Bien que la plupart des gens associent l'histoire du Cambodge ancien à l'Empire khmer, à Angkor Wat et à des rois légendaires comme Suryavarman II ou Jayavarman VII, l'histoire du Cambodge remonte bien plus loin.
Du premier au sixième siècle de notre ère existait le royaume de Funan, situé dans le delta du Mékong et s’étendant le long de la côte sud du Cambodge. Une grande partie de ce que nous savons de ce royaume provient des écrits de deux diplomates chinois envoyés sur place au troisième siècle de notre ère, mais les récits légendaires sur le Funan ont continué à faire partie de la culture khmère jusqu’à nos jours.
L’un de ces récits est celui de Preah Thong et Neang Neak, qui est toujours interprété comme un opéra traditionnel par le Ballet royal du Cambodge. Bien qu’il existe plusieurs versions de l’histoire, son idée de base est une romance et un mariage entre un roi et une Naga.
Selon la légende, Preah Thong est tombé amoureux de Neang Neak au premier regard lorsqu’il l’a vue danser sur la plage avec d’autres Nagas, ce qui a conduit à leur mariage durant lequel Preah Thong a soulevé le voile de sa nouvelle épouse. Ils sont considérés — à travers leurs descendants — comme la source symbolique de la culture, de la civilisation, des traditions et des coutumes khmères.
L’une des façons dont la légende a perduré en tant que composante active de la culture cambodgienne est la levée cérémoniale du voile entre les jeunes mariés lors du mariage, un rappel direct de Preah Thong levant le voile de Neang Neak.
Aujourd’hui, un énorme monument représentant cet événement légendaire est en cours de montage sur une magnifique plage de Sihanoukville, région qui constituait autrefois une partie du royaume de Funan.
Colosse de cuivre
Sok Chamroeun et son équipe travaillent d’arrache-pied pour terminer l’installation des statues à temps pour les prochaines vacances du Nouvel An khmer.
« Ni moi ni personne dans tout notre pays n’a jamais tenté un projet de sculpture d’une telle envergure », explique le sculpteur sur cuivre qui est aussi propriétaire de l’entreprise Norak Singh Handicrafts.
Les grésillements des talkies-walkies résonnent tandis que l’équipe coordonne la mise en place finale de l’ouvrage. Le travail s’achève vers 20 heures, lorsque les statues se dressent enfin sur un rond-point de la commune de Ream, dans le district de Prey Nop, province de Preah Sihanouk.
Les statues en cuivre — les plus grandes du Royaume — mesurent 21 mètres de haut et pèsent 60 tonnes. Chamroeun se déclare ravi de voir enfin le résultat de tous ses efforts et de son travail.
« Je suis tellement excité ! En tant que Cambodgien, je suis honoré de pouvoir créer une statue aussi grande qui célèbre l’histoire de notre pays. C’est pour moi une immense source de fierté », dit-il.
Une planification prodigieuse
Chamroeun, 42 ans, est né à Pursat juste après que le régime des Khmers rouges de Pol Pot ait été chassé du pouvoir. Sa mère a déménagé à Phnom Penh en 1980, dans l’espoir de trouver de meilleures opportunités pour son jeune fils.
Chamroeun a commencé sa carrière de sculpteur sur cuivre en 1995. Il raconte avoir continué à se perfectionner au fil des années en étudiant les techniques de sculpture et en cherchant avidement des informations sur les arts cambodgiens, anciens et nouveaux.
S’agissant d’un projet aussi important et du premier de ce genre au Cambodge, la première étape pour Chamrouen a été de mener des recherches sur les styles vestimentaires, les bijoux et les ornements historiques afin de s’assurer que les personnages étaient aussi authentiques que possible pour la période représentée.
« Nous avons rassemblé de nombreux documents anciens sur le sujet des mariages et le Palais royal nous a fourni des photos liées aux bijoux des anciens rois et nous avons commencé à fusionner ce que nous avons appris de ces différentes sources et à créer un projet dans le style khmer », dit-il.
Selon M. Chamroeun, il a fallu environ trois à quatre mois pour effectuer les recherches historiques et culturelles et concevoir le monument avant de commencer sa création. Le résultat obtenu a été influencé par un certain nombre de sources d’art et de sculpture khmers.
« Mais même à ce moment-là, le travail préliminaire n’était pas terminé et nous l’avons modifié à plusieurs reprises pour obtenir le meilleur résultat. L’ensemble du processus nous a pris environ un an », dit-il.
De longues heures, des nuits tardives
Le sculpteur s’est souvent retrouvé à travailler tard dans la nuit jusqu’à ce que les moules de toutes les parties des énormes statues soient terminés. Ces moules ont ensuite été expédiés à une fonderie en Chine avec laquelle son entreprise s’était associée et qui se chargeait de couler le cuivre en fusion.
« Même après avoir envoyé les moules en Chine, nous avions encore du travail à effectuer, car la société chinoise avec laquelle nous travaillions, bien que très compétente, ne connaissait pas grand-chose à l’art khmer. À différents moments, ils avaient des questions à nous poser qui nécessitaient des explications supplémentaires et des dessins détaillés », explique Chamroeun.
Les exigences du ministère des Travaux publics et des Transports en matière de calendrier signifiaient qu’ils n’avaient que 25 mois pour terminer le projet, précise Chamrouen, soulignant que la capacité de sa fonderie était peut-être de 500 kg à une tonne de cuivre par jour alors que leurs partenaires en Chine pouvaient produire 30 à 40 tonnes de cuivre par heure.
« Le travail était toutefois ralenti, car il a commencé juste au moment où la pandémie a éclaté et je n’ai pas pu me rendre en Chine pour inspecter les travaux en cours, car l’ambassade de Chine ne délivrait aucun visa. Nous nous sommes donc tournés vers la communication en ligne, mais cela n’est pas aussi efficace qu’une visite en personne. Le résultat est que le travail accompli n’est vraiment qu’à environ 80 % de nos attentes », confie Chamroeun.
Bien qu’il soit maintenant ravi d’avoir atteint le point culminant de plus de deux ans de dur labeur, il admet que c’était plutôt difficile de se retrouver à la tête de cet énorme travail. Il précise également que la structure intérieure de la statue doit encore être vérifiée et que le bateau transportant la statue de la Chine au Cambodge a été secoué par des vagues et a subi quelques chocs.
« Nous devons réparer certains dommages et relier chacune des pièces, ce qui prend beaucoup de temps. Il ne s’agit pas de soudure, de charpente métallique ou de la construction d’un bâtiment, mais d’une œuvre d’art. Une fois que nous avons reçu les pièces, nous avons dû les adapter pour qu’elles correspondent à la conception originale », explique-t-il.
Des monuments puissants
Malgré les difficultés et les enjeux de ce chantier, M. Chamroeun estime qu’il existe un fort potentiel pour la production d’autres statues et monuments géants en cuivre et il espère que d’autres travaux de ce type susciteront de l’intérêt à l’avenir.
« Je pense que le Cambodge a une histoire riche avec des rois, des généraux, des guerriers anciens et des patriotes courageux - tous sont des esprits tutélaires charismatiques », confie Chamroeun. « Nous devrions proposer des figures symboliques qui représentent chaque province — comme dans la province de Battambang, ils pourraient choisir Ta Dambang Kranhong pour ériger de grandes sculptures », dit-il.
M. Chamroeun explique que son travail a été facilité par le soutien du vice-premier ministre Chea Sophara, lui-même amateur d’art et enthousiaste à l’idée de voir se multiplier ces grandes œuvres d’art public susceptibles de célébrer l’histoire et les traditions locales de chaque province.
« Sophara souhaite voir des statues qui inspirent le respect et l’admiration et il pense que si elles sont trop petites, elles n’auront pas la présence suffisante pour devenir des œuvres emblématiques représentant la province », explique-t-il.
Bien que Norak Singh Handicraft ait fourni au ministère une garantie d’un an sur les réparations, le sculpteur affirme que la statue de Preah Thong et de Neang Neak devrait tenir pendant des centaines d’années sans être beaucoup affectée par les intempéries ni subir aucun dommage si la solidité de son assemblage et de ses fondations est correctement réalisée.
Rénover l'ancien
Le sculpteur ajoute qu’il réalise quotidiennement des dessins pour créer ses propres concepts, tous nouveaux et originaux, et qu’il a même conçu des structures architecturales de maisons anciennes qui n’ont jamais existé que dans son imagination.
« J’aime essayer de nouveaux styles et je ne veux pas être répétitif ou manquer d’originalité, mais j’adapte parfois de nouveaux modèles à l’art de chaque ère culturelle — les périodes angkoriennes, Koh Ker et Bayon — avaient toutes leurs propres styles artistiques. Durant ces époques anciennes, l’art était en constante évolution et donc, bien sûr, au XXIe siècle, même l’art inspiré du passé continuera lui aussi à évoluer », déclare Chamroeun.
Raksmey Hong avec notre partenaire The Phnom Penh Post
Comments