L’entrepreneur et actuel président de la Chambre de Commerce France Cambodge participait récemment à la Rencontre des entrepreneurs francophones à Québec. Un événement stratégique et une rencontre fructueuse à l’issue duquel le Franco-Cambodgien tient à réaffirmer comment le Cambodge peut et doit devenir la porte d’entrée des investisseurs francophones en ASEAN.
Entretien
Vous avez participé à la 3ème édition de la Rencontre des entrepreneurs francophones à Québec. Pouvez-vous nous parler de cet événement en quelques mots et nous expliquer comment vous êtes parvenu à y inclure le Cambodge ?
Cet événement est en réalité le troisième du nom, puisque deux premières éditions ont été organisées en France puis en Côte d’Ivoire.
De fait c’est l’édition de 2021 organisée par le MEDEF à Paris qui aura initié ce mouvement de rassemblement des acteurs privés de la francophonie économique, cela s’est concrétisé l’an dernier par le lancement officiel de l’Alliance des Patronats Francophones (APF) qui vise à accélérer et à pérenniser les échanges et partenariats commerciaux entre les pays francophones.
Cette Alliance regroupe 27 organisations patronales francophones issues des 5 continents, je représente le Cambodge en son sein en tant que président de la CCI France Cambodge, mais il faut souligner que pour le moment le Cambodge n’est que membre observateur. À terme il est logique que la CCIFC s’efface au profit de la Chambre de Commerce Cambodgienne (CCC), la plus grande association d’affaires du Royaume.
« Je suis en discussion avec ses dirigeants pour que la CCC rejoigne officiellement l’Alliance et que le Cambodge devienne ainsi un membre à part entière. »
C’est dans cette continuité que j’ai été invité à participer à la REF 2023. Par ailleurs en tant que PDG de Confluences j’ai été sollicité en tant qu’intervenant sur un panel de discussion sur les opportunités d’affaires dans la francophonie. Le Cambodge et ses succès économiques sont observés avec intérêt au sein de l’espace francophone, et ce que nous avons construit avec Confluences en termes d’accompagnement en entrée et développement de marchés a aussi fait l’objet de nombreuses sollicitations.
Étiez-vous le seul représentant de l’Asie « francophone » ?
Non, le Laos était aussi représenté par Mme Duangmala Phummavong qui est bien connue des intérêts français et francophones dans ce pays voisin. Le Vietnam en revanche n’était pas représenté. Il faut dire que le trajet est long pour nous autres. J’espère que nous serons plus nombreux pour la prochaine REF organisée au Maroc, en tout cas que nous aurons une délégation cambodgienne complète.
Quels étaient les participants majeurs et le ou les thèmes principaux de cet événement ?
L’APF est une fédération de patronats, nos hôtes du Conseil du Patronat Québécois étaient en grand nombre et aussi bien sûr les représentants du MEDEF français - mais le plus impressionnant reste la mobilisation des patronats africains, ils étaient les plus nombreux, et constituent un grand vivier d’entreprises et d’entrepreneurs.
À noter aussi que le pays hôte, à savoir le Québec et le Canada dans toutes ses composantes francophones était aussi très présent par le biais de ses différentes institutions. Parmi les personnalités présentes, nous avons même eu l’honneur de rencontrer le chef Ghislain Picard, chef de l’assemblée des premières nations du Québec et Labrador.
La principale thématique porte sur le devenir de cette francophonie économique, qui est de fait une vieille idée et qui trouve enfin son articulation par le biais de l’APF. On l’a vu au Cambodge l’an dernier lorsque nous avons accueilli une mission économique et commerciale organisée par l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), les entreprises répondent présentes, mais il faut désormais aller au-delà des simples rencontres et créer de véritables courants d’affaires sur la durée.
« La difficulté est que la francophonie est un très grand espace, mais non rassemblé géographiquement, les trois pays asiatiques de la francophonie (Cambodge, Laos et Vietnam) sont par exemple très éloignés des autres pays francophones, il est donc important que ce type d’événements se multiplie pour des liens puissent se créer et se forger. »
Au-delà, je dirais que la plupart des thématiques porteuses de ce type de grands forums économiques ont été abordées, de l’innovation technologique au changement climatique, en passant par la transformation énergétique ou encore l’immigration ou les infrastructures. Certaines sont plus ou moins adaptées ou porteuses selon les pays concernés - c’est un des défis de ce type de sommets, trouver des sujets qui intéressent des participants au profil très variés.
Quelles sont les finalités de ce type de rencontre, comment se déroulent-elles, quelles sont les attentes concrètes ?
La REF s’est déroulée sur trois jours avec à la fois de grands forums, des ateliers thématiques en plus petit format et bien sûr en off des rencontres B2B pour les uns et les autres. Plusieurs visites d’entreprises ont aussi été organisées en amont d’un forum qui aura été très riche et intense, nous n’avons pas chômé.
Les attentes sont réelles, mais le mouvement est encore jeune, ce qui est à retenir c’est que plus de 800 chefs d’entreprises d’une trentaine de pays différents ont fait le déplacement - et pas un petit déplacement - pour trois de jours de rencontres et de travail en commun. Je sais que plusieurs ententes commerciales ont été conclues lors de cette REF, pour ma part je le vois plus comme une opportunité de se connaître et surtout de faire connaître le Cambodge à toutes ces personnes et entreprises. Si nous étions 800 au Québec, nul doute que nous serons encore plus nombreux à la prochaine édition qui se tiendra au Maroc.
Pensez-vous que cette rencontre symbolise un certain dynamisme francophone dans les affaires à l’étranger ou que la situation est encore très perfectible ? Globalement, et au Cambodge ?
Le dynamisme est réel, un dynamisme qui est marqué tant par le nombre des participants au forum que par la qualité des institutions et surtout des entreprises présentes mais évidemment il y a encore beaucoup de travail à faire avant que la francophonie économique devienne une réalité tangible au-delà des bonnes intentions.
« Quant au Cambodge, la francophonie a longtemps été vue comme un combat d’arrière-garde, mais je pense qu’au contraire son avenir au Cambodge est prometteur avec l’arrivée aux responsabilités d’une nouvelle génération de dirigeants pour beaucoup formés dans des pays francophones, dont une grande majorité en France.»
Pour le moment nous n’avons identifié que peu d’entrepreneurs cambodgiens francophones, mais ils existent, et il nous faut les mobiliser dans le cadre de la participation du Cambodge aux activités de l’APF et de la francophonie économique.
Pensez-vous que cet événement puisse avoir lieu un jour dans le Royaume ?
Bien sûr et c’est même un objectif concret. La REF a été organisée en Europe, en Afrique noire, en Amérique du Nord et l’an prochain au Maghreb, il est donc logique que l’Asie puisse l’accueillir à son tour. Le Cambodge fait figure de candidat naturel, le pays a déjà accueilli des événements majeurs de la francophonie, je pense notamment au Sommet des mairies francophones en 2019, mais au-delà les récents succès dans l’organisation des sommets ASEAN ou encore des jeux SEA prouvent la capacité du Royaume à organiser ce type d’événements.
Accueillir plusieurs centaines d’entreprises, mais aussi d’institutions publiques liées à l’internationalisation des entreprises représenterait une opportunité unique de faire connaître notre pays et son marché - à mon sens le Cambodge peut et doit devenir la porte d’entrée des investisseurs francophones en ASEAN. Il est donc important que nous mobilisions rapidement tous les acteurs de notre écosystème dans ce projet de REF Cambodge 2025. La présidence de l’APF est informée de notre volonté, il nous reste à nous porter officiellement candidat.
On dit souvent que la « francophonie d’affaires » est dynamique au Cambodge, vous semblez bien plus optimiste en soulignant un potentiel de développement de la Francophonie qui va au-delà du contexte économique
Je dirais le contraire, la francophonie est très présente dans le pays - dans les milieux gouvernementaux bien sûr, mais aussi dans les secteurs légaux, médicaux, culturels ou encore la société civile et les ONG. C’est au contraire au sein des entreprises qu’il y a encore du travail à faire. Les entreprises françaises sont très présentes, mais en réalité nous ne connaissons que peu de chefs d’entreprises cambodgiens francophones - ils existent, mais nous ne les connaissons pas tous, et je pense aussi que nous avons besoin de temps. Pour le moment les élites cambodgiennes francophones se concentrent pour beaucoup sur les carrières au sein des différents ministères, mais je sais que nombreux sont aussi ceux à se lancer dans les affaires. Il nous revient de les identifier et de les intégrer dans nos actions.
Dans ce cas, quels seraient les encouragements que vous souhaiteriez prononcer pour que la francophonie aille encore plus loin, au-delà des affaires, d’un héritage historique et d’une coopération assez poussée entre la France et le Cambodge ?
La relation entre la France et le Cambodge est unique et il nous faut la préserver et la développer dans toutes ses composantes. C’est important, mais la francophonie ne se limite pas à la France - il est donc important que le Cambodge soit représenté parmi toutes les actions de la francophonie, que ce soit politique, culturelle ou encore économique. Un des points cruciaux à mon avis est l’éducation, il faut continuer à encourager les jeunes cambodgiens à se former en et au français, cela passe par la coopération française bien sûr, et la France fait beaucoup dans ce domaine, mais je ne doute pas que nous puissions faire mieux avec les autres grands pays de la francophonie (Québec, Belgique, Suisse, etc.) et aussi ceux des pays francophones du Sud, nous pourrions envisager plus d’échanges d’étudiants aussi. Le Cambodge a tout à gagner à cela, en développant des relations avec des pays avec lesquels nous avons beaucoup en commun et avec lesquels nous pouvons travailler de concert sur plusieurs projets.
« Vous me parlez d’histoire, c’est symbolique, mais à noter : à Québec plusieurs personnes originaires de pays africains m’ont abordé pour me parler du Roi Norodom Sihanouk, cofondateur du mouvement des non-alignés. Le Cambodge est un petit pays, mais qui bénéficie d’un grand capital sympathie parmi les pays de la francophonie. »
On cite, en parlant de francophonie, beaucoup la France, mais beaucoup moins la Belgique, la Suisse, le Canada… votre impression ?
C’est une impression extérieure, car de l’intérieur tous sont présents et actifs. L’APF a par exemple été initié par le MEDEF et le président actuel du MEDEF M. Geoffroy Roux de Bézieux est aussi celui de l’APF, mais tous les pays sont représentés et chaque voix compte, je peux en témoigner ayant siégé à la dernière assemblée générale de l’Alliance.
Si vous regardez notre situation au Cambodge, la France est certes très présente, mais la coopération belge notamment universitaire est aussi très active.
Au niveau des chambres étrangères, la CCI n’est pas la seule chambre francophone, puisqu’il existe une chambre Benelux, et que les Québécois tiennent la chambre canadienne. Je l’ai souligné lors de mon intervention à la REF, il est intéressant de noter que deux des principales banques cambodgiennes ont un lien direct avec le Québec, ce n’est pas anecdotique. La francophonie au Cambodge comme ailleurs ne se limite pas à la France.
Parlez-nous un peu de la CCI, êtes-vous partant pour un 3e mandat ou pensez-vous passer la main, si oui, pour quelles raisons ?
Je ne ferai pas de troisième mandat, cela a été annoncé et nous avons même voté à notre dernière Assemblée générale l’impossibilité pour un président d’effectuer plus de deux mandats de suite. Une manière de m’empêcher de changer d’avis au dernier moment. Ma décision porte sur une réflexion personnelle, j’ai servi la CCI deux mandats en tant que vice-président et bientôt deux en tant que président, cela fera donc huit ans en tout. C’est long, comme toute association une chambre n’appartient à personne et il est important d’en renouveler régulièrement l’encadrement.
Lors de mon élection puis de ma réélection, j’ai été accompagné par une équipe solide qui nous a permis d’impulser des changements nécessaires pour renouveler la chambre, et nous en sommes récompensés aujourd’hui, la CCIFC n’a jamais compté autant de membres.
« Il est temps aujourd’hui de passer le flambeau, une partie de notre équipe actuelle restera certainement impliquée, et au-delà nous devons accueillir une nouvelle génération d’entrepreneurs et de cadres. »
Notre communauté d’affaires compte de nombreux talents, je ne doute pas que nous trouverons des personnalités qui sauront à la fois continuer ce qui a été fait et réussi, et apporter à leur tour un vent nouveau à la chambre.
Pour ma part j’ai une société et même aujourd’hui des sociétés à faire tourner et je ne manque pas de projets pour m’occuper. La REF au Cambodge et notre engagement au sein de la francophonie économique en font partie je serai bien sûr toujours à la CCIFC et la communauté sait qu’elle peut compter sur mon engagement quoiqu’il arrive.
En quelques mots, les difficultés et satisfactions de vos deux mandats ?
Je vous propose d’en parler dans quelques mois lorsqu’il sera véritablement temps de tourner la page. Pour le moment nous avons encore de nombreux événements et actions à mener jusqu’à la fin de notre mandat. Et je donne déjà rendez-vous à notre communauté le 14 juillet pour une série d’événements qui s’annoncent très festifs.
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