« Les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser », affirmait Coluche en 1980. Malgré un contexte de pandémie très difficile, Chenda Phuong se bat avec force pour maintenir l'enseignement du français dans le royaume.
L’enjeu : préparer les élèves qui intègrent son association aux différents diplômes du DELF. Le niveau B2 en poche, ils peuvent prétendre à un stage ou un internat en France et obtenir des bourses pour financer leurs études.
À propos
Âgé de 37 ans et originaire de la province de Kampong Cham, Chenda ne manque pas de motivation. Titulaire d’une maîtrise de la langue de Molière, il l’enseigne depuis maintenant 12 ans au sein de différents établissements : l’URA, l’ITC, l’université royale des Beaux-Arts, l’université royale de l’agriculture. Il travaille également pour l’Agence Universitaire de la Francophonie. C’est avec beaucoup d’énergie qu’il a créé « l’Association pour le Maintien des Intellectuels de la Société » (AMIS) pour laquelle il donne énormément de sa personne. Avec la fermeture à répétition des écoles, il est difficile pour certaines structures de s’adapter, trop souvent par manque de moyens et de matériels. Pourtant, c’est avec optimisme que le directeur à l’humour taquin parle de ses projets.
Parcours
Concernant son cursus, le professeur raconte : « J’ai effectué une licence en FLE à l’institut des langues étrangères, j’ai obtenu mon diplôme en 2007. J’ai occupé mon premier poste à l’Université des Sciences et de la Santé, j’enseignais le français aux étudiants. Par la suite, j’ai suivi une formation pour être guide après avoir eu un accident de moto assez grave ».
« Je voudrais enrichir ma vie avec beaucoup d’expérience, dit-il »
Il ajoute : « Je travaille également en tant que traducteur ; j’aspire moi aussi à rédiger des articles. Avant, je n’aimais pas trop lire ni écrire, mais maintenant je ne peux plus m’en passer ».
Le rapport aux langues
A propos son rapport à la langue, Chenda confesse : « Initialement, je voulais devenir mécanicien. Je m’intéressais beaucoup aux machines et à leur fonctionnement. Mon père refusait que je travaille dans ce domaine, il était professeur de français et entraîneur de football ; nous sommes une famille d’enseignants, tout comme mon frère et ma sœur. Déjà au lycée, j’apprenais le français. Après le baccalauréat, les meilleurs choisissaient de s’orienter vers le droit ou la médecine. Faute d’argent, j’ai dû passer un concours d’entrée et obtenir une bourse afin de continuer dans le supérieur. Au départ, je n’appréciais pas spécialement ce genre de matière à cause de mes lacunes en anglais et en français ; depuis mes débuts à l’institut national pour l’éducation, j’ai appris à les aimer, particulièrement le français.
J’ai décidé d’abandonner mon cursus à l’ancienne faculté de pédagogie pour les poursuivre à l’université royale de Phnom Penh, au sein de l’institut des langues étrangères, dans le département d’études francophones. J’ai choisi deux options ; professorat et traduction. J’ai essayé pendant mon enseignement de retranscrire un livre littéraire ; c’était difficile. Les cours que je suivais occupaient la plupart de mon temps, j’ai donc laissé tomber cette activité. Cependant, j’ai quand même continué à réécrire en khmer les lettres destinées aux Cambodgiens parrainés pendant mes vacances. Il existe beaucoup d’organisations françaises qui soutiennent et subventionnent les études des élèves démunis comme enfants du Mékong, enfants d’Asie (ASPECA), sans oublier pour un sourire d’enfants ».
« Cela me touche de voir que des gens d’autres pays s’intéressent à notre cause, cela m’encourage à plus m’investir au sein de la société ; je crois en l’humanité »
Malgré certaines difficultés, A.M.I.S. garde le cap : « Avec la covid-19, on a dû fermer plusieurs fois, mais nous résistons. Avec le peu de biens que je possède, je ne peux pas donner physiquement, en revanche, par le biais de cours de français gratuits, je peux agir ». Malgré certaines difficultés, A.M.I.S. garde le cap : « Avec la covid-19, on a dû fermer plusieurs fois, mais nous résistons. Avec le peu de biens que je possède, je ne peux pas donner physiquement, en revanche, par le biais de cours de français gratuits, je peux agir ». « Pourquoi continuer ? Par optimisme ».
Découverte de la France et impressions
Après son voyage à Vichy et à Paris, notre Chenda donne sa vision : « Paris est une ville merveilleuse, j’y ai visité pas mal de sites touristiques comme le Louvre, la tour Eiffel et beaucoup d’autres. Lors de mon séjour, je n’ai pas constaté beaucoup d’écarts entre les classes en France, du moins, je ne le voyais pas ; à Phnom Penh par exemple, on observe beaucoup de voitures de luxe sur les routes. Par contre, je n’aime pas spécialement le rythme de vie de Paris. Vichy quant à elle ressemblait plus à un havre de paix, beaucoup de retraités vivent là-bas ».
Les secrets d’un bon enseignement
Beaucoup d’étrangers qui commencent par apprendre le français se heurtent à certaines difficultés, Chenda explique comment les surmonter : « Le problème ne réside pas uniquement dans l’apprentissage, mais aussi dans la manière d’enseigner ; on utilise parfois une méthodologie un peu traditionnelle et routinière qui ne va pas intéresser les élèves. En ce qui concerne l’université et l’institut, c’est différent ; on y effectue beaucoup de recherches et les étudiants sont soumis à une charge de travail considérable. Le but : mieux gérer son temps et s’autonomiser. Au fur et à mesure, grâce à ma licence et mon enseignement, j’ai pu perfectionner mon français. Je me revois en première année, lorsque je ne savais pas conjuguer les verbes du troisième groupe ».
« Le vouloir, c’est pouvoir ; si je souhaite vraiment réussir quelque chose, alors j’y arriverai »
AMIS, une belle aventure
Lors de l’entretien, Chenda détaille les objectifs de l’association : « priorité : aider les jeunes étudiants qui ne possèdent pas les ressources pour s’inscrire aux cours de français. D’ailleurs, peu d’établissements privés proposent des cours à des prix abordables. Ensuite, j’aspire à plus d’ouverture d’esprit ; j’aimerais que mes élèves ne pensent pas à trouver un emploi, mais plutôt à en créer et à partager leurs connaissances ».
Il poursuit : « Nos professeurs donnent des cours partout et les étudiants demandent toujours plus de cours. Ils souhaiteraient des heures supplémentaires destinées au soutien scolaire. Pour cela, nous devons louer un local ; le fait de disposer d’une autre classe, pour délivrer 1 heure à 2 heures de plus, requiert la présence de nouveaux instituteurs et créer de l’emploi. Nous avons également développé un commerce au sein de l’association qui vend des repas et boissons aux élèves. Auparavant, je me déplaçais beaucoup dans Phnom Penh, maintenant, je souhaiterais me dévouer à cette association.
Avec celle-ci, nous préparons nos étudiants aux différents niveaux du DELF pour les aider à valider les concours et obtenir des bourses pour financer leur parcours universitaire ; nous réussissons à en octroyer entre 100 à 200 par an. Nous ne profitons pas de subventions, de fonds étranger et nous ne bénéficions pas de soutien de la part de sponsors. Fournir des efforts est la clé pour que l’on puisse non seulement partager le cours, mais aussi en permettre l’accès sans oublier les activités extrascolaires et culturelles. Souvent, nous emmenons nos élèves au théâtre de marionnettes Kok Thlok à côté de la bibliothèque nationale. Nous organisons de même des sorties au musée et en périphérie de la ville ou en province ».
« Certains étudiants, vivants à Phnom Penh depuis 3 ou 4 ans, ne connaissent pas le Palais Royal et les autres monuments… C’est dommage, cela fait partie de l’identité du pays »
Concernant le cursus que suivent les étudiants de l’association, il explique : « la plupart s’inscrivent au sein de l’Université des Sciences et de la Santé. Quelques élèves viennent de l’ITC et d’autres facultés. Ils arrivent chez nous après leurs cours parce que le français les intéresse. La médecine française est très développée et nous disposons d’une collaboration très étroite avec la France qui attribue les bourses. D’ailleurs, les hôpitaux cambodgiens sont francophones, les cours y sont dispensés en français et en anglais ».
Témoignages
Nous demandons à certains élèves de l’association pourquoi ils ont choisi d’apprendre le français, Tong Sreyminh répond : « Un de mes oncles habite en France et j’aime bien la langue. J’étudie l’économie et la gestion ; pour ce cursus, j’ai besoin de suivre des cours de français pour mieux assimiler mes leçons ». Pour Ouch Punleu, étudiant en médecine, c’est aussi le cas ; il est persuadé que d’améliorer son français lui permettra d’acquérir de nouvelles techniques dans le domaine médical et l’enrichira en expérience. En ce qui concerne les difficultés d’apprentissage ; mis à part les problèmes de conjugaison, de grammaire assez classique ou encore de vocabulaire avec la quantité considérable de synonymes que comprend le français, il demeure une aspiration à plus de correspondance.
« Actuellement, on parle le français à l’université parce que certaines matières utilisent cette langue. Cependant, ce n’est plus le cas dans la vie de tous les jours, du moins, pas autant qu’avant ; pourtant, discuter avec des interlocuteurs qui le pratiquent accélère l’apprentissage ».
Peu importe le domaine, lorsque nous leur demandons pourquoi avoir choisi ce cursus, tous répondent à l’unanimité ; qu’ils aspirent à acquérir de nouvelles connaissances afin de participer au développement du pays et de la société, aider leurs familles et les communautés dans le besoin.
Une année d’internat
Quant à Keang Leng, 28 ans et étudiante en médecine, elle est déjà partie l’année dernière pour un internat d’un an à l’hôpital Robert-Debré à Paris. Elle est revenue à Phnom Penh depuis et parle de son expérience sur l’hexagone : « J’ai immigré en France, parce que c’est l’un des pays dont les sciences médicales restent les plus avancées. »
« C’était très dur au début, je me retrouvais face à beaucoup de barrières : le climat, la culture, la nourriture et la façon de travailler »
« Les Français parlent très vite, ils communiquent avec des mots familiers que nous n’avons jamais entendus. Au-delà de ça, ils m’ont beaucoup aidé pendant mon séjour ; j’étais bien entourée. Je n’ai jamais senti de discrimination à mon égard. Je me suis adaptée petit à petit, et finalement tout s’est bien passé. J’ai beaucoup aimé le climat ; je ne m’y attendais pas, en définitive j’apprécie beaucoup l’hiver. Il faisait beau en France. J’ai aussi adoré le mode de vie. C’est un pays magnifique et franchement je ne voulais pas le quitter », conclut-elle.
Perspectives
Malgré une nouvelle fermeture des écoles pour une quinzaine de jours, l’association garde le cap et essaye de s’adapter. Chenda ne manque pas d’idées : « Je voudrais créer des sections dans certaines provinces, surtout les plus isolées pour permettre à d’autres élèves de bénéficier de ce soutien. Nous avons aussi pour but d’élargir notre panel d’action, enseigner plusieurs langues, dont l’anglais qui s’est ajouté il y a peu, et travailler sur de nouvelles compétences ».
Michael Grao
Association pour le Maintien intellectuel de la Société : Rue 109 A, 122, Teuk Laor 1, Toul Kork, Phnom Penh
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