Retour sur le riche parcours de Pierre-Yves Clais dont c’est aujourd’hui l’anniversaire. Avec une actualité intense liée la naissance de l’éléphanteau Noëlle sur ses terres du Nord-est, le « chevalier » de la nature vient d’organiser le 4e gala, réussi, en faveur des éléphants avec sa fondation Airavata et l’aide du Rafles et de nombreux artistes et personnalités séduits par l’engagement de l’ancien de l’APRONUC devenu le porte-drapeau de la sauvegarde de cet animal emblématique du Royaume.
Pierre-Yves Clais fait partie de ces personnages du Cambodge, dans le sens fort du terme. Rencontré une première fois dans les forêts du Ratanakiri pour un tournage, l’homme contait déjà beaucoup d’anecdotes souvent exclusives sur les dessous de quelques communautés.
Homme au franc-parler, parfois impulsif dans ses propos, environnementaliste convaincu, quelque fois idéaliste et patriote, homme d’humour souvent gaillard ou cabotin, Pierre-Yves Clais dévoile aussi une personnalité beaucoup plus subtile, pleine de pertinence quant au pays d’accueil qu’il a choisi et de ses mille vies, pleine de tendresse quant il parle de son épouse, pleine de lucidité, peut-être trop…quand il parle du Cambodge d’aujourd’hui.
Entretien :
Tout le monde vous connait au Cambodge comme l’homme de Ratanakiri, parfois surnommé le loup blanc…on en sait un peu moins sur vos premières années au Cambodge, au début des années 1990, avec la mission Apronuc. Pouvez-vous nous parler des circonstances qui vous ont amené au Cambodge la première fois ?
Vous allez sourire, si je suis arrivé au Cambodge, c’est paradoxalement parce que je voulais aller en Afrique, puis à l’île de la Réunion… Je m’ennuyais un peu en Fac de Lettres en 1991 et rêvais alors d’aventures autres que celles que m’offrait l’agitation estudiantine ; celles-ci ce sont d’abord présentées sous la forme d’un projet de lutte contre le braconnage d’éléphants en Afrique Centrale, mais il fallait pour cela une bonne formation militaire, j’ai donc quitté la fac pendant mon année de Maîtrise afin d’intégrer le 6e RPIMa, (l’ancien régiment du Général Bigeard en Indochine) dont on m’avait dit qu’il était le meilleur régiment d’appelés. Mais après avoir terminé mes classes et obtenu mon béret rouge, j’ai appris que le beau projet africain était finalement tombé à l’eau, je me suis donc porté volontaire pour un stage commando à la Réunion afin de tirer le meilleur parti de mon service. Je l’ignorais alors complètement mais les Accords de Paris venaient d’être signés, ils allaient changer ma vie !
Le stage commando était annulé, on m’offrait maintenant de m’engager pour une courte durée afin de partir au Cambodge mettre en place une mission de « maintien de la paix » sous l’égide des Nations Unies. Je n’ai jamais été fan du « machin » comme l’appelait de Gaulle, mais l’Aventure ne se refuse pas, et puis il ne s’agissait pas, comme l’année d’avant, d’aller instaurer le chaos en Irak pour le compte de parrains que je n’aimais guère ! Il y eut alors un grand branle-bas dans le régiment, il y avait ceux qui voulaient y aller et ceux qui ne voulaient pas, dont certains copains cambodgiens pourtant fort courtisés par les cadres pour leur maîtrise de la langue khmère qui disaient : « si nous sommes partis c’est parce que ce sont des fous là-bas, alors on ne va surtout pas y retourner !». Et puis d’un autre côté, certains faisaient des pieds et des mains pour se faire affecter dans les compagnies qui partaient. C’est ce que j’ai pu réussir grâce à l’aide de mon supérieur d’alors, l’Adjudant-Chef Massin, un chef « à l’ancienne » qui aimait ses gars et se mettait en quatre pour eux !
Comment s’est passé le premier contact avec le pays, une surprise, un choc, ou rien d’excessivement frappant en arrivant dans un pays encore à genoux que le monde ne connaissait qu’à travers les medias ?
Comme la plupart de mes camarades, en dépit de quelques livres et magazines lus à la hâte, je n’avais pas une idée précise de ce qu’était le Cambodge. J’imaginais une grande étendue de boue pleine de mines et battue par la pluie, un peu comme la Corée dans le film MASH… Alors forcément, en débarquant la surprise ne pouvait qu’être bonne ! Un vol Air France nous a emmenés de Toulouse à U Tapao en Thaïlande, une ancienne base militaire US de la guerre du Vietnam, puis un bus nous a descendus à Pattaya où nous sommes restés quatre jours enfermés dans le Jomtien, un complexe hôtelier de luxe, avant d’embarquer sur un paquebot de croisière, l’Andaman Princess, qui nous a emmenés à Sihanoukville. Il faut bien dire que les Thaïs nous avaient décris les Cambodgiens en des termes peu amènes… et en effet les premiers Khmers aperçus, des dockers en haillons accroupis sur la jetée, ne suscitaient pas un enthousiasme immédiat, mais cette impression allait très vite changer !
Après une rapide prise d’armes sur le port, nous avons embarqué dans des camions à destination de la plage d’Otcheuteal où nous allions construire notre future base et là, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir des milliers de Cambodgiens en liesse agglutinés des deux côtés de la route et brandissant des drapeaux français dans une ambiance de libération ! Avec un tel accueil, puis ma première leçon de Khmer prise sur la plage avec des gamins dans le rôle de profs, je n’étais pas prêt de repartir !
Quelle était votre mission au sein de l’Apronuc ?
J’étais alors Caporal en compagnie de combat. Comme les autres contingents, nous devions démobiliser les soldats, les désarmer, les rendre à la vie civile, assurer la sécurité sur les axes routiers, réparer les ponts, assainir les marchés et préparer les élections de 1993 en recensant la population. Dans un premier temps, notre bataillon fut séparé en deux, une moitié envoyée dans le Nord-Est, le Secteur 6, pour remplacer les Uruguayens qui avaient deux mois de retard et l’autre restant dans le Secteur 4, attribué aux Français, tout le long la façade maritime allant de la Thaïlande au Vietnam. Je faisais partie de la 1ère moitié et après quelques jours à la plage nous partîmes en MI26, le plus gros hélicoptère du monde pour un voyage vers Steung Treng qui nous laissa sourds pendant 3 jours !
Quelles étaient les difficultés ?
En tant qu’ex étudiant plutôt dilettante, c’est la somme de travail à fournir qui m’a d’abord piqué aux yeux ! Nous devions effectuer des tours de garde, des patrouilles, décharger des avions de ravitaillement puis tout recharger dans des hélicos, principalement des packs d’eau, au profit des sections éparpillées « dans la verte ». Pendant que mes camarades étaient de repos je devais également effectuer la traduction de tous les rapports entrant ou sortant de chez nous vers le QG de l’ONU. J’étais si épuisé qu’un soir je me suis endormi pendant un tour de garde avant de me faire réveiller de façon fort « virile » par un adjudant-chef… Au bout de deux mois, après l’arrivée des Uruguayens, nous sommes redescendus sur la côte et là j’ai été versé à l’Etat Major où j’assurais des travaux de traduction dans un cadre plus serein tout en étant dans le « secret des Dieux ». Car il faut bien dire que le parachutiste en compagnie de combat n’est pas tenu au courant de grand-chose, il ne sait rien et ne voit guère que le bout de son Famas ou de sa pioche…
Beaucoup d’anciens de cette période évoquent ces années avec pas mal de nostalgie, est-ce le cas pour vous ? Pour quelles raisons ?
Contrairement à la plupart de mes camarades je n’ai pas quitté le Cambodge, ma nostalgie va donc plus à une époque qu’à un pays.
Des anecdotes ou épisodes particuliers, si un seul événement qui vous a marqué durant cette période devait être évoqué, lequel serait-il ?
Tout frais arrivés, nous ne savions pas encore faire la différence entre Cambodgiens et Vietnamiens et n’avions qu’une vague idée de l’antagonisme entre les deux peuples ; un jour que j’étais de garde devant l’Etat Major de Sihanoukville, nous étions en fin d’après midi et l’on m’amène un homme fort mal en point dont le crâne avait été défoncé à coups de hache.
Un attroupement se forme alors et une jeune voisine, petite sœur des blanchisseuses à qui nous confions nos uniformes s’approche de moi, désigne le blessé, et avec un superbe sourire sauvage me dit alors : « Youn* » ! (terme ancien désignant les Vietnamiens et qualifié de péjoratif par certains) Pour la petite histoire, ce monsieur devait de l’argent à un de ses amis mais affirmait ne pouvoir le rembourser, celui-ci, le découvrant en train de jouer à des jeux d’argent avait été pris d’un juste courroux et châtié le maraud qui dès le lendemain matin s’enfuyait de l’hôpital pour ne pas avoir à payer la note…
Pensez-vous que l’ONU, dont la mission a été très critiquée, proposait la meilleure des réponses face à cette situation d’urgence, de guerre civile après un génocide ?
Aussi imparfaite qu’elle ait été, c’était probablement la seule réponse possible à l’époque. Elle a suscité beaucoup d’espoirs et presque autant de déceptions, mais beaucoup de Cambodgiens rêvaient tout éveillés, ils imaginaient que d’un coup de baguette magique l’ONU allait pouvoir rétablir le Cambodge de l’époque de Sihanouk, ça n’était tout simplement pas possible ! L’Apronuc a su mettre le Cambodge sur le chemin de la paix, ensuite ce sont les dirigeants cambodgiens qui d’une manière toute asiatique ont su réaliser cette paix en achetant les derniers dirigeants Khmers rouges, c’est à mettre à leur crédit !
Avec le recul et votre expérience du Cambodge, aviez-vous anticipé/ pressenti les changements / bouleversements que connait le pays depuis les années 2000 ?
Non, absolument pas, si ça avait été le cas je ne me serais probablement pas orienté vers l’éco-tourisme…
Si demain vous deviez être confronté à la même situation en 1992, quelles seraient vos recommandations ?
Continuer à s’amuser bien sur mais aussi veiller à investir à temps dans l’immobilier ; j’en ai fait pas mal (achats, rénovations, ventes) mais j’aurais pu en faire beaucoup plus et plus tôt.
Ceci dit, c’est un métier dangereux pour l’âme, on se perd vite dans tout cet argent ! J’ai d’ailleurs arrêté parce que je me rendais compte que le Pierre-Yves d’alors n’était plus celui que j’avais voulu être quand j’étais plus jeune.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous installer ensuite ?
La beauté des femmes, de la nature et des temples ainsi que l’appel de l’aventure mais cette fois-ci sans hiérarchie au-dessus de ma tête.
Vous avez rencontré votre future épouse au Cambodge, souhaitez-vous nous raconter quelques anecdotes ?
Il ne faut jamais penser détenir la recette miracle, le mariage est une autre aventure, beaucoup de facteurs concourent à sa réussite ou à son échec et celui-ci peut intervenir au moment où on pense que rien ne nous menace plus !
Un mariage interculturel est encore une autre aventure, pas plus difficile je pense, mais différente, on se crée une île à soi, entre deux cultures, et chacun y apporte ce qu’il a, ce qu’il peut, et en cela on a probablement plus de liberté qu’en épousant quelqu’un de chez soi. On est affranchis de certains codes et attitudes stéréotypées qu’on adopterait autrement en cas de conflit et ça permet (parfois) de faire des compromis…
Savoir choisir quelqu’un qui vous convienne est très important, j’avais à cœur de trouver une femme qui puisse prendre sa place à mes côtés, qui soit francophone et dont mes enfants à venir puissent être fiers. Je hantais donc la bibliothèque de la fac des Langues de l’UPP et celle du Centre Culturel Français mais c’est au Cambodiana que j’ai rencontré Chenda en allant saluer le peintre Stéphane Delaprée.
La vendeuse avait des yeux magnifiques et puis c’était aussi la première Cambodgienne que je voyais lire un roman ! Sans Chenda je serais probablement resté un « Beach Boy » fauché et sans avenir ! C’est elle qui m’a mis au travail et tente encore de le faire tous les jours… Je fais en effet partie de cette catégorie d’hommes qui ne grandit pas, ou peu, et qui sans femme pour les cadrer, s’assoupit dans ses rêves. Par contre, correctement coachés nous pouvons accomplir pas mal de choses parce que faute de jugeote, nous ne nous rendons pas compte à temps de la difficulté de celles-ci…
Parlez-nous de cette période d’après Apronuc, de votre nouvelle vie au Cambodge, des difficultés, des bons souvenirs, des événements inattendus…
Nous n’étions pas très sérieux : aventure, rock n’ roll et beautés locales étaient alors notre Sainte Trinité… Après l’armée, mon premier « métier » fut d’être moniteur de ski nautique sur le Mékong, je n’avais jamais pratiqué cette activité mais j’avais été un véliplanchiste enthousiaste et il faut bien dire que tous les sports de glisse se ressemblent un peu !
Avec deux copains nous avons monté « Epluchures Beach » un club de loisirs nautiques à côté de la Pagode Wat Kien Khléang un peu après le Pont Japonais, parallèlement je gérais un petit bateau de croisière et puis écrivais le Petit Futé Cambodge pour faire connaître aux francophones cette nouvelle destination fascinante. J’étais donc toujours à moto, à pied ou en zodiac, par monts et par vaux à découvrir toutes les beautés du Royaume Khmer, j’étais heureux.
Le milieu « «expatrié » de l’époque était fort différent de celui que nous connaissons actuellement à Phnom Penh, on se retrouvait tous les soirs au Martini, la grande boite en plein air de l’époque. C’était là qu’on faisait des rencontres et que naissaient des amitiés. Ça brassait fort là-bas, beaucoup de forts en gueule, des costauds, des escrocs, des types bien aussi… on se souvient de bagarres homériques, de rafales de kalachnikovs sur le parking que l’on évitait en allant s’abriter dans les toilettes.
Nous avions nos héros également, Pierre-Yves Catry le champion de moto était de ceux-ci. Avec un groupe de copains motards il avait été capturé par les Khmers rouges dans la région d’Oudong (un peu comme François Bizot dans Le Portail…) puis libéré le lendemain sur intervention de leur hiérarchie mais uniquement après qu’il leur ait fait une démonstration de ses talents : sauts à moto et roues arrières ! Il y avait aussi Antoine Jacobelli dit « Tony le Corse », une légende vivante et un formidable bagarreur, c’était un personnage très attachant, il a été assassiné dans le dos par quelqu’un qui n’a pas eu le courage de l’affronter de face. Beaucoup de ces Français ou Belges venaient de Russie, d’Afrique, du Vietnam… avec des pédigrées tous plus pittoresques les uns que les autres.
La vie d’alors était passionnante car le pays avait un côté magique, tout était à redécouvrir et puis c’était marginalement encore un peu dangereux, ce qui donnait du piquant à la vie quotidienne. Nous avions de vieilles motos qui tombaient tout le temps en panne et nos voyages finissaient souvent dans des conditions rocambolesques, heureusement que le système D est une seconde nature au Cambodge, nous avons toujours pu rentrer à bon port ! Mais le « business » ne s’apprend pas en un jour et à force de ne pas faire attention à ce qui rentrait dans la caisse d’Epluchures Beach, les vaches maigres ont fini par arriver ! Pendant des mois nous ne pouvions nous offrir qu’une soupe par jour et circulions en vélo faute de pouvoir payer l’essence pour nos vieilles motos. C’est la solidarité d’un ami plus fortuné qui m’a personnellement tiré d’affaire, mais il n’empêche que ce genre d’expériences, c’est très formateur pour la suite !
Vous avez été l’un des premiers ‘’éco-hoteliers’’ avec le lodge des terres rouges à Banlung, comment vous est venu cette idée, parlez-nous des premières années du projet
Je ne revendique pas ce terme qui est souvent un paravent marketing pour des gens qui polluent autrement et me méfie des chapelles ; mon épouse et moi-même avons simplement voulu offrir un hébergement de qualité et de style, faire quelque chose qui nous ressemblait, qui soit franco-cambodgien. Ce furent des années magiques, en particulier parce que j’étais toujours en forêt, ces superbes forêts khmères des hauts plateaux qui, pour la plupart, ne sont plus qu’un souvenir et que j’évoluais parmi les 12 groupes ethniques de la province de Ratanakiri.
Les différentes tribus avaient peu changé encore depuis l’époque où Henri Maître les avait découvertes au début des années 1900 et je me plaisais à noter les similitudes entre ce que je découvrais et les croquis pris par l’explorateur.
J’étais l’ami des tribus, en passant à pied dans les villages, nous soignions des gens et buvions avec eux parfois tard dans la nuit. C’était très exaltant et je crois pouvoir dire que les voyageurs qui m’ont accompagné à cette époque ont vécu des voyages forts et des expériences peu banales, sans parler de ma femme qui eût grand peur un soir d’être assassinée par la fille d’un chef jaraï qui avait conçu pour ma personne une affection particulière et découvert à son grand déplaisir qu’une Cambodgienne de la ville occupait déjà la position convoitée de femme du guide blanc…
Et puis en quelques années tout cet univers magnifique et si riche des hauts plateaux du Nord-Est cambodgien a volé en éclats sous l’effet de la déforestation massive organisée par des hommes d’affaires déjà richissimes !
J’ai écrit dans les journaux, parlé à la télévision, à quelques hommes politiques cambodgiens mais les bons sentiments ne font pas le poids face aux centaines de millions de dollars que l’on peut gagner sans se creuser la cervelle, simplement en dévastant la nature… J’ai donc arrêté d’être un coureur des bois et je m’en suis allé à Kratié construire un nouvel hôtel, le Rajabori, sur une des plus belles îles cambodgiennes, celle de Koh Trong en face de Kratié.
“Que l’on se hâte d’étudier ces tribus, encore magnifiquement sauvages, indépendantes et heureusement parfois belliqueuses ; étudions-les comme des sujets précieux qui vont disparaître ; dans quelques années ils seront civilisés, par conséquence perdus, moralement et physiquement, pourris et gangrenés” (Les Jungles Moï).
L’environnement est d’actualité, êtes-vous optimistes ou pensez-vous qu’il est un peu tard ?
Je suis de nature optimiste mais là je me sens un peu comme Rocky à la fin du film, bien sonné par ce que j’ai vu et conscient que les coups vont continuer de pleuvoir ! Quand je prends le bac d’Arey Khsat à Phnom Penh et que je vois les gens balancer comme si de rien n’était canettes et sacs en plastique dans le Mékong, où on a quand même jeté les cendres du Roi Père, je me dis qu’on ajoute une forme de lèse-majesté à un profond mépris de l’environnement ! Le Cambodge est malheureusement devenu le plus sale des pays de cette partie d’Asie, tous les touristes le remarquent et s’en plaignent !
Vous vous êtes lancé dans l’élevage d’éléphants, pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce projet s’appelle Aïravata, du nom de l’éléphant tricéphale monture du dieu Indra ; il a commencé quand un ami m’a prévenu que les ultimes éléphants de Ratanakiri allaient disparaître, achetés des étrangers à la province. Nous avons donc décidé de nous associer à lui pour conserver ce puissant symbole à notre province. Une chose en entrainant une autre, l’éléphant étant intimement lié à la forêt qui l’a vu naître, nous avons du nous lancer dans un vaste projet de préservation de la forêt de 250 hectares où nous faisons évoluer les éléphants.
En plus des activités liées à l’éléphant, l’idée est d’y développer l’écotourisme sous de nombreuses formes : treks, vtt, accrobranches, maisons dans les arbres, développement de la culture et de l’artisanat traditionnel, en partenariat avec les trois villages propriétaires de la forêt.
Il faut bien se rendre compte que l’éléphant, cette formidable machine de guerre sans qui l’Empire Khmer n’aurait pu vaincre ses ennemis ni construire ses temples et dont le Roi Suryavarman II (1113 – 1150) possédait quand même 200 000 têtes, est maintenant en voie de disparition complète au Cambodge ! Le pays compte maintenant moins de 70 éléphants domestiques dont les ¾ sont trop vieux pour se reproduire et ceux qui sont encore en âge ne le peuvent pas, faute d’être en présence d’un congénère du sexe opposé !
Quand à la population sauvage, elle est estimée à 200 individus et elle décroît à la même vitesse que la forêt disparaît… Il était donc important de faire quelque chose ; pour les éléphants restant bien sur, mais aussi pour que le pays ne perde pas le fil d’une relation millénaire avec cet animal emblématique. C’est ainsi que nous employons cinq cornacs dont un apprend le métier, que nous enseignons les rudiments du « cornacage » à nos visiteurs et que nous espérons avoir des bébés en mettant mâles et femelles ensemble. C’est un projet de longue haleine, très prenant et coûteux mais aussi particulièrement passionnant et puis nous avons eu la bonne surprise d’être soutenus par le Ministère de l’Environnement ! Pour le moment, nous possédons trois éléphants mais nous aimerions beaucoup en acquérir d’autres, la possession de pachydermes est une drogue…
Avez-vous d’autres affaires en dehors de Banlung ?
Oui, quelques-unes ; comme je l’ai indiqué plus haut, à Kratié nous possédons le Rajabori qui se trouve sur l’île en face de la ville, cette île est magnifique et l’idée était de reconstituer un village de maisons en bois reprenant les plus beaux aspects de l’architecture traditionnelle khmère dans un site exceptionnel. Partout dans le pays les Cambodgiens détruisent ces maisons pour les remplacer par des bunkers en béton alors nous avons décidé de prendre le contre-pied de cette attitude.
Nous avons aussi Le Bungalow, un tout petit bar – restaurant avec deux chambres sur les quais de Kratié, il est surtout conçu comme un relais logistique pour le Rajabori. A Phnom Penh, nous possédons Arun Villa, mais nous ne gérons plus cet hôtel et à Kep, nous nous sommes lancés dans l’agriculture avec Chamkar Damnak notre plantation de poivre et de bois de santal dans un endroit reculé et très beau où nous avons une ferme.
Vous avez trois enfants, souhaitez-vous leur avenir au Cambodge ?
Ce sera à eux de décider, mais comme beaucoup de parents j’aimerais bien qu’ils ne s’en aillent pas trop loin.
Comment imaginez-vous le pays dans 10 ans ?
Je pense que le déséquilibre entre villes et campagnes, riches et pauvres… va continuer de s’accentuer.
N’y a-t-il pas une contradiction à avoir construit une vie loin des tracas franco-français et d’en suivre et commenter l’actualité quotidiennement ?
Je ne crois pas, c’est en Français que je me suis installé au Cambodge, pour poursuivre à mon échelle une histoire d’amour (parfois mouvementée) entre deux peuples, entamée il y a deux siècles de cela. Pour pouvoir échanger et s’ouvrir à autrui il faut connaître (un minimum) et aimer sa propre culture, sinon l’échange est impossible !
Tout ce que j’ai, tout ce que je suis, prend sa source dans notre culture et notre histoire, aussi quand des politiciens professionnels de tous bords bradent et nient notre héritage cela me rend malade !
L’éloignement fait que je me sens finalement encore plus Français et que je ressens le besoin de conserver et transmettre ce que j’ai reçu. Je me définis comme un Français du Cambodge, une espèce « voisine » du Cajun d’Amérique et absolument pas comme un « citoyen du monde », une expression qui me fait horreur !
Avez-vous des relations professionnelles / amicales avec la communauté française au Cambodge ?
Assez peu ; dans notre métier d’hôteliers, nous voyons suffisamment de monde alors je ne recherche pas particulièrement le contact en dehors du boulot, je fréquente une petite dizaine d’amis, motards pour la plupart, pour le reste je préfère passer du temps avec mes enfants.
Quels sont vos loisirs en dehors de vos affaires (moto cross) ?
Je suis passionné de moto, même si je suis moi-même un pilote médiocre, et je la pratique avec mes enfants et mes amis. Mon fils est champion de motocross junior du Cambodge et mes filles se débrouillent bien également mais nous pratiquons aussi l’enduro ainsi que les balades plus classiques en grosse cylindrée vers la Thaïlande et le Laos.
Mon épouse et moi sommes pas mal impliqués dans le Bokator également, nous avons organisé la première rencontre internationale en 2013 à Siem Reap avec l’aide de mes amis Sébire du Club de Boxe Khmère d’Andrésy et Olivier Piot d’Angkor Village qui a mis son « éléphanterie » et même son hôtel à notre disposition pour organiser un tournoi magique, en plein milieu du site d’Angkor avec des participants arrivant à dos d’éléphant ! Et puis je me suis un peu lassé, en particulier des querelles de personnes, Chenda est toujours active dans la fédération mais je me concentre principalement sur la « carrière » sportive de mes enfants dans la moto.
Comment qualifieriez-vous votre vie d’aujourd’hui, comme un expatrié heureux / un immigré qui a réussi / un aventurier à succès ?
Je ne sais pas trop, j’ai fait des ronds dans l’eau, je me suis amusé, j’ai découverts des lieux et des gens et j’ai construit quelques petites affaires mais j’ai le sentiment d’être resté un spectateur, de n’avoir pesé sur rien, c’est pourquoi notre projet Aïravata de conservation de la forêt et de l’éléphant pour les générations futures me tient autant à cœur !
Quelque chose à ajouter ?
« Croire et Oser », c’était la devise de mon régiment, je l’ai faite mienne !
Un parcours hors du commun...
Bravo!