Chaque année, Siem Reap devient l’espace de quelques jours l’épicentre asiatique de la photographie. Son célèbre festival, qui constitue l’un des points forts de la vie culturelle cambodgienne, a dû néanmoins s’adapter aux conditions toutes particulières qui règnent en cette période difficile.
C’est une édition qui marquera sans conteste la déjà longue histoire de l’Angkor Photo Festival. En 16 années d’existence, cette manifestation, fondée et animée par des passionnés de l’image, est peu à peu devenue une référence incontournable tant pour les professionnels que pour les amateurs de photographie. Ateliers de formation, projections sur écran géant, expositions dans les rues, conférences et conseils prodigués par des talents venus du monde entier rythment habituellement le plus ancien festival asiatique dédié à ce thème.
Après avoir hésité sur la forme que devait prendre le festival cette année, sa directrice, Jessica Lim, a finalement opté pour un compromis propre à satisfaire le plus grand nombre. « L’intention est restée la même qui anime le festival depuis ses débuts : faire en sorte que nos projections, qui rassemblent un large public, soient vues par toutes les classes sociales et touchent une audience la plus vaste possible. C’est peu de temps après l’incident du 3 novembre que nous avons décidé de tout mettre en ligne et d’annuler les événements physiques, car il était clair pour nous que l’imprévisibilité de la situation ne ferait que continuer, et malheureusement, ces derniers jours, cela a été reconfirmé. »
Le choix d’un streaming en direct et de vidéos pouvant être consultées n’importe quand depuis la page Facebook du festival permet de préserver le puissant lien qui unit la communauté qui s’est formée autour de cet événement. Nombreux sont les anciens élèves, qui ont bénéficié des ateliers gratuits organisés lors des festivités, à être devenus photographes professionnels. La plupart d’entre eux sont restés fidèles au festival et reviennent en tant que tuteurs ou curateurs. Cette année, Dennese Victoria, Sadia Marium et Swastik Pal ont sélectionné les milliers d’images qui leur ont été soumises afin de figurer dans les projections.
Au total, 55 artistes ont été sélectionnés, provenant de 23 pays. « Le festival est ouvert aux participants de toute nationalité, mais il nous parait important de confier une grande partie du choix des images à des curateurs issus du continent asiatique. En outre, nous sommes également très heureux d’inclure les voix des conservateurs venus d’autres horizons. Nous avons invité Tania Bohorquez, une artiste mexicaine qui a auparavant été tutrice pour nos ateliers, à présenter le travail de photographes sud-américains. Elle s’est jointe à Musuk Nolte, étoile montante de la photographie péruvienne, pour une sélection mettant à l’honneur la photographie contemporaine en Amérique latine. Tous les curateurs ont carte blanche pour choisir les images diffusées et, ainsi, nous présenter leur propre vision. Nous leur faisons entière confiance et n’intervenons pas dans le processus de sélection. »
« Je suis particulièrement reconnaissante et étonnée du dévouement de nos commissaires invités. Cela demande beaucoup de temps et d’efforts, et je sais qu’ils se soucient particulièrement des photographes qu’ils représentent. Avoir pu faire cela pendant une pandémie, alors que chacun a ses propres défis à relever et doit surmonter des circonstances extrêmement difficiles, est tout simplement incroyable. Face aux confinements, aux couvre-feux, aux nombreuses protestations qui éclatent dans les rues, aux préoccupations liées à la santé de leurs familles et amis, c’était dur pour eux de gérer cette tâche. Mais ils se sont quand même totalement engagés envers leur travail et envers les photographes qu’ils ont sélectionnés. »
Un événement « physique » a néanmoins pu avoir lieu, encadré par des mesures sanitaires strictes. La galerie Mirage a accueilli dans ses locaux 47 livres d’art, librement consultables par le public. Le Kassel Dummy Award reçoit chaque année plusieurs centaines d’ouvrages édités à compte d’auteur, les trois gagnants recevant un soutien financier et éditorial afin que leur livre soit imprimé et diffusé à grande échelle. Portraits intimistes, sujets de société, projets artistiques se sont côtoyés sur les tables du Mirage, dans un patchwork de productions brochées ou cousues main, cartonnées, sur papier glacé ou recyclé, parfois dans de simples pochettes plastiques abritant des livres le plus souvent tirés à une poignée d’exemplaires.
La prochaine étape se déroulera du 10 au 16 janvier, avec la tenue des ateliers photographiques qui font toute la réputation du festival. « Lorsqu’il est devenu clair que les restrictions de voyage allaient continuer pendant longtemps, nous avons décidé de nous concentrer sur ce que nous pouvions faire et de travailler avec les opportunités que nous avions. Les ateliers, qui auront cette année pour thème la narration visuelle, se concentreront sur les talents locaux. C’est la première fois que nous organiserons des ateliers entièrement dirigés par des tuteurs cambodgiens pour des participants cambodgiens. Les leçons dispensées aux 15 étudiants y participant suivront l’éthique et la mission de notre événement — favoriser une compréhension plus profonde du langage photographique et susciter la création d’histoires visuelles. Ce sera également la première fois que nous aurons un module film/vidéo. Je suis vraiment ravie de travailler avec ces 6 tuteurs, et j’espère qu’il y aura de nombreux autres ateliers similaires à venir. »
Cette formule adaptée aux circonstances toutes particulières permet au festival de se dérouler malgré tout. « Pendant une pandémie, quand il y a littéralement des décisions de vie ou de mort à prendre et que tant de personnes luttent pour leur survie, nous devions être très clairs sur les raisons qui nous poussent à maintenir cet événement et dans quel but. Grâce à des conversations et des commentaires, nous avons compris que de nombreux membres de notre communauté souhaitaient que nos ateliers et notre festival se poursuivent. Beaucoup se sentaient frustrés et seuls, ils voulaient un moyen de se connecter avec d’autres personnes, de continuer à parler de photographie et de voir le travail de leurs confrères. Je pense que face à cette pandémie qui nous sépare, il est pour nous plus que jamais important de travailler dur pour que l’on se sente proches les uns des autres. »
Les projections de l’Angkor Photo Festival ainsi que les débats et conférences peuvent être visionnés sur la page Facebook de l’événement, https://www.facebook.com/AngkorPhotoFestival/
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