Le Centre d'incubation de l'artisanat de Satcha, situé dans la ville de Siem Reap, a été officiellement inauguré par la ministre de la Culture et des beaux-arts, S.E. Phoeurng Sackona, le 11 mars.
« Je remercie les fondateurs de Satcha d'avoir contribué à préserver le savoir-faire traditionnel et l'identité nationale, et d'avoir travaillé main dans la main avec le ministère de la culture par le passé. Je me réjouis de leur future coopération dans le cadre du nouveau programme de formation », a-t-elle déclaré au sujet d'un centre que notre correspondant Rémi Abad avait déjà décrit lors de sa première ouverture avec l'interview du fondateur, P.A Romano :
Satcha, une structure aux grandes ambitions destinée à promouvoir l’artisanat cambodgien sous toutes ses formes, vient de voir le jour à Siem Reap. Parcourant le vaste parc ombragé abritant les ateliers ainsi qu’une superbe boutique, les visiteurs ont reçu la confirmation, si besoin en était, que les compétences des artisans du royaume se hissent à un très haut niveau et méritent une bien meilleure visibilité que celle dont elles bénéficient actuellement. Pierre-André Romano, président et cofondateur de la structure, nous parle des ambitions et de la philosophie du projet.
Cambodge Mag : Nous vous connaissons comme président de la Chambre de Commerce et d’Industrie France-Cambodge, mais aussi comme le cofondateur de BRB Cambodia, dont Satcha constitue l’une des branches. Pouvez-vous nous présenter cette entreprise ?
Pierre-André Romano : Beyond Retail Business Cambodia est une société cambodgienne créée il y a deux ans avec pour mission de soutenir et promouvoir les talents et savoir-faire cambodgiens, principalement les artistes et les artisans, avec initialement trois activités principales : l’organisation d’évènements au Cambodge et à l’étranger, la production sur mesure, et la distribution en tant qu’intermédiaire entre les ateliers de productions et les distributeurs. Nous avons récemment créé une branche relations presse pour promouvoir le Cambodge dans les media internationaux.
CM : Quand et dans quel but avez-vous décidé de fonder Satcha ?
P-A R. : Au début de cette année, nous avons réalisé que les ateliers et artisans que nous accompagnions bénéficiaient d’une faible visibilité, que ce soit sur le marché national ou international, et se cantonnaient, pour la plupart, à des produits traditionnels alors que leur savoir-faire leur permettrait d’explorer des pistes plus innovantes.
Pour répondre à ces deux problématiques, nous avons décidé de créer un programme d’incubation et de réunir sur un seul site plusieurs artisans et savoir-faire : ainsi est née l’idée de Satcha.
Fin janvier le business plan était prêt et en moins de trois mois nous sommes parvenus à réunir les fonds nécessaires à son lancement, auprès d’investisseurs cambodgiens pour les deux tiers et français pour un tiers.
En juin nous avons trouvé le lieu, un magnifique parc de près d’un hectare en centre-ville de Siem Reap, en septembre nous avons donné le premier coup de pioche, et nous avons ouvert cette semaine !
CM : Ce centre est présenté comme un incubateur d’artisanat, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Combien d’artisans sont-ils concernés ?
P-A R. : Le programme d’incubation est à long terme, 3 ans minimum. Les formations sont gratuites, et nous fournissons les ateliers et tout le matériel nécessaire à l’exercice d’un métier. Nous proposons aussi une plateforme centrale de services comprenant le design des produits, le marketing, la distribution, l’export, etc…
À ce stade une quarantaine d’artisans nous ont rejoint, mais nous avons reçu plus de 300 candidatures et nous souhaitons étendre le programme au-delà du site principal de Satcha avec des ateliers incubés dans les provinces du Cambodge. L’objectif est de soutenir 100 artisans d’ici avril prochain et 500 sur les 3 ans à venir.
Le programme d’incubation est composé de 4 modules. Il est ouvert à tous les artisans disposant d’un savoir-faire préalable, même perfectible. Il démarre avec le langage (khmer pour les artisans qui ne savent ni lire ni écrire, puis anglais pour l’aspect commercial. Les trois autres modules comprennent notamment la communication et le marketing, le design et l’histoire de l’art, la gestion, la finance…
Tout cela destiné à mener les artisans vers une totale autonomie, avec leur propre entité et leur propre marque. Ils pourront ensuite quitter le centre ou rester avec nous, selon leur souhait. Ils ne sont pas obligés non plus d’aller jusqu’au bout du programme, c’est en fonction de leurs ambitions personnelles. En parallèle, des maîtres artisans viendront prochainement les accompagner dans le perfectionnement technique de leurs spécialités.
CM : Vous disposez dans le centre d’une boutique particulièrement bien achalandée. D’où proviennent les articles mis en vente ?
P-A R. : Il existe 3 catégories de produits, dont certains sont fabriqués sur place.
Ceux sous la marque Satcha designés par nous ou les artistes partenaires, car nous travaillons beaucoup sur des collaborations artistes-artisans. Ils démontrent que les savoir-faire traditionnels peuvent s’appliquer à des designs contemporains inspirés par la culture khmère.
Ceux sous la marque Satcha, mais produits par des ateliers extérieurs que nous accompagnons. Il s’agit le plus souvent d’organisations informelles existantes mais sans marque ni marketing spécifique.
Enfin, il y a ceux d’autres marques déjà établies mais à qui nous offrons plus de visibilité à condition qu’ils remplissent nos critères de qualité, d’origine et de responsabilité.
Pour l’instant les produits extérieurs représentent environ les deux tiers, d’ici deux mois la proportion sera inverse, le temps de finaliser les designs et de lancer les productions par nos artisans.
Nous leur garantissons par contrat suffisamment de commandes par mois pour leur assurer un revenu décent, que les produits soient vendus ou pas.
CM : Quels types de produits sont-ils proposés en boutique, et de combien de références disposez-vous actuellement ?
P-A R. : Il y a déjà près de 1.000 références dans la boutique, avec de plus en plus de produits fabriqués sur place. Nous proposons aussi des produits sur mesure sur la base des compétences déjà présentes sur le centre : sculpture sur bois et pierre, peinture et laques, bijouterie, rotin, jacinthe d’eau, bambou, cuir… La couture et le tissage arriveront bientôt.
CM : Quels sont les produits d'artisanat les plus représentatifs, et quels sont les principaux atouts de l’artisanat cambodgien ? Quelles sont les spécificités de la région siemréapoise en termes de production artisanale ?
P-A R. : La plupart des artisanats présents sur le centre sont ancestraux, qu’il s’agisse de la sculpture, la peinture ou le tissage des fibres naturelles en tout genre, particulièrement à Siem Reap où ces talents ont donné autant d’éclat au berceau de l’empire Khmer à travers les siècles. Zou Daghan, le diplomate chinois du 14e siècle en visite pendant une année à Angkor, décrit très bien ces savoir-faire, de même que les missionnaires portugais puis espagnols aux 15e et 16e siècles, et plus récemment Mouhot, Loti, ou encore Malraux, tous ébahis par le talent des artisans Khmers.
Le Cambodge est un pays de savoir-faire mal connus et peu valorisés, nous souhaitons renforcer la fierté des artisans en mettant en avant leur talent auprès des Cambodgiens comme des visiteurs étrangers.
Cette démarche participe aussi de la revalorisation des produits de qualité faits par des gens ayant de vrais talents, produits sans doute plus chers que ceux sortant des usines chinoises, mais certainement plus durables à la fois socialement et par leur impact positif sur l’environnement. C’est une démarche éthiquement plus universelle qui va au-delà des frontières du Cambodge et que nous souhaitons soutenir à notre niveau.
CM : A-t-il été difficile de trouver un tel endroit, situé dans le centre-ville et disposant d’un cadre idéal, vaste, calme et ombragé ?
P-A R. : Nous avons visité de nombreux lieux, mais aucun ne permettait de mettre suffisamment en valeur l’artisanat khmer. Enfin en mai dernier nous avons trouvé ce magnifique parc abandonné, un écrin de nature en pleine ville, qui correspondait parfaitement à notre vision. Une ancienne maison Khmère délabrée a été rénovée pour accueillir le showroom, elle est maintenant étonnante de beauté, et nous avons décidé de collaborer avec Green Bamboo Cambodia pour la construction des ateliers.
Cette entreprise sociale créée et portée par Mlle Caroline Chau a pour vocation de relancer la chaîne de valeur du bambou, quasiment abandonnée au Cambodge. Cela démontre les capacités de ce matériau, notamment pour la construction, le design, l’impact sur l’environnement, sa durabilité, ainsi que les nombreux débouchés professionnels pour les communautés locales.
Le résultat fait l’unanimité chez les visiteurs : ces ateliers entièrement en bambou construits par les Cambodgiens sont une autre démonstration de virtuosité et rendent le lieu encore plus unique et admirable.
Enfin, plus de 50 espèces de plantes différentes sont présentes sur le site, et une rizière en cours de déploiement présentera quatre types différents de riz cambodgien, élu encore une fois cette année comme le meilleur au monde.
Site internet de BRB Cambodia : https://brb-cambodia.com/
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