« Des leçons de vie en dehors des salles de classe », c’est ainsi que les jeunes volontaires du DC Cam qualifient leur récente visite et discussion auprès de plusieurs survivants du régime des Khmers rouges.
Avec le temps, les hommes et les paysages guérissent, les seconds souvent bien plus rapidement que les premiers. Les zones de guerre et les sites d’atrocités d’hier peuvent rapidement être recouverts de feuillage, d’arbres et de la beauté de la nature, effaçant ainsi presque complètement l’histoire des atrocités.
« Donner aux jeunes la possibilité d’apprendre, ce n’est pas seulement préserver la mémoire et la justice, c’est aussi construire un avenir meilleur. »
Lors d’une récente visite dans un petit village, Bak Nim situé à la limite de Takeo et Kampot, les jeunes volontaires du Centre de Documentation du Cambodge (DC-Cam) ont remarqué la différence frappante entre le passé sombre et la beauté actuelle de la communauté qu’ils ont visitée. Mais la mémoire humaine ne s'efface jamais totalement et les survivants ont livré une belle leçon sur la fragilité de la vie.
Témoignages
Chung Yoeun
C'est une journée ensoleillée et nous nous arrêtons devant une maison en béton. Mon équipe et moi nous présentons aux villageois et leur demandons de nous accorder du temps pour une interview. Phorn Vanny assume le rôle de journaliste pour ce premier survivant assez âgé qui accepte volontiers de raconter son histoire.
En 1975, Chung Yoeun a été affecté à une unité mobile pour construire des barrages à Steung Thae. Il a ensuite été transféré à Mlech où il a poursuivi le même type de travail. Il est ensuite devenu chef de trois villages : Phum Touch, Tan Ten, et Khna Rameas.
Il se considère comme un pseudo-sauveur pour certaines personnes qui auraient, selon lui, certainement été persécutées ou tuées. Il en est persuadé, car, comme il l’affirme, il a veillé sur de nombreuses personnes de haut rang ou associées au gouvernement précédent, riches ou ayant un statut élevé. Les « nouvelles personnes » comme les surnommaient les Khmers rouges.
Il a aidé ces gens-là à survivre au régime meurtier. Ensuite, il est parti à Koh Thla pour participer à la construction de barrages jusqu’en 1979, date à laquelle les Vietnamiens sont arrivés. À la chute du régime khmer rouge, il s’est enfui dans la montagne Leh Bang. Il lui faudra de nombreuses années avant de pouvoir enfin rentrer chez lui.
Loeun Sok Noeun
C’est en soirée que nous arrivons chez cette villageoise. L'atmosphère est paisible, son terrain rempli de verdure, et en sortant du véhicule, je sens une douce brise dans l’air. Je regarde autour de moi et je vois cette femme sur un lit en bois sous sa maison avec trois enfants à côté d’elle qui nous regardent confusément.
Je me dirige vers sa maison, elle se lève et nous accueille chaleureusement. Nous nous présentons et lui expliquons pourquoi nous souhaitons lui parler. Elle semble hésitante, mais nous autorise tout de même à l’interviewer. L’une des volontaires de notre équipe, Nuon Chai Len, âgée de 20 ans s'en charge.
Loeun Sok Noeun ne se rappelle pas vraiment bien de sa vie pendant les Khmers rouges, mais elle mentionne qu’elle était à l’école primaire lorsque le régime de Lon Nol a renversé le roi Sihanouk. En 1975, lorsque les Khmers rouges sont arrivés, elle a été séparée de ses parents qui vivaient dans le district de Nor-Reay. Elle a été évacuée vers Lor-Ang.
Elle décrit sa vie là-bas comme relativement calme jusqu’à ce que, environ trois ans plus tard, on lui ordonne de repartir à Kampot, où elle restera un an. À l’époque, elle a été placée dans un groupe de 10 jeunes filles qui devaient vivre ensemble. Elle se souvient que le village s’appelait Camarade (Ta) Eng, et que le chef du village s’appelait Camarade (Ta) Chech. Peu de temps après, elle a été déplacée à nouveau pour vivre près de la montagne Lor-Ang (Bonn).
Elle se souvient d’avoir marché sans cesse, totalement seule, pendant au moins deux ou trois mois et elle a finalement atteint Phnom Penh. En 1979, elle a entendu quelqu’un dire aux gens qu'ils pouvaient rentrer chez eux et elle a recommencé à marcher. Lorsqu’elle est arrivée chez elle quelques semaines plus tard, on lui a offert des terres à cultiver et au début des années 2000, elle s’est mariée et a acheté un terrain à Kampot. Elle a décidé de s’y installer avec son mari et son enfant. Aujourd’hui, son mari est devenu moine et elle reste à la maison pour s’occuper de ses petits-enfants.
Tauy Nga
Nous arrivons à une autre habitation. Elle appartient à un survivant appelé Tauy Nga, et la première chose que nous voyons en entrant dans la zone, c’est que la maison se trouve entourée d’énormes palmiers avec du bois de chauffage partout. Autre particularité, la grande quantité de récipients en bambou dans la cour. Ceux ci sont utilisés pour recueillir le jus des palmiers autour de la maison.
Le volontaire du DC-Cam Phorn Soksan, âgé de 24 ans, mène l’interview de Tauy Ngann. (Grand-père) Ngann a 76 ans et il est agriculteur. Pendant les Khmers rouges, comme tant d’autres villageois, il a travaillé comme ouvrier de construction au barrage de Steung Phae, avant d’être transféré à Koh Sla pour couper des arbres dans la forêt.
Ensuite, il a été évacué par les Khmers rouges vers le mont Domrey Romiel pour y planter du maïs et des pommes de terre. Il y travaillera jusqu’à la libération du pays en 1979.
Après cela, il est retourné dans sa ville natale. Nous avons appris une chose intéressante : il déteste le son des cloches, même aujourd’hui, car cela lui rappelle les souffrances qu’il a subi sous le régime des Khmers rouges.
Tauy Men
En avançant, plus profondément dans la forêt, nous découvrons la maison de (grand-mère) Tauy Men. Il est intéressant de noter que son habitation est presque identique à celle de (grand-père) Tauy Nga, car elle est entourée de grands arbres et d'abondante verdure.
Nous remarquons un vieux tracteur qui traîne au milieu du champ. Nous saluons Grand-mère et nous installons à une table carrée sous un grand manguier, qui nous procure un peu d’ombre et de fraîcheur.
Un autre volontaire DC-Cam, Khun Vannak, âgé de 15 ans, mène l’entretien avec Grand-mère. Grand-mère Tauy Men a actuellement 76 ans, et elle travaillait comme agricultrice dans le village de Bak Nim. Elle nous raconte qu’on l’a forcée à être séparée de son nouveau-né alors qu’elle venait d’accoucher, et qu’on lui avait dit de travailler à la construction d’un barrage, même si elle était malade.
Elle a parfois vu les Khmers rouges faire marcher un groupe de personnes avec les mains et les pieds attachés, promis à une mort certaine. Elle confie que c’était un spectacle terrifiant et qu’elle avait trop peur pour regarder. Une fois le pays libéré, elle est retournée dans sa ville natale et a pu retrouver sa famille.
Texte par Chey Chansineth & Lim IPhing
Photos par Phat Chansonita (25 février 2023)
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