Journée Internationale des Femmes : C’est avec une certaine appréhension que Rothna Yin a entamé son nouveau travail à Angkor Eye, la spectaculaire grande roue qui surplombe Siem Reap. Car à l’inquiétude inhérente à la prise de nouvelles fonctions s'est rajoutée la crise du coronavirus à laquelle l'attraction a dû faire face dès son inauguration en mars dernier. Mais il en fallait bien plus pour décourager cette femme au caractère bien trempé.
Les études comme porte de sortie
Les défis ne font pas peur à Rothna. À 14 ans, la frêle adolescente n’hésitait pas à conduire la mobylette surchargée de marchandises de son père, grossiste en viande. Infiniment plus gros et plus lourd qu’elle, le véhicule tanguait dangereusement dans la circulation phnompenhoise, risquant le chavirage à chaque instant. Ce qui ne manqua d’ailleurs pas d’arriver, raconte-t-elle dans un grand éclat de rire, en décrivant avec moult détails le chaos provoqué par la scène. Lorsqu’elle n’effectuait pas les dangereuses livraisons, la jeune fille aidait sa mère à la boutique, tenant un rythme proche du stakhanovisme :
« Les horaires étaient fluctuants, mais, lors des fêtes et des grands événements, nous commencions à travailler, ma sœur et moi, vers 4 heures du matin, pour finir aux alentours de 19 ou 20 heures. Cela faisait tout de même de grosses journées ! »
« Lorsque c’était plus calme, je faisais mes devoirs et révisais mes cours. J’ai toujours veillé à bien travailler à l’école, pour deux raisons principales. Tout d’abord parce que je me devais d’aider ma famille, dont le niveau de vie était alors très modeste. L’école me donnait la perspective de trouver plus tard un bon emploi, bien rémunéré et qui me permettrait de soutenir ceux que j’aime. Pour augmenter mes chances de réussite, j’ai très tôt voulu apprendre l’anglais ainsi que le mandarin. Ensuite, ce qui m’a aussi motivée, c’était la volonté d’échapper à un milieu toxique : dans le village où l’on vivait, nombreux étaient les gens en perte de repères, et j’ai été confrontée à des scènes de violence et d’alcoolisme. Cela a agi sur moi comme un puissant contre-exemple et m’a d’autant plus poussée vers les études. »
Engagement professionnel
Depuis, Rothna a relevé bien d’autres challenges, tant professionnels que familiaux, jusqu’à aujourd’hui, où elle supervise tout à la fois le fonctionnement, les ventes ainsi que le marketing de la grande roue de Siem Reap. « Avant cela, j’ai passé près de 10 ans au sein du groupe U Care, gravissant peu à peu les échelons.
J’ai débutée comme simple vendeuse dans l’une des pharmacies du groupe, accomplissant toutes sortes de tâches, qui m’ont permis d’apprendre énormément sur les produits et la communication. Au bout de deux ans, mes supérieurs m’ont proposée de rejoindre les spas Bodia, qui font partie des établissements les plus réputés du Cambodge pour la qualité de leurs soins.
« Je me suis retrouvée tout à coup directrice des ventes et du marketing, assimilant en quelques mois les différents types de marchés, la gamme des produits, les stratégies de promotion auprès des professionnels et des particuliers…»
« Il fallait en plus de tout cela se remettre sans cesse en question. Maintenir le niveau des prestations, garantir la qualité des produits, repenser leur conditionnement, créer de nouvelles gammes, plancher sur la communication, le marketing et le suivi. C’était intense, mais réellement passionnant ! C’est un travail que j’ai sincèrement aimé, et qui m’a donné l’occasion de me forger une solide expérience professionnelle. » Sans oublier quelques activités de mannequinat, puisque Rothna est aussi sollicitée lors de défilés de mode, tant à Phnom Penh qu’à Siem Reap.
La grande aventure de la grande roue
Après une décennie vouée à la même entreprise, Rothna a éprouvé un besoin de changement qui s’est concrétisé un beau jour par un appel inattendu. « Le directeur d’Angkor Eye m’a contactée et m’a demandée si je voulais rejoindre l’aventure de la grande roue, en tant que responsable des ventes et du marketing. L’attraction était alors en projet, et j’ai tout de suite été attirée par les nouveaux défis que cela représenterait pour moi. Et, effectivement, il y en a eu ! Il a fallu communiquer, recruter et organiser les équipes, préparer les nombreux détails de l’ouverture… Mais nous sommes parvenus à surmonter tous les obstacles, et croyez-moi, cela en valait la peine.
C’est une attraction unique à Siem Reap, qui offre une vue surprenante sur la ville. À 85 mètres de hauteur, dans le confort d’une cabine privée et climatisée, le paysage de la campagne et des montagnes est incroyable. » La crise sanitaire et l’absence de touristes étrangers n’auront finalement pas entravé l’activité d’Angkor Eye :
« Notre attraction connaît un immense succès auprès des Cambodgiens. De nombreux siemreapois nous rendent visite, et celles et ceux qui viennent de Phnom Penh pour un séjour dans la cité des temples ne manquent pas de s’installer dans nos nacelles »
« Dans les grands jours, comme Pchum Ben ou le Nouvel an Khmer, plus de 3 000 personnes effectuent l’ascension, seuls, en couples ou avec la famille au grand complet. »
Femme pressée
Tous les proches de Rothna ont d’ailleurs pu profiter des joies de la grande roue, ses trois enfants, âgés de 10, 8 et 5 ans, ses parents, ainsi que ses 3 frères et sœurs. Tous, originaires de Phnom Penh, ont suivi Rothna lorsqu’elle s’est installée à Siem Reap en 2004. Et tous vivent ensemble, dans la même maison, bel exemple de solidarité intergénérationnelle.
« Sans leur aide, je n’aurais jamais pu réussir ma carrière professionnelle comme je l’ai fait. Toutes et tous ont été présents pour moi à un moment de ma vie, et je leur en suis extrêmement reconnaissante. » Il n'est pourtant pas simple de conjuguer devoirs familiaux et professionnels tout en occupant un tel poste. Lorsqu’on lui demande quels sont les loisirs qu’elle aime pratiquer, Rothna ne peut que répondre à regret :
« Des loisirs ? Mais je n’ai pas le temps d’avoir des loisirs ! Préparer un bon repas, ça oui, dès que je le peux, car j’adore cuisiner »
« Mais sinon… Il y a bien les voyages, mais la période n’est pas très propice à cela, alors… nous mangeons beaucoup ! », déclare-t-elle en riant, espérant toutefois pouvoir se rendre bientôt en Thaïlande, au Vietnam ou à Singapour pour un séjour tant touristique que culinaire. En attendant, Rothna continue de veiller au bon fonctionnement d’une grande roue qui ne cesse d’enchanter petits et grands.
Texte et photographies par Rémi Abad
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