Les étudiants cambodgiens se plaignent d’apprendre moins, tandis que les parents s’efforcent de fournir des téléphones et un accès à Internet pour soutenir l’enseignement en ligne, alors que les écoles restent fermées dans les zones rurales.
SIEM REAP — Alors que le COVID-19 demeure une menace sérieuse dans tout le Cambodge, les actions du gouvernement suggèrent qu’il n’est pas totalement confiant dans la réouverture des écoles dans tout le pays, malgré les taux élevés de vaccination.
Les élèves continuent donc de languir avec des cours en ligne dont l’efficacité a été régulièrement discutée au Cambodge, mais le ministère de l’Éducation continue de promouvoir l’enseignement à distance, sans tenir compte des inévitables charges financières qu’il fait peser sur les familles rurales.
En raison du coût des smartphones supplémentaires, de la connexion à Internet et des autres frais associés, de plus en plus de ménages — notamment les familles rurales et défavorisées — se sont endettés pour financer l’éducation numérique de leurs enfants tout au long de la pandémie.
Se préparant à griller des grenouilles pour le déjeuner dans sa cuisine, Mai Sangam déclare : « Je collecte ceci et je vends cela. Je vends tout ce qui peut être vendu. Je vends tout, des grenouilles aux poulets en passant par les canards ».
Mai Sangam, 57 ans, habite le village de Boeung, dans la commune de Krabei Riel, dans la province de Siem Reap. Elle confie avoir utilisé ses maigres économies pour acheter un smartphone d’occasion pour 50 dollars afin que sa plus jeune fille, qui est en huitième année, puisse étudier en ligne. Auparavant, sa fille devait se rendre chez ses camarades de classe pour étudier en raison de l’absence d’accès à Internet à la maison.
« Cet achat est également une charge, mais je ne savais pas quoi faire si on exigeait que tout le monde ait un téléphone, cependant, ce n’est pas grave si je n’en ai pas »
Avec un sourire ridé, Sangam raconte qu’elle a dû économiser de l’argent pendant deux mois pour un téléphone qui coûte 200 000 riels, soit 50 dollars.
La plus jeune fille de Sangam, Diao Socheat, une étudiante de 16 ans à l’école secondaire Krabei Riel, explique que le téléphone que sa mère vient de lui acheter l’a aidée dans son travail scolaire. Cependant, le téléphone ne fonctionne pas correctement, car il n’est pas neuf et les batteries s’épuisent rapidement.
« Avant, je n’avais pas de téléphone, alors je prenais des cours en ligne chez mon ami », confie Socheat.
« Quand je devais envoyer des documents à mon professeur, je devais demander à mon ami de le faire pour moi. C’était difficile »
Socheat est préoccupée par son éducation, car elle estime qu’elle n’apprend pas grand-chose en utilisant un vieux téléphone qui tombe souvent en panne.
Pendant ce temps, Norn You Er, une élève de 14 ans de l’école secondaire Krabei Riel, vient d’acquérir un nouveau smartphone offert par sa tante. Sa tante lui a offert le téléphone au prix de 129 dollars, car les parents de You Er ne pouvaient pas se le permettre.
« Je n’ai pas demandé à ma mère d’acheter le téléphone pour moi, car elle doit rembourser un emprunt à la banque ACLEDA », explique You Er. « Je n’ai pas osé demander à ma mère parce que nos revenus sont faibles. Voyant que je n’avais pas de téléphone pour suivre des cours en ligne, ma tante m’en a acheté un. J’ai reçu le téléphone il y a environ un mois. »
Assumer les coûts
Norn Nga, 50 ans, la mère de You Er, confie qu’elle a deux enfants qui doivent suivre des cours en ligne. Elle doit payer au moins 10 000 riels, soit 2,50 dollars, pour recharger leurs téléphones chaque semaine.
« C’est un fardeau, je dois payer 5 000 riels pour recharger un téléphone pour la semaine, mais j’ai deux enfants, alors je paie 10 000 riels.
Norn Nga, maraîchère, confie aussi que la situation actuelle de sa famille est difficile.
“Je n’avais pas d’argent pour acheter le téléphone de You Er”, dit-elle. “Je dois diviser la petite somme d’argent que j’ai gagnée pour payer la dette bancaire et les dépenses quotidiennes. Je dois payer 175 dollars par mois à la banque. Je dois 8 000 dollars à la banque, mais avec le principal et les intérêts combinés, je dois payer 12 665 dollars en six ans. Je n’ai payé que pendant deux ans”.
Man Mao, 52 ans, habitant du village de Kork Tnaot dans la commune de Kork Chak, a aussi des difficultés à payer les factures de téléphone de ses enfants maintenant qu’ils étudient tous les deux en ligne. Il paie 10 dollars par mois pour les données mobiles alors que sa fille prépare son baccalauréat et que son fils est en classe de première.
Il a dépensé plus de 300 dollars de ses économies, qu’il avait gagnées dans le bâtiment il y a quelque temps, pour acheter des téléphones à ses deux enfants,
“J’ai acheté les téléphones il y a trois mois, en utilisant les économies réalisées sur mon salaire. Être à court d’argent ne pose pas de problème tant que mes enfants peuvent étudier. Le Nokia 1280 me convient parfaitement”
De même, Song Savann, qui vit dans le village de Trapeang Ses, dans la commune de Kork Chak, est confrontée aux mêmes difficultés et affirme avoir du mal à faire face aux dépenses quotidiennes liées aux études en ligne de sa fille. Comme d’autres parents, Savann indique que les dépenses quotidiennes les plus importantes concernent les cartes téléphoniques de recharge qui coûtent de 1 à 1,25 dollar par semaine.
Cependant, Savann n’a pas eu l’argent nécessaire pour acheter le téléphone qu’utilise sa fille. C’est pourquoi elle le paye par mensualités.
Bien qu’elle n’ait pas suivi l’école lorsqu’elle était jeune, Savann espère offrir une éducation supérieure à son enfant afin que celle-ci puisse trouver un meilleur emploi à l’avenir et ne vive pas dans un milieu défavorisé comme elle et son mari.
L’inefficacité de l’apprentissage en ligne
Ro Krima, 24 ans, se plaint de devoir passer plusieurs heures par jour avec son jeune fils pendant qu’il étudie en ligne. Elle raconte qu’elle doit passer quatre heures par jour le matin du lundi au vendredi à aider son fils, car ses cours se déroulent en ligne.
“C’est difficile quand je dois rester en permanence avec mon fils. Je ne peux pas faire autre chose », dit-elle.”
“Si j’ose le laisser seul, il va tout de suite aller sur YouTube. De plus, certains enfants font plus de bêtises dans les cours en ligne, ce qui perturbe les leçons. Je sais que l’école organise convenablement chaque classe, mais les enseignants ne peuvent pas s’occuper correctement des enfants.”
Tout au long de la pandémie, les étudiants, les parents et les éducateurs ont prévenu que l’efficacité de l’apprentissage numérique s’avérait bien moins probante que les cours en classe.
Sary Vannita, 32 ans, dont le fils est en 2e année, affirme que l’apprentissage en ligne a rendu son fils moins attentif et note qu’elle doit aider son enfant à rester concentré pendant les leçons. Elle remarque que son fils a des problèmes en mathématiques, car cette matière nécessite des explications précises de la part de l’enseignant.
Song Savann estime aussi que l’apprentissage à l’école est plus efficace. ‘La façon la plus performante pour apprendre est l’école. Là, ma fille peut bien étudier, mais même moi, je peux voir que les performances de ma fille ont baissé depuis qu’elle a dû passer aux cours en ligne’, dit-elle.
Sun Sunny, la fille de Savann, confie qu’elle ne peut pas se concentrer autant dans les cours en ligne.
‘Apprendre en ligne n’est pas facile. Souvent, Internet n’est pas disponible, ce qui interrompt mon interaction avec le professeur’
Diao Socheat fait écho aux propos de Sunny, affirmant que l’apprentissage en ligne se révèle plus difficile que l’apprentissage à l’école.
« Je n’arrive pas à rattraper les leçons et je dois tout le temps demander de l’aide à mes amis. De plus, les enseignants mettent plus de temps à consulter les documents que je leur envoie. Cela prend généralement deux à trois jours parce qu’ils sont occupés », explique Socheat.
L’UNICEF a précédemment annoncé que les fermetures prolongées d’écoles causaient de nombreux problèmes aux enfants, avec des taux d’abandon scolaire plus élevés et un taux d’assiduité plus faible pour environ trois millions d’élèves cambodgiens.
Rouvrir les écoles pour l’avenir du pays
Fin août, le Premier ministre Hun Sen a annoncé la possibilité de rouvrir les écoles à condition que des précautions COVID-19 soient mises en œuvre pour protéger les élèves et les enseignants, mais à ce jour, seules 2 641 écoles secondaires ont rouvert, principalement dans les zones urbaines,
Diao Socheat explique : ‘J’ai hâte de retourner à l’école, mais j’ai aussi peur du COVID-19. Je dois préparer des sprays alcoolisés, des désinfectants pour les mains et des masques de protection.’
Les élèves comme les parents nourrissent toujours des inquiétudes quant au retour à l’école, mais la désillusion croissante vis-à-vis des cours en ligne et la perte de près de deux années scolaires complètes à cause de la pandémie incitent à un optimisme prudent.
« Je suis heureux que les écoles soient autorisées à ouvrir », affirme l’étudiant Norn You Er. « Cependant, je crains le COVID-19. De toute façon, je peux me protéger en portant des masques de protection et en me lavant toujours les mains au savon.»
Ro Krima, la mère de 24 ans, affirme :
« A 70 %, je suis favorable à la réouverture des écoles, mais pour 30 %, j’ai peur que les enfants puissent attraper le virus. Mais si les écoles sont toujours fermées, les enfants ne pourront pas recevoir une éducation suffisante »
Pour Norn Nga et d’autres parents, les préoccupations sont similaires. ‘J’ai peur pour la sécurité de mes enfants, car le nombre de cas de COVID-19 augmente’, dit-elle. ‘Je suis heureuse quand mes enfants peuvent rester à la maison avec moi pendant cette période d’épidémie’.
Ly Bunna, Directeur du département provincial de l’éducation, de la jeunesse et des sports de Siem Reap, dit comprendre les difficultés rencontrées par les élèves et les parents dans les cours en ligne.
‘Le problème de l’apprentissage en ligne est inévitable. Certains élèves peuvent bien apprendre, d’autres non’, dit-il. ‘Par conséquent, les parents ou les amis doivent aider à fournir un soutien supplémentaire, comme l’apprentissage en groupe. Et l’absence de service Internet rend l’apprentissage plus difficile.’
Ly Bunna ajoute que la fermeture de l’école a affecté les élèves. Les récentes flambées de COVID-19 dans la province de Siem Reap ont rendu l’étude encore plus difficile pour les étudiants, dit-il, mais il nie que les coûts élevés associés aux smartphones et aux données mobiles soient un problème.
‘Nous ne pouvons pas dire que le manque de services Internet est à l’origine de l’abandon scolaire, car une enquête sur cette question n’a pas été menée dans toutes les régions du Cambodge’, estime Bunna.
« Certains élèves ne bénéficient pas d’un apprentissage en ligne, ils ne reçoivent donc peut-être pas une éducation suffisante. Et dire que plus d’élèves abandonnent l’école n’est pas correct »
Les affirmations de Bunna ne correspondent toutefois pas à la réalité sur le terrain pour de nombreux ménages de la province de Siem Reap et au-delà. La réticence du gouvernement à rouvrir les écoles a été critiquée par l’UNICEF, qui a publié une déclaration le 13 septembre 2021 demandant la réouverture des écoles dès que possible.
L’UNICEF soutient fermement la décision du gouvernement royal du Cambodge de rouvrir les écoles à ce moment et a cité l’exemple de la réouverture des écoles en septembre 2020 sans aucune infection, ajoutant que les écoles ne sont pas le principal moteur de la contagion dans les communautés et présente plus d’avantages pour les enfants que de risques pour la santé publique.
En outre, le coût de la non-réouverture des écoles sera élevé, avec moins d’élèves retournant dans les salles de classe, une moindre estime de soi chez ceux qui reviennent et un taux plus élevé d’élèves qui finissent par travailler au lieu d’étudier pour soutenir leur famille, avertit l’UNICEF :
« Chaque jour de retard fait grandir ces obstacles »
La province de Siem Reap n’a pas encore rouvert ses écoles en raison de la menace persistante du COVID-19, mais les parents interrogés par Cambodianess ont tous déclaré qu’ils seraient prêts à tout sacrifier pour donner à leurs enfants une chance d’avoir un avenir meilleur, notant que l’éducation reste la clé de l’avenir.
Man Mao, un habitant du village de Kork Tnaot, confie : ‘Dans une zone rurale comme ici, nous nous battons beaucoup pour assurer l’éducation de nos enfants jusqu’à ce qu’ils puissent terminer leur scolarité. Notre pays ne restera pas immobile et doit aller de l’avant. »
Isa Rohany et Teng Yalirozy avec l’aimable autorisation de Cambodianess
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