Paru le 21 août 2020 aux éditions Beaurepaire Eds
Résumé
C’est la force du vécu, les difficultés que j’ai traversées qui me poussent à exprimer ici mon désarroi. J’aimerais que mes enfants, mes petits-enfants et les générations futures se souviennent de ce que j’ai vécu, qu’ils comprennent que c’est par la volonté de vivre que la famille a réussi à arriver au pays des libertés, de l’égalité et de la prospérité : la France.
« Que la mort de tous les innocents du peuple cambodgien serve de leçon aux futures générations ! »
Extrait
Vider Phnom Penh de sa population
Le 13 novembre 2015, je reçois de nombreux coups de téléphone de ma fille Susanna qui cherche désespérément à me joindre. D’habitude, elle n’insiste pas autant. En fait, moi, je suis chez une amie à Colombes, au nord de Paris. Je n’ai pas encore allumé la télévision, mais quand je le fais, je découvre les attentats de Paris. Je comprends alors le pourquoi des appels incessants de ma fille. Le lendemain, quand je réussis à la joindre, j’apprends qu’elle se trouvait avec son mari dans un restaurant proche de l’endroit où les attentats avaient eu lieu et qu’elle y avait vécu des heures d’angoisse.
À la télévision, je vois le président Hollande, installé dans les tribunes du Stade de France, qui disparaît soudainement avec son garde du corps après une deuxième détonation… Jamais, je n’aurais pensé qu’un pays développé comme la France, pays des libertés, puisse un jour vivre un si horrible événement. À ce moment-là, tout ce que j’ai vécu au Cambodge resurgit en moi !
C’était le 17 avril 1975. Les Khmers rouges prenaient possession de mon pays en chassant violemment, de manière brutale, toute la population de la capitale Phnom Penh. Ce matin-là, je ne pouvais pas quitter ma maison malgré les injonctions violentes proférées par les Khmers rouges en bas de chez moi. Je devais attendre le retour de mon mari Sully, car avec tout ce désordre dans la rue, il me serait impossible de le retrouver.
Quand il arrive, il a encore sa tenue de l’armée de l’air ; son insigne du corps des aviateurs et son nom sont inscrits sur sa combinaison de pilote. Il porte sur lui son pistolet d’officier, car il revient d’une patrouille dans la capitale. Il est très triste.
Je ne l’ai jamais vu dans un tel état. Il me dit :― Notre pays est tombé aux mains des Khmers rouges. Pol Pot est leur chef. C’est pas bon ! Monsieur Ea Chhong (chef de l’armée de l’air khmère) a quitté Phnom Penh avec sa famille pour l’Amérique, hier soir. Il reste seulement quatre hélicoptères au stade olympique pour partir. Et ils sont déjà pleins ! Mon collègue, Ket Marie, m’a dit :
« Si tu montes, je te suis ! » Je lui ai répondu : « Je ne peux pas partir sans ma famille ! »
Alors, nous sommes rentrés chez nous. Après m’avoir mis au courant de la situation, Sully cache son pistolet de service, ses munitions et sa combinaison d’aviateur à côté de la réserve d’eau, tout en haut de la maison. Il faut dire que le calvaire du peuple khmer a commencé dès 1970 avec la destitution du chef de l’État Norodom Sihanouk par le Parlement cambodgien.
Pourquoi ?
Sihanouk avait autorisé les troupes viêt-cong (Vietnamiens du Nord) à avoir des bases arrière dans la région nord‒nordest du Cambodge pour soutenir leur guerre contre les Américains au Sud Vietnam. Mais les Viêt-cong attaquent par surprise toutes les unités territoriales de l’Armée royale khmère et s’emparent de quatre provinces. Le commandant en chef Lon Nol mobilise alors toutes les forces vives du pays pour sauver la nation en danger. La population se présente en masse pour chasser l’envahisseur viêt-cong. Celui-ci progresse vers le sud et s’empare de Saang, une localité se trouvant à environ trente kilomètres de la capitale qui est donc désormais menacée. Le lieutenant général Sosthène Fernandez désigné par Lon Nol a pour mission de récupérer Saang et de protéger Phnom Penh. Au bout de quatre jours et de quatre nuits de combats, l’envahisseur est repoussé et Saang libérée. C’est la première victoire des FANK. La guerre se poursuit entre 1971 et 1975 au sud‒sud-est du pays. L’ennemi détruit ponts, voies de communication terrestres et fluviales pour isoler Phnom Penh et empêcher les FANK de se ravitailler en matériel et en carburant. C’est à ce moment-là qu’apparaissent les premières formations khmères rouges, auxiliaires des Viêt-cong, spécialisées dans le renseignement et la propagande subversive.
En parallèle, les FANK se réorganisent avec l’aide américaine : formation de grandes unités, de cadres et d’hommes. Les FANK passent à l’offensive et libèrent les provinces envahies en infligeant à l’ennemi de lourdes pertes en hommes et en matériel. Également, un plan de défense de Phnom Penh s’organise pour parer aux attaques éventuelles.
Mais le 23 mars 1975, le maréchal Lon Nol convoque le commandant en chef Sosthène Fernandez pour lui annoncer que les Américains vont interrompre leur aide. Donc, il faut cesser la guerre et négocier au mieux avec les Khmers rouges, « les frères ennemis ». Le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat et le chef du Parti républicain sont d’accord. Ils acceptent de cesser la guerre et de négocier avec les Khmers rouges.
Le commandant général Sosthène Fernandez, ayant refusé de se soumettre à cette décision, est aussitôt relevé de sa fonction de commandant en chef des FANK. Le 17 avril 1975, les Khmers rouges entrent en triomphateurs dans la capitale.
Finie la guerre ! La paix revient !
Hélas, Pol Pot, leur chef, protégé par la Chine, n’a aucune expérience de la gestion d’un État. Les Khmers rouges prennent le prétexte que les Américains vont bombarder Phnom Penh pour vider la ville de toute sa population. Alors, ils ordonnent, par haut-parleurs et par radio, de quitter les lieux le plus rapidement possible. Menaces à l’appui pour obliger les retardataires à obtempérer. Il y aura de nombreuses victimes parmi les personnes âgées, les malades, les enfants et les personnes faibles au cours de ce cruel 17 avril 1975.
À partir de ce jour tragique, le nouveau maître du Kampuchéa démocratique, l’Angkar Loeu va imposer sa loi : supprimer toutes traces de cultures occidentales pour créer une nouvelle nation khmère sans attaches avec le passé de colonisation et où toute religion sera bannie. Les citadins devenus nuisibles seront les premiers à être frappés puis tous les intellectuels, les enseignants, les cadres civils et militaires, les médecins, les juges, les avocats… subiront le même sort. Ce terrible génocide eut pour conséquence l’extermination de plus de 2 millions de Khmers…
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