Âgé d’à peine 35 ans, Ly Lim a déjà à son actif un riche parcours d’entrepreneur. Son bar à cocktails, récemment ouvert à Siem Reap, constitue l’un de ces défis auxquels il aime se confronter. Entretien avec un personnage passionnant et passionné, qui puise dans sa double culture talent et inspiration.
Pousser la porte de l’Infusion Bar revient, pour tout amateur de cocktails et de dive bouteille, à pénétrer dans l’antichambre du Paradis. Mis en valeur par un éclairage tamisé, des dizaines et des dizaines de flacons de toutes formes et couleurs s’alignent sur les étagères. Des alcools célèbres, d’autres plus confidentiels, dont une grande part de productions locales, n’attendent qu’un ordre pour rejoindre le shaker et fusionner en une multitude de possibles. Seule l’imagination semble capable de poser ses limites.
« C’est ce que j’aime par-dessus tout dans la mixologie, raconte Ly. C’est une discipline qui permet d’exercer sa créativité, de partir à l’aventure, en quête de saveurs et d’accords d’une infinie variété. »
Siem Reap, un rêve différé
En même temps qu’arrive la nuit s’installent les consommateurs, venus d’horizons différents, Cambodgiens et Occidentaux, touristes et locaux, tous se retrouvent en amenant leurs goûts et préférences en matière de cocktails. Endroit idéal pour les rencontres, l’Infusion accueille régulièrement, comme c’est le cas ce soir-là, des artistes dont les notes s’accordent avec l’ambiance d’un lieu auquel Ly et sa femme Srey Sros songent depuis déjà plusieurs années.
« Lorsque nous nous sommes installés au Cambodge, Siem Reap était notre premier choix. Nous avons toujours aimé cette ville. Mais notre projet d’y ouvrir un restaurant ne représentait à l’époque pas la meilleure idée, car le secteur y était déjà très concurrentiel. Nous avons alors songé à Sihanoukville, mais n’avons pas accroché plus que ça avec la ville. Nous restait alors la possibilité d’ouvrir notre restaurant dans la région d’origine de ma femme, c’est-à-dire le Ratanakiri. Grand bien nous en a pris : ce fut un succès immédiat. »
Acquérir la double culture
Si le Cambodge a toujours attiré Ly Lim, ce dernier ne pensait néanmoins pas s’y installer si jeune, à peine ses études terminées. « Bien sûr que je pensais venir vivre dans le pays dont mes parents sont originaires, mais cela représentait pour moi un objectif sur le long terme. »
« Je m’imaginais faire une belle petite carrière en France, mettre de l’argent de côté et venir ici vers l’âge de 40 ou 50 ans. Au lieu de cela, je m’y suis installé alors que j’avais à peine plus de 20 ans, séduit par le Royaume, ses habitants, ses opportunités entrepreneuriales… et persuadé que ma double culture me faciliterait la tâche. »
« Parents de Battambang, rassemblements et fêtes khmères à Vincennes, notions de la langue, bref, j’étais confiant. J’ai très vite déchanté : cette double culture que je pensais posséder, je l’ai acquise ici, sur le terrain. Pour un Français venant travailler au Cambodge, même avec des origines khmères, les mentalités sont tellement différentes qu’un temps d’adaptation s’avère nécessaire. »
Le grand défi du Ratanakiri
Cette adaptation, Ly la réalise très vite, au point de vouloir se confronter à un nouveau challenge après celui du restaurant. « Le Ratanakiri est un endroit merveilleux, peuplé par des gens qui le sont tout autant. Lacs, jungle luxuriante, cascades et cours d’eau, minorités ethniques… La destination touristique parfaite ! Pourquoi ne pas y monter un hôtel ? Nous nous sommes lancés dans cette aventure en juin 2014, en partant de zéro. Nous avons fait construire un établissement de 40 chambres, proposant huit designs différents. La construction a été chaotique. Nous étions jeunes pour nous lancer dans un tel défi, et nous nous sommes beaucoup trompés. Mais nous avons tenu bon, rectifié petit à petit nos erreurs et avons finalement pu ouvrir deux ans après le début des travaux. Tant pis si une partie de l'hôtel était toujours en construction ! Cette période fut aussi un incroyable test pour notre couple, qui en est ressorti plus soudé que jamais. Si nous avons su résister à la construction et à l’ouverture d’un hôtel de quatre étages, nous pouvons maintenant survivre à tout ! Il aura fallu attendre à peu près trois années avant que l’hôtel ne trouve son rythme de croisière. Après ce cap, l’établissement s’est mis à tourner presque tout seul. »
Nouvelles idées, nouveaux projets
Comment occuper ses journées lorsqu’on est un jeune entrepreneur qui ne manque pas d’idées ? Ly s’intéresse à l’agriculture, s’essaie à la plantation de poivre, d’avocats, de durians, d’hévéas… Il lit, aussi, dévorant toutes sortes d’ouvrages et trouvant une source d’inspiration dans les mémoires et biographies des grands visionnaires. Il organise aussi pour ses clients des tours du Cambodge à vélo, qui lui offrent l’occasion de magnifiques rencontres tout en s’adonnant à un sport qu’il adore. Voyant leurs trois enfants grandir, Ly et Srey Sros repensent alors à Siem Reap, y entrevoient un cadre de vie culturellement et socialement plus riche et imaginent l’Infusion Bar.
Après quelque temps d’hésitation, ils franchissent le pas et concrétisent un vieux rêve en installant leur établissement au bord de la rivière. « Les bars ne manquent pas à Siem Reap, il fallait donc trouver un concept original pour nous démarquer », confie Ly. Décoration venue tout droit du Ratanakiri, cocktails originaux élaborés avec soin et soirées spéciales ont permis à l’Infusion de se distinguer tout en s’assurant une clientèle fidèle et régulière. Mais cela ne constitue qu’un début :
« Nous débordons de nouveaux projets ! »
Accords parfaits
Pour Ly et son épouse, ce bar à cocktails doit devenir un lieu propice aux échanges en tous genres :
« Le toit-terrasse est en cours d’aménagement, et nous réfléchissons à organiser des soirées-débats autour de différentes thématiques. Nous souhaiterions de même organiser des expositions et manifestations culturelles autour de la peinture, de la musique et de la photographie. Je travaille aussi à l’élaboration d’accords inédits entre mets et cocktails et, après quelques essais hasardeux, possède d’ores et déjà de belles alliances gustatives qu’il me tarde de faire découvrir. Tous les efforts vont dans le sens d’une utilisation de produits locaux. Nous avons la chance de produire une grande variété d’épices, de fruits, de fleurs, toutes sortes d'arômes et de saveurs d’une qualité inouïe. Il en va de même pour certains alcools, je pense aux rhums, mais aussi et surtout aux gins cambodgiens, dont la qualité est tout bonnement incroyable. »
Non loin de Ly, un épais calepin se trouve toujours à portée de main afin de pouvoir y noter toute nouvelle idée qui se présente. Le nombre de pages noircies laisse augurer d’un avenir et de soirées pour le moins bien remplis.
Comentarios