Créée en 2007, l’entreprise spécialisée dans la collecte des déchets a dû s’adapter au fil des années à de nouveaux challenges. Jean-Baptiste de Seze, directeur adjoint, et Loy Saruom-Ran, responsable du développement social et environnemental, décrivent l’histoire et l’évolution de la compagnie aux fameux camions verts.
Loy n’est pas à proprement parler une personne que l’on pourrait qualifier d’inactive. De passage éclair à Siem Reap et entre deux réunions, la jeune femme ne dispose que d’un court créneau le dimanche matin, avant de repartir vers la capitale. Originaire de la Cité des temples, Loy Saruom-Ran a d’abord travaillé dans une ONG chargée de veiller sur la qualité des sols et de l’eau, avant de rejoindre GAEA en 2017.
Depuis un an, et afin de se trouver là où se prennent les décisions, Loy vit à Phnom Penh, élaborant et menant diverses actions en faveur de l’environnement, mais aussi du bien-être des 350 employés que compte la société. « Cela représente beaucoup de missions, de projets et d’énergie à consacrer, mais j’ai toujours voulu exercer des responsabilités sociales et environnementales. Ce sont des domaines particulièrement importants tant pour le présent que pour l’avenir », confie la jeune femme, par ailleurs titulaire d’une maîtrise en Sciences de l’environnement obtenue à l’Université royale de Phnom Penh.
Lutter contre certaines pratiques bien ancrées
La présence de Jean-Baptiste de Seze, qui nous a rejoint, permet de bénéficier d'une vision globale de la compagnie née en 2007 à Siem Reap. Spécialisée dans la collecte des déchets, GAEA s’est vite imposée sur son secteur, s’implantant au fil de sa croissance à Battambang, Kompong Thom et récemment Phnom Penh. Durant ses 13 années d’activité, la société a été confrontée aux différentes problématiques liées aux déchets, à la pollution qu’ils entraînent ainsi qu’aux diverses solutions déployées pour leur recyclage. « Il était auparavant courant, pour les particuliers, de brûler ses ordures devant le seuil de sa maison.
Bien que particulièrement nocif pour la santé et pour l’environnement, ce procédé n’était bien entendu pas blâmable devant le manque de solutions disponibles. Il a donc fallu communiquer sur la collecte, mais aussi en garantir le déploiement, le bon fonctionnement et la régularité, sans quoi les habitudes n’auraient pu évoluer », raconte Jean-Baptiste de Seze. « Aujourd’hui, précise à son tour Loy Saruom-Ran, l’incinération sauvage a fortement reculé en ville, mais reste encore pratiquée dans les campagnes ou les quartiers périphériques. Me rendre dans les villages, les écoles et les pagodes fait partie de mes attributions. Les interlocuteurs se montrent en général très réceptifs, surtout la jeune génération. Si nous remplissons nos missions correctement et que nous assurons le bon ramassage des ordures, il n’y a pas de raison pour que celles-ci se retrouvent dans la nature ou soient incinérées. »
Transformer les déchets en carburant
La collecte s’effectue régulièrement à bord de la quarantaine de camions verts que possède la compagnie. Les déchets rejoignent alors leur lieu d’enfouissement. « Lorsque GAEA a débuté ses activités, il a fallu trouver des sites réunissant tous les critères et les aménager afin de garantir une hygiène et une sécurité optimales, raconte J.B. de Seze. Une fois enterrés, les déchets entrent dans un processus de décomposition qui peut engendrer, si l’on n’y prend garde, des explosions dues au gaz qui s’en échappe. Mais une fois la menace neutralisée, cette transformation peut au contraire s'avérer bénéfique. Nous étudions la possibilité de transformer les déchets en diesel. De plus, le gaz peut être utilisé afin de produire de l'électricité destinée aux villages voisins et les eaux sales, une fois épurées, permettent d’obtenir de quoi cultiver le riz toute l’année. »
Rendre le verre vert
L’utilisation de l’énergie dégagée par les déchets ne constitue pas l’unique projet en cours. Le recyclage du verre doit aussi devenir prioritaire, comme en témoignent les contacts avec l’École Nationale des Arts du Verre en vue d’une future collaboration. « Nous tenons absolument à prouver que le recyclage profite à tout le monde, déclare Loy.
C’est du gagnant-gagnant pour les consommateurs et leur santé, pour l’industrie et pour l’écologie. Les déchets doivent être valorisés, car il est possible de créer, si nous prenons l’exemple du verre, de nouveaux contenants dans un processus de recyclage illimité. Le verre est en effet une matière qui peut se recycler à l’infini, c’est un immense avantage dont nous devons prendre la mesure et qu’il serait dommage de négliger. Nous nous fixons comme objectif de collecter 50 tonnes de verre chaque année. »
Défis et pandémie
Recyclage du verre et du plastique, agrandissement et aménagement des lieux de dépôt, production de carburant grâce à la décomposition des détritus… La liste des projets laisse à penser que tout se passe pour le mieux pour une entreprise en pleine croissance. Pourtant, les difficultés ne sont jamais loin, notamment depuis l’arrivée du Covid et de ses effets tant sur l’économie que sur la vie quotidienne.
« L’impact a été très fort », témoigne le directeur adjoint, qui a passé plusieurs semaines sur place, nuits comprises, dormant avec ses employés dans une zone rouge confinée. « À la menace que faisait peser le virus s’est ajoutée une baisse significative des recettes. Dans des lieux très touristiques tels que Siem Reap, la fermeture brutale d’une grande partie des hôtels et des restaurants a logiquement entraîné un fort ralentissement de nos activités de collecte.
Les camions et leurs pièces, qui proviennent de l’étranger, n’ont pas pu être remplacés et les investisseurs potentiels n’ont pu se déplacer, ce qui a provoqué un ralentissement pour les projets en cours. Et depuis quelques mois, la forte hausse du prix des carburants nous pénalise économiquement. Mais la crise traversée nous a paradoxalement renforcés dans notre cohésion. Les actionnaires n’ont pas un seul instant cherché à contester le maintien des salaires, et les employés sont restés mobilisés afin d’assurer leurs tâches. »
Changement des mentalités
Les métiers exercés peuvent s'avérer difficiles, comme en témoigne Loy : « Les opérateurs chargés de la collecte travaillent dans des conditions délicates, au milieu de la saleté et des odeurs parfois pestilentielles dégagées par les tas d’ordures. C’est pourquoi nous mettons l'accent sur la promotion interne et la formation, afin de rendre possible une évolution de carrière. L’une de mes prérogatives consiste à coopérer avec les autorités locales et nationales, comme lorsqu’il s’agit d’assurer le nettoyage des rues ou d’organiser les points de collecte. Ou encore sur les questions de sécurité sur la voie publique.
Grâce à des mesures simples, le nombre d'accidents demeure au plus bas. La communication avec les consommateurs est tout aussi importante. Nous parlions tout à l’heure du verre : son usage s’est généralisé au cours de ces dernières années, provoquant de nombreuses coupures parmi les opérateurs lors du ramassage. Ces incidents sont évitables en mettant en place des points de collecte ou en incitant à emballer précautionneusement débris et bouteilles.
C’est ce que je répète inlassablement lors des journées consacrées à la prévention. » « La communication fonctionne bien et l’on parvient ainsi à faire évoluer les mentalités, souligne Jean-Baptiste de Seze. Les exemples du dernier Nouvel An ou de la Fête des Eaux en témoignent assez bien. Alors que nous avions auparavant recours à des extras et que les opérations de nettoyage se poursuivaient jusqu’au petit jour, les dernières éditions n’ont mobilisé que les employés de GAEA et tout était terminé vers deux heures du matin. Pourquoi ? Tout simplement parce que le public avait jeté ses déchets dans les nombreuses poubelles aménagées. Cela démontre un plus grand respect de l'environnement ainsi que des travailleurs. Et prouve que la gestion des déchets est l’affaire de tous. »
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