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Nature : Prek Kampi et les dauphins du Mékong, conservation ou écotourisme ?

Le ministère de l’Environnement dirige actuellement un groupe de travail spécial, destiné à proposer l’inscription de Prek Kampi au patrimoine mondial naturel de l’UNESCO.

Dauphin du Mékong à Kratié
Dauphin du Mékong à Kratié

L’objectif du ministère est de protéger les zones abritant les dauphins de l’Irrawaddy (Orcaella brevirostris), plus communément appelés dauphins du Mékong. En préservant Prek Kampi, le gouvernement souhaite également développer cette région en attirant les « écotouristes ».

Liste rouge

La région de Prek Kampi, située dans la province de Kratié, demeure l’endroit du Cambodge le plus fréquenté par le dauphin du Mékong, un mammifère inscrit sur la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Il ne reste aujourd’hui que trois pays dans le monde où vit ce dauphin. Et, c’est le Cambodge qui en compte le plus avec 92 individus, suivi de l’Indonésie et de la Birmanie, qui en dénombrent chacun une soixantaine.

Le Mékong à Kampi
Le Mékong à Kampi

À propos

Le dauphin de l’Irrawaddy est un animal craintif de couleur gris foncé avec un dessous plus pâle, une petite nageoire dorsale et une tête arrondie. Il peut atteindre 2,75 m, peser jusqu’à 150 kg et vit normalement en groupes de 5 à 6 individus, parfois on a pu observer des groupes de 15 mais cela est beaucoup plus rare. Le dauphin de l’Irrawaddy est l’une des trois espèces de cétacés pouvant vivre à la fois dans les eaux douces et marines. Les dauphins marins habitent les zones côtières, en particulier les eaux saumâtres, tandis que les populations d’eau douce préfèrent les régions plus profondes des lacs et des grands fleuves.

Dauphin du Mékong à Kratié
Dauphin du Mékong à Kratié

Diminution des populations

On trouvait autrefois le dauphin de l’Irrawaddy dans tout le Mékong, de la frontière lao cambodgienne vers le bas du Mékong jusqu’au delta du Vietnam et dans le lac Tonlé Sap. Leur population et leur aire de répartition ont diminué de façon dramatique au cours des 40 dernières années. Pendant la saison sèche de janvier à mai, lorsque les niveaux d’eau baissent, la population des dauphins est concentrée dans neuf bassins d’eau profonde sur un tronçon de 190 km du Mékong au nord de Kratie jusqu’à la frontière laotienne. Bien que ces piscines naturelles leur fournissent un habitat sûr pour se reposer et se nourrir, ces regroupements les rendent également vulnérables aux activités de pêche. Pendant la saison des pluies, des dauphins sont parfois aperçus au sud de Kratie.

Les dauphins de l’Irrawaddy passent la plupart de leur temps à chasser pour se nourrir. Ce ne sont pas des animaux particulièrement actifs ni acrobatiques. Ils plongent généralement moins de 2 minutes, mais restent plus longtemps sous l’eau lorsqu’ils sont effrayés. L’espérance de vie des dauphins de l’Irrawaddy est d’environ 30 ans. Les jeunes affichent des taux de croissance impressionnants. À la naissance, ils mesurent environ 1 m et pèsent 12 kg, ils gagnent ensuite plus de 50 cm et 33 kg au cours de leurs 7 premiers mois. Les femelles donnent naissance tous les 2 ou 3 ans.

Les dangers

Historiquement, les populations ont été décimées par la chasse, la noyade accidentelle dans les filets, la pêche aux explosifs et aussi en étant utilisés comme cibles par diverses factions armées pendant les périodes de guerre. Aujourd’hui, la noyade dans les filets demeure la principale menace pour les dauphins adultes dans le Mékong, en particulier avec une pêche de plus en plus intensive pratiquée avec des filets maillant en nylon remplaçant les filets traditionnels plus épais qui pouvaient auparavant être détectés par le système d’écholocalisation des dauphins. Mais de nombreuses autres menaces existent :

Les barrages hydrauliques et les systèmes d’irrigation réduisent leur habitat, surtout pendant la saison sèche. Les pesticides, les métaux lourds, les particules de plastique et d’autres contaminants provenant de l’industrie, de l’agriculture et des rejets urbains sont aussi des causes directes de la mortalité des dauphins. Étant donné que bon nombre de ces polluants sont persistants, ils risquent d’affecter la biodiversité locale pendant de nombreuses années.

Dauphin de l’Irrawaddy (Orcaella brevirostris)
Dauphin de l’Irrawaddy (Orcaella brevirostris)

Le trafic de bateaux sur le Mékong augmente également avec la croissance démographique, le développement et le tourisme. Cela peut déranger les dauphins, entraîner du stress et des maladies, et même provoquer la mort de ceux-ci par collision avec de grandes embarcations. Une autre menace pour les dauphins de l’Irrawaddy serait la pollution sonore des navires à grande vitesse. Cela les obligerait à plonger beaucoup plus longtemps, ce qui les épuise.

Conservation et résultats mitigés

Les dauphins de l’Irrawaddy sont protégés en tant qu’espèce menacée par la loi cambodgienne. En 2005, l’ONG WWF a établi le projet cambodgien de conservation des dauphins du Mékong avec le soutien du gouvernement et des communautés locales. L’objectif était de soutenir la survie de la population restante grâce à des activités de conservation ciblées, à la recherche et à l’éducation. En janvier 2012, l’Administration cambodgienne des pêches, la Commission pour la conservation et le développement de la zone d’écotourisme des dauphins du Mékong et le WWF ont signé la « Déclaration de Kratié » sur la conservation du dauphin d’Irrawaddy du Mékong, un accord les obligeant à travailler ensemble, et à établir une feuille de route pour la conservation des dauphins dans le Mékong. Le 24 août 2012, le gouvernement cambodgien a annoncé qu’un tronçon de 180 kilomètres de long du fleuve Mékong, de l’est de la province de Kratie à la frontière avec le Laos, était déclaré comme zone de pêche « restreinte ». Maisons flottantes, pièges traditionnels et filets maillant étaient interdits, mais la pêche simple restait autorisée. Aujourd’hui, les règles sont appliquées par un contingent de 32 gardes de rivière, et les autorités cambodgiennes affirment que la mortalité globale des dauphins a considérablement diminué :

« C’est sans aucun doute grâce aux efforts de conservation que nous voyons plus de dauphins », indique Eam Sam Un, responsable de l’ONG WWF au Cambodge.

L’attention accordée aux dauphins a également des retombées positives pour d’autres espèces sauvages dans la région écologiquement troublée du Mékong, explique le très médiatique Zeb Hogan, biologiste à l’Université du Nevada, qui dirige un projet de recherche de l’USAID appelé « Wonders of the Mekong » :

« Le dauphin du Mékong est une espèce phare, il est bien connu dans la région, très visible et suscite l’intérêt et les financement nationaux et internationaux pour la conservation ».

Zeb Hogan au Cambodge
Zeb Hogan au Cambodge

« La protection des dauphins aide à protéger l’habitat des autres espèces sauvages de la région, y compris les tortues en voie de disparition et les poissons de grande taille. », a-t-il déclaré récemment dans les colonnes de National Geographic.

Une plus grande participation des communautés locales a aussi contribué à enrayer — retarder ? l’extinction dans la région, disent les défenseurs de l’environnement. Vénérés au Cambodge et au Laos, où de nombreuses personnes croient que les animaux sont des réincarnations de leurs ancêtres, les dauphins de l’Irrawaddy sont devenus un centre d’intérêt de l’écotourisme au Cambodge, un secteur en plein essor.

À la recherche des dauphins
À la recherche des dauphins

Ces mécanismes de coopération ont été essentiels pour parvenir à un « succès mesuré ». L’ONG WWF-Cambodge, en collaboration avec les autorités provinciales et les communautés locales, a mis en œuvre une série de recommandations et se targue d’avoir obtenu quelques « résultats ».

Si la sauvegarde de cet animal emblématique de la région n’est en rien assurée — les scientifiques eux-mêmes déclarent mal connaitre cette espèce — au moins l’ONG WWF a-t-elle permis de compiler régulièrement des données sur ces animaux en péril et de les observer. Ces données montrent qu’à partir de la stabilisation de la population de dauphins depuis 2010, le nombre de nouveau-nés a augmenté, avec cinq à douze nouvelles naissances chaque année en moyenne depuis 2007 alors que le nombre de décès diminuait.

Toutefois, rien n’indique que ce soit une réelle performance, car c’est une région qui a subi une pression de pêche intense pendant plusieurs décennies et le manque de données quant aux possibilités de reproduction en milieu naturel sans perturbation, mais aussi sur certaines mystérieuses pathologies qui affectent ces animaux, ne permet pas de comparaison fiable et rend difficile les projections.

Optimisme

Toutefois, le ministère de l’Environnement se dit optimiste quant aux probabilités de succès d’inscription de la zone d’habitat des dauphins, Prek Kampi, au patrimoine mondial naturel de l’UNESCO. Le porte-parole du ministère de l’Environnement, S.E. Neth Pheaktra, a déclaré à l’agence Kampuchéa Presse que le Cambodge avait déjà reçu la reconnaissance de l’UNESCO pour plusieurs sites du patrimoine culturel, notamment Angkor Wat, le temple Preah Vihear et le groupe de temples Sambor Prei Kuk, ainsi que d’autres trésors culturels immatériels.

« Aussi, au cours des 20 dernières années, le nombre de dauphins de l’Irrawaddy du Cambodge a régulièrement augmenté, mais davantage d’efforts de préservation et de sensibilisation du public pour les protéger sont absolument nécessaires »
Iles et pontons de Kampi
Iles et pontons de Kampi

« Bien que l’objectif principal de la proposition à l’UNESCO soit de mieux protéger le mammifère en voie de disparition, elle pourrait aussi contribuer à promouvoir la popularité de ces dauphins, attirer plus de touristes dans la région et améliorer ainsi l’économie locale », conclut S.E. Neth Pheaktra.

CG

Notes : AKP & WWF et Nat Geo

Illustrations: Water alternatives & Jim Davidson, USAID et Erwan Deverre

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