Khun Srun est un auteur important dans l’histoire de la littérature cambodgienne moderne. Né en 1945 dans un village de la province de Takéo, dans une famille sino-cambodgienne, il est victime des dernières purges des Khmers rouges : il est envoyé à Tuol Sleng fin décembre 1978 avec les membres de sa famille, et exécuté quelques jours à peine avant la chute de Phnom Penh. Seule l’une de ses filles a survécu au régime de Pol Pot.
Orphelin de père à l’âge de huit ans, il est issu d’une famille très pauvre. Sa mère élève seule Khun Srun et ses six frères et sœurs. Sa scolarité débute pendant les premières années de l’indépendance du Cambodge ; à l’époque les Cambodgiens de toutes origines avaient accès à l’enseignement professionnel et supérieur. Élève brillant, il étudie la littérature et la psychologie à l’université à Phnom Penh et s’intéresse aux sciences, aux mathématiques et à la littérature européenne. Pendant les années 1960, il est à la fois professeur de mathématiques, journaliste et écrivain.
En moins de quatre ans, il publie trois recueils de poèmes, de nouvelles et de textes de réflexion philosophique, et deux livres en partie autobiographiques : La Dernière Demeure et L’Accusé. C’est la traduction de L’Accusé qui vient d’être publiée, en avril 2018, par les Éditions du Sonneur (ISBN : 978-2-37385-077-2).
On comprend en lisant Khun Srun qu’il n’est en rien communiste, même si ses idées sont résolument de gauche. Sollicité par le régime de Lon Nol, il refuse les offres d’argent et de pouvoir qui lui sont faites.
Il est emprisonné une première fois, pendant sept mois, en 1971 ; malgré cela, il refuse de rejoindre l’opposition d’extrême-gauche. Ce n’est qu’après un second emprisonnement, en 1973, qu’il décide de fuir et de participer à la guérilla communiste. Il a alors seulement 28 ans et n’écrira plus. Après l’accession au pouvoir des Khmers rouges, il travaille pendant plus de trois ans dans les chemins de fer à Phnom Penh.
L’œuvre et la vie de Khun Srun étaient déjà connues en Occident grâce à quelques passages de L’Accusé traduits par Christophe Macquet pour la revue Europe, en mai 2003. Ces extraits ont intéressé le cinéaste Eric Galmard qui a réalisé un superbe documentaire consacré à l’écrivain, intitulé Un Tombeau pour Khun Srun (2015).
La traduction intégrale de L’Accusé, mise au point de façon brillante par Christophe Macquet, met à la disposition du lecteur francophone un texte hors normes, où se mêlent fiction et autobiographie.
Ce texte a été écrit pendant le premier séjour de l’auteur dans les geôles de Lon Nol. Il est très émouvant : on y découvre un écrivain profondément humaniste, que révoltent les exactions, et dont le seul souhait est d’atténuer les peines dont souffre le peuple cambodgien.
Khun Srun n’est jamais lénifiant, jamais simpliste. Il réfute les accusations de gauchisme des républicains de Lon Nol, explique qu’il ne s’intéresse pas à la politique, qu’il n’est même pas un homme de conviction. Le livre s’achève sur le désir prémonitoire de départ exprimé par l’écrivain. Cette œuvre est à recommander sans la moindre réserve à quiconque s’intéresse à la littérature cambodgienne. (À Phnom Penh, L’Accusé est disponible à la librairie Carnets d’Asie.) Pascal Médeville
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