Le Cambodgien Sothy Chen a rejoint le groupe de restauration Thalias en 2009. Depuis lors, il n’a cessé de gravir les échelons, relevant les défis à chaque étape du chemin jusqu’au poste à responsabilité qu’il occupe aujourd’hui.
Sothy se révèle un personnage aujourd’hui chaleureux et extraverti, parlant couramment l’anglais, le français, le thaï, le chinois et le japonais. Sothy confère une approche réfléchie et feutrée à ses devoirs, probablement influencée par les dix années qu’il a passées comme moine. Sothy donne un excellent exemple à ses collègues et n’oublie jamais l’importance de mettre son équipe au défi de sortir de sa zone de confort, en l’encourageant à s'émanciper et à apprendre avec lui. Rencontre :
CM : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, parlez-nous un peu de vous
Je m’appelle Chen Sothy, j’ai 38 ans et je suis originaire de Takéo, une ville située à 55 km de la capitale Phnom Penh. J’ai cinq frères et quatre sœurs, nous sommes donc une grande famille de douze. Mon père exerçait comme médecin traditionnel et ma mère était femme de maison. Nous avions également une petite rizière et nous cultivions donc le riz comme des paysans. Aujourd’hui, je suis chef de restaurant chez Topaz, je suis marié et j’ai deux enfants.
CM : Parlez-nous de votre enfance, de votre scolarité
J’ai commencé l’école à l’âge de huit ans à Phnom Chisor. J’aimais l’école et j’étais assez bon élève. Mais, comme notre famille était pauvre, à l’âge de 16 ans, j’ai décidé d’arrêter ma scolarité et de rentrer dans les ordres. Je suis donc devenu novice puis moine bouddhiste pendant 10 ans. La première pagode ou j’officiais était celle Phnom Chisor ensuite, après avoir fréquenté plusieurs pagodes de la région, je suis parti sur Phnom Penh en 1999.
CM : N'avez-vous jamais eu envie de suivre les traces de votre père ?
Je n’ai jamais eu envie de suivre le même chemin que mon père. Sa vie n’était pas facile. Il avait beaucoup de clients, mais peu de revenus. Dans cette activité, les gens donnent ce qu’ils veulent ou, souvent, ce qu’ils peuvent.
CM : Comment se passait la vie de moine ?
Ce n’était pas une vie facile, car là aussi, il fallait compter sur la générosité des gens. Mais, ayant beaucoup de temps pour étudier, j’ai pu me consacrer à l’apprentissage des langues étrangères. C’est un sujet qui me passionne. J’ai donc pris le temps d’apprendre l’anglais, le français, mais aussi le thaï. D’ailleurs, c’est lors d’un séjour en Thaïlande que j’ai décidé plus tard de quitter la vie de moine. Le maître de la pagode chez qui j’apprenais le thaï m’a conseillé de rentrer au Cambodge et de chercher une carrière plutôt que de rester dans les pagodes ou j’aurais certainement peu l’occasion de pratiquer les langues étrangères que j’apprenais.
CM : vous avez quitté l’habit de moine, et ensuite ?
Lorsque j’ai quitté la vie de moine, j’ai cherché du travail à Phnom Penh. Le premier poste que j’ai occupé se trouvait dans une maison d’hôtes. Mais, je travaillais de nuit et cela ne m’emballait pas vraiment. J’ai donc assez rapidement enchaîné avec un autre emploi comme réceptionniste dans un hôtel.
Le premier restaurant dans lequel j’ai travaillé s’appelait La Résidence. J’y suis resté quatre mois comme commis puis j’ai enchaîné dans un hôtel boutique de la capitale. Ensuite, j’ai commencé à travailler au restaurant Topaz. Je me rappelle d’ailleurs exactement de la date du premier jour, c’était le 19 février 2009.
CM : Dans quelles circonstances avez-vous intégré le groupe Thalias ?
Une cousine de mon épouse y était employée et m’a conseillé de postuler, car il y avait des besoins en personnel. J’ai obtenu un entretien d’embauche avec Richard Gillet, actionnaire du groupe, et j’ai dû effectuer un essai dès l’entretien et mon assesseur était Monsieur Alain Darc. Cela s’est bien passé et j’ai donc rencontré le directeur de Topaz de l’époque qui était apparemment ravi d’accueillir dans l’équipe un Cambodgien qui parlait anglais, français et thaï. J’ai donc été recruté comme chef de rang. Puis, mon poste a évolué assez rapidement, je suis passé superviseur, puis assistant de direction puis maître d’hôtel et enfin chef de restaurant depuis 2017.
CM : Avez-vous du suivre des formations ?
Oui, bien sûr, j’ai aussi énormément appris sur le terrain avec « Papa » (Alain Darc), avec le chef Sopheak et beaucoup d’anciens de l’équipe. C’est un groupe qui privilégie la formation en interne et aussi à l’extérieur. j'ai effectué un apprentissage chez Khéma, une autre enseigne du groupe, on m’a également envoyé en Thaïlande pour visiter les restaurants étoilés Michelin. Il était prévu que je me rende en France cette année, mais, en raison du Covid-19, le projet est remis à plus tard.
CM : En quoi consiste votre travail ?
Cela consiste surtout en l’organisation des équipes, veiller à ce que tout soit prêt et que les « opérations » se déroulent bien. Nous avons appris à rechercher l’excellence en permanence dans notre prestation et le moindre détail est important. Papa Darc vient d’ailleurs régulièrement veiller à que la clientèle soit servie de façon irréprochable. Il est intransigeant, mais il sait faire passer les messages et veiller à ce qu’ils soient assimilés et aussi mis en pratique. Pour moi, c’est une parfaite ligne de travail et de conduite et « Papa » exerce un contrôle qualité redoutable.
CM : Pouvez-vous nous décrire votre journée de travail ?
D’abord j’arrive au Topaz à 9 h 30. Je vérifie en premier les réservations, les emplois du temps des équipes, nous nous réunissons avec l’ensemble du personnel pour discuter du travail de la veille et comment améliorer le service au besoin. C’est important, car nous sommes 37 personnes à travailler dans le restaurant. Ensuite, le Topaz est opérationnel à partir de 11 h. Pendant le service, mon rôle consiste essentiellement à surveiller le bon déroulement du travail des équipes. Après le déjeuner, j’ai une pause jusqu’à 17 h 30. J’en profite pour passer un peu de temps chez moi à Chhbar Ampov. Puis, je reviens au restaurant pour dîner avec mes collègues puis nous préparons les opérations du soir. En général vers 22 h, lorsque le service est terminé, je rentre chez moi.
CM : Qu’est-ce qui vous fait aimer ce travail ?
J’aime ce travail, car je suis d’un naturel assez discret et effacé et en évoluant ici, je rencontre beaucoup de monde, beaucoup de personnalités aussi et cela m’aide beaucoup à vaincre cette timidité. Ce métier me change également beaucoup de la vie de moine (rire). Il y a aussi des tâches administratives et là aussi, je suis ravi d’apprendre, car je n’étais pas naturellement porté vers ce type de travaux.
CM : Que faites-vous de votre temps libre ?
J’adore apprendre, actuellement j’ai décidé de me mettre au chinois. Depuis avril dernier je me suis débrouillé seul, avec des tutoriels sur YouTube et je parviens aujourd’hui à prendre des réservations et des commandes dans cette langue.
CM : Aimez-vous la cuisine française ?
J’adore la cuisine française, j’aime tous les plats donc il est inutile de me demander celui que je préfère (rires).
CM : Sothy est donc un homme heureux ?
Oui, je suis un homme heureux.
CM : Souhaitez-vous que vos enfants suivent le même chemin ?
Mes enfants feront ce qu’ils ont envie de faire, je n’ai pas envie de leur imposer quoique ce soit. Par contre, ils apprennent le chinois, car c’est une langue devenue quasi indispensable de nos jours pour travailler en Asie.
Propos recueillis par Christophe Gargiulo
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