À l’occasion de la célébration des dix ans de l’association Shanty Town Spirit, retour sur ce reportage effectué dans l’un des bidonvilles de Phnom Penh il y a quelque temps. Ceci afin de donner un aperçu des difficultés de ces communautés vivant dans la précarité et des conditions rendues encore plus difficiles lors de la crise sanitaire.
Boeing Trabek
Elles sont quelques centaines, peut-être quelques milliers de familles pauvres à s’entasser dans ces rues tortueuses, étroites et insalubres qui phagocytent les grands boulevards de Phnom Penh et sa banlieue. Ces familles viennent de toutes les provinces, attirées par les lumières de la ville, les promesses de travail, et nourries par l’espoir d’y travailler quelques mois pour constituer un petit pécule et retourner dans leur province ensuite.
Ces familles s’installent dans des baraquements de fortune qu’elles espèrent provisoires, près des chantiers ou tout simplement dans des endroits à moitié abandonnés en raison de l’insalubrité. Ces bric-à-brac de tôles et de bois deviennent très vite des résidences permanentes tant la ville n’est pas si généreuse qu’elles pouvaient l’espérer.
Certaines familles vivent entassées dans ces nouveaux bidonvilles depuis quelques mois, depuis quelques années, les enfants y grandissent, d’autres y voient le jour, d’autres familles se forment. Visite dans le bidonville de Boeung Trabek :
Soutien d’ONG
C’est notre quatrième visite dans ce bidonville de Boeung Trabek en compagnie d’Ermine Norodom et de sa collaboratrice Pisey. Ermine, effectue l’une de ses visites hebdomadaires au sein de cette communauté dont elle vient en aide à travers son programme « Shanty Town Spirit ». Aujourd’hui, la visite est moins formelle que les précédentes, quelques cadeaux sont distribués aux familles qu’elle encadre, un peu d’argent est donné aux enfants qu’elle a pu ramener sur les bancs de l’école.
« Ce sont eux qui m’ont demandé de leur payer des cours supplémentaires de physique, de langue khmère et de mathématiques, c’est bon signe… »
dit-elle avec son sourire de princesse moderne qui use, sans abuser, de son titre pour alerter ses amis, ses relations et tous ceux qu’elle souhaite faire participer au programme d’aide aux familles de ces bidonvilles.
Besoin d’aide
Il est 17 heures, la nuit tombe vite, des enfants du bidonville rentrent de l’école, d’autres terminent leurs tournées de chiffonniers. Quelques-uns n’ont pas encore la chance de suivre une scolarité. Shanty Town Spirit est un programme d’aide de proximité qui ne permet pas encore d’aider toutes les familles du bidonville.
« C’est une question de budget, explique Ermine, je suis pour l’instant concentrée sur la famille de Srey Nett avec de bons résultats. »
« Si des besoins urgents se font sentir pour d’autres familles, j’essaye d’intervenir avec l’ensemble de mon équipe et nous ferons les démarches nécessaires pour trouver un sponsor. Par exemple, la grand-mère de Srey Nett ne fait pas partie de mon programme, mais elle vivait dans un tel taudis que nous avons dû intervenir. Elle avait aussi de gros problèmes avec ses yeux, nous avons pu la faire opérer des, mais, à présent, il faut financer le suivi de cette opération et les transports. Nous sommes à la recherche d’un parrain pour ce problème précis », confie-t-elle.
Vivre du recyclage
Bons résultats… ce qu’entend la princesse avec ses termes, c’est d’avoir pu renvoyer les enfants à l’école, leur avoir donné un toit un peu plus convenable et leur assurer une alimentation quotidienne sans que les enfants aient à collecter les ordures. C’est cela le paradoxe quasi cynique de cette pollution ménagère insupportable, la collecte des plastiques et des métaux permet aux habitants sans emploi de s’assurer un petit revenu quotidien, quelques dollars par jour… insignifiant pour certains, précieux pour ces démunis.
Situé à proximité des buses d’évacuation des eaux usées, le bidonville de Boeung Trabeck est aussi pratiquement construit sur un dépotoir bien propice aux infections de tous genres. Au centre des baraques, un monceau d’ordures gît là, au grand dam d’Ermine qui explique :
« C’est un sérieux problème. Il est d’abord difficile de trouver une entreprise qui accepte de nous faire des devis afin de combler ou d’évacuer les immondices, personne ne veut s’aventurer dans cet endroit. »
Il y a aussi les questions de pérennité, il est difficile d’identifier le réel propriétaire du terrain et on ne connait pas l’avenir de ce lopin de terre, réhabiliter complètement cette petite zone n’est pas une mince affaire.
Vrai que l’endroit est difficile, lors des pluies, les ordures remontent et s’approchent encore plus des fenêtres et des habitations. Lorsqu’il fait sec, les mouches et vers apparaissent, l’odeur d’ordures devient très vite étouffante. C’est le cas aujourd’hui, il n’a pas plu depuis plusieurs semaines et le bidonville baigne dans une odeur insupportable. Cela ne semble pas affecter les enfants et ados qui jouent un peu plus en contrebas, souriants, l’air heureux.
Tous heureux ou presque, alors que beaucoup d’entre eux se prêtent au jeu des photos, une petite fille qui se demander ce que des barangs font dans cet endroit. Difficile à interpréter, timidité, gêne, va savoir… mais un regard suffisamment différent pour nous rappeler que Phnom Penh, autrefois ville martyre, aujourd’hui ville des extrêmes, mais aussi capitale en plein développement, peut aussi montrer un double visage : une croissance à 7 %, mais aussi la misère, la pauvreté et l’exclusion pour une petite partie de la population.
À souligner toutefois que les statistiques officielles montrent que la pauvreté a reculé, que quelques programmes d’urgence et de développement fonctionnent, que des ONG à taille humaine telles l’association d’Ermine Norodom, et ses partenaires, peuvent faire un travail discret, patient et porteur de résultats, mais, depuis 1992 que l’Occident pétri de remords et de culpabilité a décidé de venir, enfin, en aide à un Cambodge ravagé par la guerre, il reste encore peut-être un peu trop de ces regards tristes chez les gens de peu, ces petits des générations après-guerre dont l’avenir reste incertain.
Le débat sur les ONG reste et restera encore longtemps dans l’actualité, mais là n’est pas le propos. Ce qu’il est important de souligner est qu’il y a la possibilité de faire un geste, gratuit, généreux, sans arrière pensée et surtout en oubliant aussi le faux débat concernant la pertinence ou non d’intervenir dans les situations d’urgence sous prétexte que certains déclarent qu’il faut aider, d’autres non…. etc. Ces enfants de Boeng Trabeck, cette petite fille au regard triste ont besoin d’aide, il est possible de le faire et il y a des résultats. Offrez-leur un petit Noël, quelques vêtements, une scolarité, ce ne sera jamais perdu.
« J’ai des sponsors réguliers, l’aide logistique d’autres ONG, des donateurs occasionnels, explique Ermine Norodom, et je leur suis particulièrement reconnaissante »
« Toutes les aides sont les bienvenues, quelques vêtements, du riz, ces gens sont démunis, vraiment démunis, le moindre geste a un impact dans leur vie quotidienne. De surcroît, mon association reste à taille humaine et les sponsors sont informés de l’utilisation de leurs donations, certains nous rendent visite, il y a une réelle attention qui se développe vers cette communauté de défavorisés… ».
Il est 18 h. Ermine et Pisey passent dire bonsoir à une grand-mère qui vient de rejoindre le programme. Son histoire est aussi difficile, ses enfants étaient partis en Thaïlande pour travailler, ils lui ont envoyé de l’argent une fois, puis ils ont disparu… la solidarité, concept parfois bien malmené dans ce Cambodge en effervescence, a joué dans le bidonville.
La propriétaire du cabanon ne lui facture plus les vingt dollars mensuels de loyer et les voisins lui apportent chaque jour à manger. Avec l’allocation de Shanty Town, la grand-mère peut à présent vivre un peu plus décemment et nourrir les deux autres garçons dont elle a la charge.
Ensuite, alors qu’Ermine et Pisey gravissent le petit monticule de terre qui donne accès à la route principale, juste au-dessus du bidonville, un karaoké d’où s’échappent des odeurs de shampoing, de parfum bon marché, et d’encens, allume son enseigne alors que quelques jeunes filles commencent à s’aligner devant l’entrée. Oui, c’est aussi le danger qui menace ces gamines de Boieng Trabeck et de bien d’autres enfants des bidonvilles de Phnom Penh.
Texte et photographies par Christophe Gargiulo
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