parc solaire national de 100 MW, encore avec un financement de l’ADB dont la première phase de 30 MW verrait le jour en 2020.

L’objectif affiché pour le gouvernement est d’atteindre une capacité de 130 MW en 2020 et à plus long terme de permettre une contribution de l’énergie solaire à hauteur d’environ 10% de la production énergétique du pays. Un objectif encore prudent, justifié selon EDC par des risques d’instabilité du réseau, et qui ne prend pas forcément en compte les autres projets solaires, privés.

Donner l’accès à l’énergie pour les populations rurales : de nouvelles solutions à explorer

Une autre priorité du Gouvernement est de donner l’accès à l’électricité à tous les foyers et villages du pays : un objectif qui devrait être atteint prochainement. D’énormes progrès ont été faits à cet égard : il y a encore 10 ans, seulement 25% des foyers étaient électrifiés. Aujourd’hui, 87% des villages cambodgiens ont accès à l’électricité et 72% des foyers sont connectés directement au réseau.

Au Cambodge, le solaire photovoltaïque (PV) a fait son apparition dans les zones rurales dès 1997 mais c’est surtout à partir de 2010 que le Gouvernement inclut un volet solaire dans sa stratégie. Ainsi, le fonds d’électrification rural (REF) financé par la Banque Mondiale ou le programme de Microfinance verte de l’AFD ont permis de subventionner sur quatre provinces des milliers de systèmes solaires domestiques (SHS pour Solar Home Systems), en collaboration avec des organismes de microfinance. Cependant, l’expérience globale du solaire dans les campagnes est pour le moment non concluante : malgré la baisse du prix des composants et des SHS, l’impact attendu s’est heurté à des problèmes de qualité, au manque d’entretien et à un financement au final coûteux pour des systèmes basiques par nature.

La réglementation actuelle ne permet toujours pas de développer des mini réseaux PV (minigrid) autonomes ou connectés avec des solutions plus sophistiquées telles que des systèmes de stockage à haute capacité. En attendant de pouvoir connecter l’ensemble des foyers, il pourrait néanmoins y avoir des solutions innovantes grâce à la digitalisation en marche de l’économie.

Okra, une start-up basée au Cambodge et soutenue par des fonds de capital-risque a ainsi développé un logiciel de distribution avancé qui permet de connecter les panneaux solaires et batteries à des mini-réseaux électriques intelligents (smart microgrids). Ce système permet à n’importe quel foyer produisant de l’électricité avec des panneaux PV de le redistribuer à moindre coût aux autres foyers connectés à travers ce mini-réseau.

Une technologie révolutionnaire et à impact durable sur des populations rurales et vulnérables, mais qui reste encore au stade expérimental au Cambodge… en attendant une réglementation plus clémente.

panneaux solaires

Panneaux solaires individuels à Siem Reap. Photographie Karl Baron (cc)


Diminuer le coût de l’énergie pour booster la productivité : encore des efforts à faire sur la réglementation

Le coût de l’électricité est prohibitif au Cambodge, variant entre 9.5 et 18.25 cts le kW selon le type de consommateurs et les conditions d’usage, ce qui pèse sur la compétitivité du pays.

À la recherche de solutions plus économes et autonomes, certaines entreprises et institutions ont décidé de franchir le pas et se sont équipées d’installations solaires sur toitures (rooftop panel), non connectées au réseau, profitant ainsi de la baisse importante des coûts des composants. On peut par exemple citer Coca-Cola ou ISPP pour les projets les plus importants.

Cependant, le développement du solaire au niveau industriel et commercial est resté limité faute de solutions financières adaptées proposées par les banques mais aussi en raison d’une réglementation très restrictive. En effet, l’absence de mesures telles que la facturation nette (net-metering) ou le tarif de rachat (feed-in tariff) ne permet pas aujourd’hui au consommateur de stocker ni de vendre son surplus d’énergie. La majorité des composants solaires ne bénéficie toujours pas d’exemption de TVA, ni d’exemption de droits de douanes (+35%) contrairement à d’autres produits « verts », ce qui limite la marge de manœuvre des entreprises présentes dans le secteur.

Une politique fiscale adaptée sur le solaire permettrait de rendre un plus grand nombre de projets viables. Une première étape a néanmoins été franchie avec la mise en place de la première réglementation sur le solaire en janvier 2018 visant à clarifier les conditions d’installation et d’utilisation des panneaux solaires photovoltaïques. Trois points essentiels à retenir :

  1. il est désormais officiellement autorisé d’utiliser des panneaux PV pour son propre usage sans demande d’autorisation préalable, ceci à la condition que ces panneaux ne soient pas connectés au réseau ;

  2. les gros et très gros utilisateurs ont maintenant le droit d’être connectés au réseau et se verront appliquer un tarif en deux parties : par rapport à la puissance transmise (charge) et par rapport au prix à la consommation, qui dépendra de leur connexion et de leur voltage ;

  3. toute électricité produite par des systèmes PV connectés au réseau doit être vendue uniquement à Électricité du Cambodge par le biais d’un contrat d’achat d’électricité (ceci s’applique pour les fermes solaires et non pas pour les particuliers).

C’est un progrès mais encore insuffisant. Le changement de tarif par exemple bénéficie effectivement à certains types de consommateurs (les très gros utilisateurs opérant durant de longues heures dans la journée, de façon régulière et propriétaires de leurs murs) mais désavantage les autres consommateurs.

Une règlementation élargie bénéficierait pourtant également au Gouvernement mais il semble exclu de voir la mise en place d’un tarif de rachat, même dans un futur lointain. En revanche, la facturation nette pourrait éventuellement voir le jour.

Comme le souligne Cécile Dahomé, co-fondatrice de Sévéa Consulting et spécialiste dans le domaine de l’énergie, « le solaire est un marché compliqué, pas uniquement au Cambodge mais partout dans le monde. Il y a forcément une résistance de la part des services publics à autoriser la connexion au réseau pour les utilisateurs de panneaux PV pour des soucis de gestion, de variabilité du solaire, de qualité d’équipement et de stabilité du réseau. Cette évolution peut prendre du temps. En revanche, il existe quand même un énorme potentiel à venir pour les investisseurs. Les installations sur toitures, qui sont souvent assortis d’un financement initial (en leasing) par l’installateur, peuvent être très intéressantes financièrement aussi bien pour l’installateur (investisseur) que le bénéficiaire, surtout qu’il est possible maintenant d’être connecté au réseau. »

D’autres pistes sont aussi intéressantes à explorer, comme l’installation récente d’une ferme solaire composée pour un tiers de panneaux flottants pour Chip Mong Cement d’une capacité totale de 9.7 MW : une première mondiale et une innovation qui permet d’optimiser au mieux l’espace existant.

De nouvelles perspectives

Aujourd’hui, la priorité a été donnée uniquement au développement du solaire connecté au réseau : à grande échelle avec les fermes solaires mais aussi pour les installations sur toitures en autorisant les gros consommateurs à être connectés.

En revanche, tout ce qui est hors réseau (mini-réseaux PV et SHS) a été mis de côté. Or, la mise en place d’une vraie politique de développement de ces mini-réseaux serait essentielle pour un accès étendu et abordable à l’électricité dans les campagnes. Les récents développements montrent pourtant l’intérêt grandissant pour le solaire aussi bien pour les investisseurs que pour le Gouvernement, et ceci au vu des annonces qui se multiplient dans les journaux cambodgiens, annonçant des projets de plus en plus ambitieux ou des collaborations futures à l’international.

On estime ainsi le potentiel des investissements dans l’ensemble des sous-secteurs mentionnés à environ 900 millions de dollars USD pour une production énergétique possible d’environ 750 MW à l’horizon de 2030. Il y a d’ailleurs peut-être urgence à reconsidérer sur le long terme la politique énergétique du Cambodge. La pénurie d’électricité sans précédent auquel fait face actuellement le pays en raison de la sécheresse renvoie à la réalité d’un changement climatique qui impacte durement non seulement les populations rurales mais aussi les entreprises, et en particulier les PME plus fragiles.

Les solutions existent bel et bien, elles peuvent être assez rapides à déployer et il existe désormais une conjonction plus favorable pour développer le solaire. Récemment, pour pallier la pénurie d’électricité liée à la sécheresse, le conseil des ministres a annoncé la création de deux nouvelles centrales de 60 mégawatts dans la province de Pursat et dans celle de Kampong Chhnang. Il n’est pas exclu que le secteur du solaire puisse se développer rapidement. Portée par une volonté politique et opportuniste, l’énergie solaire pourrait enfin prendre l’essor qu’elle mérite.

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