Lourd réquisitoire du Docteur Raoul Jennar, consultant en relations internationales et spécialiste du Cambodge, contre une certaine presse occidentale qui, selon lui, veut du mal au Cambodge. L’auteur de cette chronique fait allusion au récent article de la revue The Diplomat à propos de la traite d’êtres humains. Un article qu’il qualifie de partial et arrogant.
Pendant près de 60 ans, The Far Eastern Economic Review a été la revue d'information la plus fiable et la plus influente d'Extrême-Orient. Elle a progressivement disparu entre 2004 et 2009. Avec un tel degré d'honnêteté et de rigueur intellectuelles, elle n'a jamais été remplacée.
Le magazine d’information basé à Washington qui tente de prendre la relève est loin d’atteindre ce niveau de qualité. Il a beau s’appeler The Diplomat, la plupart de ses articles ne témoignent pas du souci d’objectivité et de nuance que requièrent les rapports diplomatiques.
Partialité
Les articles sur le Cambodge offrent un exemple spectaculaire de partialité et d’arrogance. Partialité, parce que les informations fournies sont systématiquement déséquilibrées en ce sens qu’elles ne présentent, sur chaque sujet, que les aspects négatifs sans jamais mentionner les points positifs. Ce qui donnerait du crédit aux efforts des autorités qui font l’objet, pour cette revue, d’un rejet systématique. Arrogance, parce que, comme la plupart des Occidentaux, les journalistes de ce news magazine se positionnent en chevaliers blancs, en croisés, d’un modèle démocratique et du respect des droits de l’homme qu’ils oublient complètement dès que les intérêts occidentaux imposent de les ignorer.
Mémoire
En Occident, on oublie très vite d’où vient le Cambodge et qui en est la cause. On oublie très vite l’ingérence déstabilisatrice des États-Unis dans les années 50 et 60, les bombardements massifs de l’US Air Force, le coup d’État de 1970, le silence pendant le génocide et l’anéantissement d’une société et d’une nation par le régime de Pol Pot, qui a transformé un pays entier en camp de travail forcé et d’extermination.
Surtout, en Occident, on oublie 12 ans d’embargo pratiqué avec zèle par les gouvernements occidentaux pro-droits de l’homme privant un peuple de survivants des droits les plus fondamentaux à l’alimentation, à la santé, à l’éducation, au logement, au travail et même à la paix. Il y a 44 ans, le Cambodge a été ramené à l’âge de pierre, la plupart des personnes éduquées se trouvant dans les fosses communes de Pol Pot. Cela fait seulement 32 ans que l’embargo a été levé. Peut-on sérieusement penser qu’un pays, qui n’a jamais connu la démocratie à l’occidentale, puisse devenir en quelques décennies une démocratie avancée sur le modèle de la Suède ou du Canada, après les horreurs des années 70, l’embargo des années 80 et la poursuite de la guerre que l’opération de l’ONU n’a pas réussi à arrêter ? Surtout quand on connaît les graves imperfections démocratiques de certaines grandes puissances occidentales et les difficultés qu’elles rencontrent pour les résoudre. Tout cela doit toujours être répété, car les observateurs occidentaux ont la mémoire courte. Ignorant le passé récent du Cambodge ou refusant de le prendre en compte, ils rapportent une vision caricaturale et déséquilibrée du présent.
Déni
Il y a un déni total de ce passé et de ses conséquences sur le Cambodge d’aujourd’hui dans un magazine comme The Diplomat. Cela nécessiterait de la nuance, un sens aigu de la rigueur intellectuelle, un souci d’impartialité, qualités journalistiques totalement absentes de cette publication. Un article récent nous en offre un exemple spectaculaire.
Sous le titre « Les touristes chinois ont de bonnes raisons de ne pas retourner en Asie du Sud-Est », cet article s’efforce de présenter une image très négative du Cambodge en caricaturant la question du trafic d’êtres humains au Cambodge et au Myanmar, deux pays associés par l’auteur de l’article pour faire croire que le Cambodge n’est rien d’autre qu’une dictature semblable au régime militaire génocidaire du Myanmar.
Que prétend cet article ? Tout d’abord, que l’infamie de la traite des êtres humains est née dans les casinos créés au Cambodge pour servir aux jeux d’argent en ligne et que suite à la pandémie du COVID, les casinos vides ont été transformés en centres de jeux d’argent en ligne où des milliers de victimes de la traite des êtres humains sont forcées de travailler depuis la fin de la pandémie.
Et l’article veut faire croire aux lecteurs que les autorités cambodgiennes n’ont rien fait contre ces activités criminelles parce que (je cite) « elles ont passé le meilleur des quatre dernières années à emprisonner des personnalités politiques de l’opposition ». Ensuite, l’article indique qu’un film de fiction réalisé en Chine et intitulé « No More Bets » décrit le sort dramatique de Chinois victimes au Cambodge de trafiquants et contraints de travailler dans des usines à escroqueries en ligne. Les faits décrits dans ce film sont, selon l’article, confirmés par un rapport de l’ONU qui affirme que 100 000 personnes au Cambodge sont potentiellement retenues contre leur gré et forcées par des syndicats du crime à travailler sur des sites d’escroquerie en ligne. Enfin, l’article invente un soi-disant « club CLMV », réunissant le Cambodge, le Laos, le Myanmar et le Vietnam, dans lequel le Vietnam se distinguerait des trois autres par l’importance de ses échanges avec les États-Unis, tandis que les trois autres seraient totalement dépendants de la Chine. Ce qui amène l’auteur de l’article à conclure : » Si l’on ajoute à cela l’image déplorable des voisins du Vietnam à l’étranger et leur politique pro-chinoise, il n’est peut-être pas surprenant, selon des sources de l’ASEAN, que le Vietnam veuille sortir du « club CLMV ».
Et pourtant
Que cache cet article à ses lecteurs ? Tout d’abord, les autorités cambodgiennes sont très conscientes du drame insupportable que représente la traite des êtres humains dont elles ne sont en rien responsables.
Il n’y a aucun lien entre le gouvernement cambodgien et le crime organisé international. Des décisions très fortes ont été prises. Les jeux d’argent en ligne ont été interdits dans le Royaume, ce qui a eu pour conséquence que 447 676 Chinois ont quitté le Cambodge.
Ce que l’article ne dit pas, c’est que la traite des êtres humains est un fléau qui touche de nombreux pays et pas seulement le Cambodge et le Myanmar. Ce qu’il passe sous silence, c’est l’excellente coopération entre le Cambodge et ses voisins et alliés au sein de l’ASEAN pour lutter contre cette activité criminelle. Ce qu’il feint d’ignorer, c’est que cette lutte contre la traite des êtres humains est un combat de tous les jours qui nécessite de lutter à la fois contre cette pratique criminelle et contre ce qui l’encourage, la pauvreté et le sous-développement. Bien évidemment, The Diplomat passe sous silence les efforts considérables déployés par les autorités cambodgiennes pour équiper et développer le pays et les résultats spectaculaires obtenus, malgré la pandémie. Cette publication cite les rapports internationaux qui critiquent le Cambodge sur les droits de l’homme et la démocratie, mais elle ne dit jamais rien des rapports internationaux qui soulignent les énormes progrès sociaux et économiques réalisés et la gestion impressionnante de la pandémie. Parce que cela contredit sa fiction sur le club CLMV, l’article feint d’ignorer que les deux plus importants marchés d’exportation pour les produits cambodgiens sont les États-Unis et l’Union européenne.
Le lendemain de la publication de cet article, The Diplomat est revenu sur le sujet, suite à la demande du ministère cambodgien de la Culture à l’ambassade de Chine de ne pas présenter ce film au Cambodge. Cela a donné à The Diplomat une nouvelle occasion de lancer de fortes accusations et d’affirmer que, ces dernières années, le Cambodge est devenu un centre majeur de ces opérations criminelles et qu’il n’y a eu que quelques mesures de répression limitées parce que ces activités criminelles impliquaient des membres riches et influents de l’élite cambodgienne.
Une fois de plus, suggérer qu’il existe une volonté délibérée d’autoriser ou même d’encourager la traite des êtres humains et de fermer les yeux sur les escroqueries en ligne sont des accusations extrêmement graves qui ne sont étayées par aucun ensemble cohérent de preuves fournies par The Diplomat.
De toute évidence, The Diplomat est une publication qui veut du mal au Cambodge, qui veut ruiner son développement et en particulier son développement touristique comme en témoigne l’article « Chinese Tourists have good reasons not to return to Southeast Asia » (l’Asie du Sud-Est se limitant dans ce cas au Cambodge et au Myanmar).
Raoul Jennar - article paru dans l'AKP version anglaise
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