Quiconque a un jour croisé Thierry l’a quitté en fredonnant un petit air pour le restant de la journée. Ne se déparant quasiment jamais de son orgue de barbarie portatif, cet amoureux de la chanson française a accepté de partager pour nous son histoire et ses passions, ses doutes et ses projets, ses rêves et ses amours.
Certaines personnes sont devenues incontournables du paysage siemréapois. Thierry le Mesle fait partie de celles-ci. Créateur d’un groupe Facebook destiné aux francophones Khmers ou expatriés vivant dans la cité des temples, inlassable laudateur d’un Cambodge auquel il se montre viscéralement attaché, mais aussi, et peut-être surtout, musicien pour le moins original, portant fièrement en bandoulière son mélodieux Ritournel. C’est d’ailleurs en suivant le son de ce dernier que nous le retrouvons, installé dans une alcôve de la Theam’s Gallery, devenue le théâtre de ses répétitions quasi quotidiennes. Autour de lui, un groupe de curieux s’est réuni, intrigués par la surprenante rencontre entre les sereins Bouddhas sculptés et un refrain d’Édith Piaf. Certains poussent même la chansonnette à ses côtés, ravis de saisir en ce lieu un refrain aussi inattendu.
Égrener des notes pour rassembler les gens
« La musique est un art tellement fédérateur », constate Thierry derrière son pupitre. Sur celui-ci repose un épais classeur, regroupant les paroles de plus de 120 titres. Tous ont la particularité d’être des standards de la chanson française, la grande, celle dont les textes peuvent se déclamer telle de la poésie. « J’ai toujours adoré la littérature. Mais j’ai grandi à Gennevilliers, dans ce que l’on appelle avec pudeur une “banlieue chaude”. Dans ce contexte, c’était assez mal vu, de la part de mes camarades, de s’intéresser à ce genre de chose… Et pourtant, qu’est-ce que j’ai lu ! J’étais aussi, et tout logiquement, attiré par la chanson à textes. À quatre ans, je chantais Ramona, de Jack Lantier. C’était la toute première chanson de mon répertoire, qui allait par la suite s’étoffer quelque peu. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours apprécié chanter de vieux trucs ! »
Hommage aux géants du music-hall
Il faut le voir tourner la manivelle du Ritournel pour se rendre compte à quel point Thierry vit sa musique. Ce petit orgue de barbarie en joli bois clair cache dans ses entrailles transistors et cartes à puces, permettant de reproduire fidèlement le son d’un instrument normalement dix fois plus volumineux.
« Depuis que j’en ai fait l’acquisition il y a quatre années de cela, j’y joue tous les jours. Cet instrument me permet de produire la musique que j’aime avec la sonorité que j’affectionne, tout en permettant de pleinement se concentrer sur l’interprétation du texte. J’ai pratiqué en amateur pas mal d’instruments, piano, guitare, saxophone… Mais le seul dont j’ai réussi à tirer quelque chose sur le long terme, c’est ma voix. »
Sa tessiture si particulière évoque celle d’une grande chanteuse, la dame en noir : « Je suis un amoureux de Mouloudji, de Brel, de Piaf et de Brassens. Mais quand je chante, il parait que j’ai le phrasé particulier et les graves de Juliette Gréco. Au début cela m’amusait, puis j’ai travaillé cette ressemblance sans chercher à l’imiter. » Sur la liste de ses idoles, Reggiani, Aznavour, Lama, Montand, Bourvil, Tiersen, entre autres, occupent une grande place dans ses récitals, qui peuvent durer plusieurs heures.
« J’ai trouvé mon havre de paix »
Mais alors, comment un tel musicien s’est-il retrouvé au Cambodge ? Un peu par hasard, beaucoup par amour. Jeune adulte, son tempérament sportif le pousse vers la boxe. D’abord la boxe thaïe, avant de découvrir le Khun Khmer. « Il y avait en Savoie, où j’étais parti vivre, une assez vaste diaspora khmère. C’est la boxe qui m’a rapproché de cette culture, qui m’a fait côtoyer des Cambodgiens dont certains étaient en exil, tandis que d’autres n’avaient jamais connu le pays d’origine de leurs parents. Peu à peu, le Cambodge me devenait familier, j’entendais plein d’histoires à son sujet, au point de devenir une destination de plus en plus évidente pour un voyage. C’est finalement en acceptant l’invitation d’un ami franco-cambodgien que nous sommes partis en famille, pour Phnom Penh, Siem Reap et Sihanoukville. C’était en 2011. J’ai immédiatement adoré ce pays et surtout ses habitants, au point d’y revenir plusieurs fois par an. Quand j’ai rencontré celle qui allait devenir ma compagne et la mère de notre fils, je venais dès que je pouvais prendre quelques congés, parfois pour une poignée de jours. C’était mon havre de paix. Dès que je foulais son sol, toute ombre de stress disparaissait. J’ai tenu à garder mes anciens passeports, juste pour le plaisir de compter le nombre de tampons cambodgiens qui remplissent leurs pages ! »
Tout pour la musique
D’abord torréfacteur dans une autre vie, puis commercial immobilier, partageant son temps entre ses activités professionnelles en France et sa famille au Cambodge, Thierry a fini par s’installer définitivement à Siem Reap en octobre dernier et à s’inscrire fièrement comme expatrié auprès de l’ambassade de France. À la profonde satisfaction de poser enfin ses valises dans le pays de son cœur se mêle néanmoins une inquiétude pécuniaire :
« Plus que jamais je souhaite vivre de ma musique. C’est la passion qui m’anime. Mais il faut pour cela trouver des lieux où se produire, décrocher des contrats réguliers, se faire connaître… C’est excitant, tout en contenant une part d’incertitude. Mais c’est dans le but de jouer que je mobilise actuellement toute mon énergie. »
Toute ? Assurément pas, car Thierry le Mesle se montre très actif sur la page Facebook qu’il a créée et qu’il anime. Rassemblant près de 400 membres (399 pour se montrer précis) chiffre tout à fait estimable pour un groupe privé et non ouvert aux touristes, le Groupe francophone d’infos, d’humeur et de bons plans de Siem Reap est tout autant une mine d’informations qu’un forum où se croisent des personnes qui, presque toutes, se connaissent dans la vraie vie.
« L’idée m’est venue durant la période du Covid, afin de conserver une certaine activité et de maintenir un lien social. Très vite la mayonnaise a pris, rassemblant des gens aux parcours parfois très différents, qui tous ou presque vivent dans une ville qui est l’une des plus agréables du Cambodge. La communauté francophone se montre ici très dynamique, et c’est un plaisir d’y faire de très belles rencontres. »
De par son talent et sa gentillesse, nul doute que Thierry le Mesle trouvera très bientôt de nouvelles dates et interprétera encore et encore sa musique intemporelle et pleine de charme.
Pour contacter Thierry le Mesle : 068 905 062
Vous pourrez aussi le découvrir « en live » au restaurant Crep’Italy le jeudi 7 décembre, à partir de 19 h
Comments