Il est, dans la doctrine bouddhiste, un paradis céleste appelé Tusita, un « heureux royaume » dans lequel réside, dans une perpétuelle satisfaction, toute personne assez vertueuse pour le mériter. Une promesse de contentement que le restaurant Tusita, plus concret et bel et bien terrestre, se donne pour mission de recréer dans la ville de Siem Reap, déjà fameuse pour la qualité et la variété de sa scène culinaire.
Né sous de belles étoiles
Rien n’aura été laissé au hasard pour faire de ce restaurant un lieu hors-norme. À commencer par le décor qui, à coup sûr, ne laissera pas indifférent. Une profusion de lustres, chandeliers en cristal et appliques murales reflètent leur lumière sur le sol pavé de marbre et agrémenté de bassins. Le mobilier, tables blanches, fauteuils et sofas gris souris cernés de plantes vertes, se trouve ainsi plongé dans une atmosphère quasi irréelle, soulignée par quelques discrètes notes de musique égrenées au piano. Pour M. Srorn, qui dirige le restaurant, la décoration du Tusita ne pouvait être qu’exceptionnelle, tout comme ses menus. Pour élaborer ces derniers, il a été fait appel au chef Emmanuel Stroobant, qui, à Singapour, a mené avec brio son restaurant Relais & Châteaux, le Saint-Pierre, vers le firmament des deux étoiles Michelin.
Au service de la gastronomie khmère
C’est justement à Singapour que tout s’est décidé, lorsque Mme Monirath Khim, vice-présidente du groupe Innotality, visite l’établissement d’Emmanuel Stroobant. Conquise tant par la qualité des mets que par la personnalité du chef belge, elle élabore le projet d’ouvrir un restaurant offrant de telles prestations dans la cité des temples. Projet auquel Emmanuel Stroobant a été associé dès le début.
Sa longue carrière en Asie et son amour pour les produits de caractère ne pouvaient que le mener vers le Cambodge et sa gastronomie encore trop méconnue. « C’était un rêve de longue date que de mener la cuisine khmère sur les sommets de la scène internationale », se félicite Monirath Khim, même s’il y a encore de nombreux efforts à fournir. « J’ai grandi en Grande-Bretagne, où une immense variété de plats venant des quatre coins du globe est disponible. Et pourtant, il n’y a que très peu de restaurants cambodgiens qui parviennent à faire rayonner la gastronomie khmère à travers le monde ».
À la rencontre de l’Asie
Un avis forcément partagé par Emmanuel Stroobant, chef éclectique tombé très tôt dans la marmite du cosmopolitisme culinaire. Alors qu’il n’a que 16 ans, il effectue la plonge dans un restaurant afin de financer ses futures études de droit. Mais la vie en cuisine, le charme et les défis liés à la restauration le fascinent au point d’abandonner ses projets de devenir ténor du barreau. À 23 ans, il occupe le poste tant convoité de chef, mais ressent le besoin de multiplier les expériences. Il entreprend alors un tour du monde de la gastronomie, accumule les notes, apprend une multitude de recettes, forge des amitiés et finit par s’installer en Asie, en 1997.
En Malaisie dans un premier temps, où il reçoit la distinction du meilleur chef expatrié deux ans plus tard. La même année, en 1999, il décide de poser ses bagages à Singapour, où son restaurant, le Saint-Pierre, lui ouvre les portes de la reconnaissance et du succès. C’est dans cet antre de la gastronomie, derrière les larges fenêtres offrant une vue imprenable sur l’emblématique Marina Bay Sands, que Monirath Khim le rencontre et le convainc de tenter l’aventure du Tusita. Emmanuel Stroobant n’en est pas à son premier essai, le Tusita devenant le cinquième établissement supervisé par un chef devenu particulièrement populaire en Asie.
Serial Restaurateur
Ayant ouvert ses portes le 20 janvier dernier, le Tusita rejoint une scène gastronomique siemreapoise de plus en plus qualitative. En plus des très belles tables offertes par les hôtels haut de gamme tels que le Raffles, Sofitel et autres Park Hyatt, nombreux sont les chefs de talent à officier dans la cité des temples. Des établissements tels que Cuisine Wat Damnak, l’Embassy, l’Abacus ou le Mouhot’s Dream, pour n’en citer que quelques-uns, ont permis d’atteindre un niveau rarement égalé dans le reste du royaume, y compris à Phnom Penh. Au point d’attirer les chefs les plus renommés.
Qu’ils soient de passage pour des soirées inoubliables, comme l’ont prouvé Gilles Choukroun ou Thierry Seychelles, ou qu’ils s’investissent de manière plus durable, comme le fait Emmanuel Stroobant, la ville de Siem Reap peut s’enorgueillir de la présence d’étoiles toutes plus brillantes les unes que les autres. Une nouvelle étape a néanmoins été franchie par le Tusita, puisque c’est la première fois, au Cambodge, qu’un restaurant se trouve supervisé par un chef cumulant deux étoiles au prestigieux Guide Michelin.
« Nous pensons que notre concept unique en termes de design et de luxe, que le service orchestré par notre directeur F&B qui a terminé l’année dernière sa formation à la première école de majordome au monde aux Pays-Bas, que les authentiques recettes khmères réalisées en employant des techniques occidentales modernes et que l’implication de ce célèbre chef étoilé Michelin feront du Tusita et de Siem Reap une destination gastronomique véritablement unique au monde ».
Éducation au bon goût
L’ouverture de ce nouveau restaurant comble les vœux de Mme Monirath Khim, pour qui la gastronomie a toujours revêtu une importance particulière : « J’ai grandi dans une famille où ma mère s’appliquait toujours, avec grand soin, à nous préparer des plats parfaitement assaisonnés et méticuleusement présentés. Cela nous a inculqué une idée très élevée de ce que devait être la cuisine cambodgienne. Ma mère a également toujours préservé du temps libre au milieu d’une carrière pourtant extrêmement dense afin de se rendre tous les matins au marché pour s’assurer que nous ayons toujours les ingrédients les plus frais dans nos assiettes. C’est pourquoi ce restaurant est dédié à la femme qui m’a fait apprécier cette délicieuse cuisine khmère ».
Gastronomie traditionnelle et innovations gustatives
Sous ses allures de rock-star, son large sourire, ses bracelets aux poignets et sa décontraction naturelle, le chef a su séduire les amateurs de haute gastronomie non seulement par l’intermédiaire de ses enseignes, mais aussi par ses ouvrages culinaires et un passage remarqué à l’émission Master Chef en Australie. Pour sa nouvelle aventure cambodgienne, Emmanuel Stroobant a privilégié des ingrédients locaux et des recettes mêlant gastronomie traditionnelle et innovations gustatives. Il revisite l’amok, les nouilles de riz, le porc de Svay Thom ou encore le Char Kdao au poulet, tous relevés par les infinies saveurs des herbes et des légumes khmers. Sans oublier les desserts et farandoles de fruits accompagnées d’un chocolat fait maison. « Quasiment tout est produit localement, et même très localement, puisque carottes, betteraves, aubergines et autres légumes poussent juste à côté, dans notre potager », précise M. Srorn. « Le reste des légumes est issu de l’agriculture biologique et se trouve fourni par notre partenaire Happy And Co Farm. Viandes et poissons proviennent aussi du Cambodge, à l’exception du bœuf, qui ne correspond pas encore à nos critères de qualité ».
Jouer sur les accords
Tous ses mets sont agrémentés des vins les plus fins, conseillés par Visal, le sommelier du restaurant. 75 % des breuvages proposés proviennent de l’Hexagone, des Côtes de Provence aux Saint-émilions les plus prestigieux tels que les Châteaux Angélus et autres Pavie. Australie, Chili et Nouvelle-Zélande ne sont pas oubliés : « Certains cépages se marient particulièrement bien avec la cuisine cambodgienne », explique Visal, qui se montre intarissable au sujet de sa cave. « Des vins blancs tels que le Viognier ou le Sauvignon pour les entrées et les plats principaux, le Riesling pour les desserts.
Du côté des cépages rouges, Shiraz et Pinot Noir s’accordent parfaitement aux recettes à base de viande ». Ces morceaux de bravoure gastronomique et œnologique se déclinent à travers trois menus répondant aux noms mystiques d’Inspiration, Réincarnation et Illumination. De quoi conjuguer avec bonheur nourritures terrestres et spirituelles.
Texte et photographies par Rémi Abad
コメント