C’est en février 2008 que la municipalité de Phnom Penh inaugurait fièrement la statue du célèbre musicien et poète appelé Krom Ngoy (1865-1936).
Située dans le parc public en face de l’hôtel Cambodiana, ce monument commémoratif fut bâti de cuivre et d’or et atteint une hauteur d’environ deux mètres. Lors de l’inauguration, le gouverneur de Phnom Penh, Kep Chuktema avait déclaré : « Nous avons construit cette statue pour honorer les efforts et la contribution de Krom Ngoy dans la société cambodgienne. Ses paroles sont devenues, quelque part, des codes de moralité du peuple cambodgien. »
Krom Ngoy (ក្រមង៉ុយ)
L’artiste Krom Ngoy était un joueur de Tro-Ou, un instrument de musique traditionnelle proche du violon. Les historiens prétendent que cet instrument date de la période Lungvek, de 1528 à 1594. La caisse de résonance est fabriquée à partir d’une noix de coco dont l’une des extrémités est recouverte d’une peau de serpent ou d’un cuir de veau. Traditionnellement, les deux cordes étaient en soie ou en boyau.
Mais, ce ne sont pas tant ses qualités de musicien qui ont permis au troubadour de passer à la postérité.
Ses nombreux poèmes chantés sous forme de Chapei abordaient des sujets propres à la société cambodgienne. Beaucoup de ses œuvres ont été utilisées comme référence — guide que les Cambodgiens utilisaient pour l’éducation de leurs enfants. Ses textes que certains historiens décrivent comme fascinants, étaient utilisés dans les écoles cambodgiennes. En 2017, ces derniers ont même été publiés à nouveau pour les écoliers.
Krom Ngoy
Militant
Poète et chanteur, Krom Ngoy se montrait assez militant dans ses œuvres. Les nombreux sujets abordés comptaient, entre autres : la vie des paysans, les mariages traditionnels, la pauvreté, la répression et l’oppression du peuple khmer par les étrangers, le besoin d’indépendance du royaume, et la survie de la culture et de la littérature khmères.
Jeunes années
Le troubadour naît en 1865 sous le nom d’Ouk Ou, dans le village d’Andong Svay, province de Kandal. Son père, Ouk, était le chef de la commune de Kombol et portait le titre royal de Chao Ponhea Dharma Thearea. Sa mère s’appelait Ieng, fille de Chao Ponhea Poc, chef de la commune de Spean Thmor.
Au cours de son enfance, Krom Ngoy étudiera l’arithmétique et la littérature au temple de Boeng Chork dans le village de Baek Skor, dans son district natal. C’était un enfant particulièrement studieux. Il fut rapidement ordonné novice bouddhiste dans le temple du village.
Quelques années plus tard, il quittera le monastère pour travailler avec ses parents. À l’âge de 21 ans, il sera de nouveau ordonné moine dans son ancienne pagode sous la direction de M. Sass et des vénérables Chrouk et Oung, ses maîtres religieux.
Il restera dans la pagode pendant cinq ans. Après avoir acquis suffisamment de connaissances, il décidera alors de mener une vie laïque. Après avoir quitté l’établissement religieux, il retournera travailler pour son père en tant que conseiller juridique. Il quittera ensuite son poste au gouvernement et deviendra simple agriculteur.
Talents
Krom Ngoy était un poète talentueux avec la capacité de se remémorer de nombreuses histoires anciennes, religieuses ou laïques. Il se révéla aussi un musicien et chanteur très doué, joueur de Tro-Ou et aussi de Ksedeav, autre instrument traditionnel semblable à une guitare. Les villageois adoraient ses poèmes chantés et considéraient son auteur comme un grand érudit. Ils l’appelaient « Phirum Ngoy », Ngoy, le maître de la langue.
Apparence
Ngoy était un homme de grande silhouette, au ventre bombé, qui aimait se faire couper les cheveux courts et laisser pousser sa moustache. Il se plaisait à porter une jupe Chorng Kben, une chemise à col rond avec de gros boutons, se chaussant de simples tongs et arborant un chapeau en forme de nid d’oiseau.
Troubadour
Partout où il se rendait, Krom Ngoy utilisait sa canne, utilisée simplement comme bâton de marche, et portait un sac suspendu à son épaule. Il parcourait la campagne avec ses instruments démontés dans son sac, prêts à être assemblés à tout moment.
Après la saison des récoltes, le poète se trouvait fréquemment invité par des villageois à chanter pour leurs fêtes de village. Il ne les faisait jamais payer pour ses représentations. Mais, reconnaissants, les villageois lui donnaient de l’argent et du riz. Lorsqu’il se rendait à Phnom Penh, il séjournait à la pagode Ounnalom (siège du patriarche bouddhiste cambodgien) afin de discuter de diverses questions religieuses avec les plus anciens moines bouddhistes résidant au temple.
Célébrité
La réputation due au talent du poète parvint aux oreilles de Sa Majesté le roi Sisowath. Le monarque l’invita à chanter au palais royal. Conquis par ses talents, il invita l’artiste à intégrer la troupe royale et lui décerna le titre royal de « Ou, le maître des langues ». Mais, comme il y avait dans la troupe un artiste qui s’appelait Ou, Sa Majesté demanda à tout le monde de l’appeler Ngoy ou Krom Ngoy (Ngoy, l’expert). Ce qui deviendra son nom définitif.
Au-delà du Cambodge
La réputation de Ngoy en tant que poète au talent exceptionnel ne se limitera pas au Cambodge, elle parviendra au Royaume de Thaïlande. Le prince siamois Krom Pra Thamrung Rajanupharp et un Français, Georges Coedes, eurent une audience avec le roi Sisowath. Lors des représentations musicales en l’honneur des deux invités au palais royal, Krom Ngoy surclassa les autres musiciens avec son Ksedeav.
Le roi thaïlandais qui eut vent de la performance envoya une lettre au roi khmer demandant la permission d’inviter Krom Ngoy à chanter pour lui à Bangkok. Krom Ngoy se rendit en Thaïlande pendant trois mois. Et, le roi thaïlandais lui décerna alors le titre de « phai roh leou kern » (le maître de la voix mélodieuse).
De retour au Cambodge, Krom Ngoy acquit le statut d’idole au point que les autres troubadours craignaient de jouer sur la même scène ou durant un même festival.
Postérité
En 1930, Mlle Suzanne Karpeles, une chercheuse française qui joua un rôle important dans la revitalisation du bouddhisme dans le royaume, demanda à Ngoy de chanter à nouveau toutes ses œuvres afin que les érudits de l’Institut bouddhiste puissent les transcrire et les publier.
En récompense, Mlle Karpeles donna à Krom Ngoy 1 riel en espèces en gage de son amour pour la culture khmère. Afin de préserver son œuvre, l’Institut Bouddhiste publia sa poésie en quatre livres et les regroupa plus tard en un seul ouvrage.
Descendance
Le maître de la langue Ou était marié à Mme In qui lui donna six fils. Parmi eux, un seul semblait avoir hérité de son talent. Chong, le sixième fils qui s’appelait Achar Chong (Achar signifiant « un homme instruit »), devint chanteur de Ayai. Le Ayai est une autre forme de performance musicale en duo, souvent composée d’un homme et d’une femme qui se lancent des commentaires sarcastiques en chantant.
Krom Ngoy est décédé en 1936 à l’âge de 71 ans, suite à des problèmes intestinaux.
En 1975, la Banque Nationale du Cambodge émettra un billet de 5000 riels à son effigie qui ne circulera pratiquement pas en raison des événements tragiques qui frappèrent le royaume cette année-là.
Bibliographie :
Norodom Sihanouk, La Monarchie Cambodgienne et la Croisade Royale pour L’Indépendance, pages 53 et suivantes
Yi Thon, Khmerization.blogspot.com
Ministère de l’Information, Le Cambodge et La Monarchie Cambodgienne, 1962
Eng Soth, Ekasar Mohaboross Khmer.(Documents About The Khmer Great Personalities)
Krom Ngoy’s Codes of Conduct, The Buddhist Institute, 1972
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