Jane Sautière, lauréate du prix Arald en 2003 et du prix Lettres frontières en 2004, signe avec Corps flottants un nouveau titre autobiographique. À travers ce récit, l’écrivaine conte son adolescence d’expatriée à Phnom Penh à l’aube des années 70 et tente de livrer à la fois un texte historique et un témoignage de jeune expatriée entre Paris et Phnom Penh.
Paru en août dernier aux éditions Verticales, le dernier livre de Jane Sautière a littéralement enthousiasmé le public et la critique. Auteure de plusieurs ouvrages à succès, Jane Sautières se dit largement influencée par Duras :
« Lorsque je vivais au Cambodge, j’ignorais totalement son existence. Puis, je l’ai rencontrée pour la première fois lors de la projection d’Hiroshima mon amour. (…) Mais la grande rencontre aura lieu plus tard avec L’Amant. L’un de ces livres inépuisables parce qu’ils nous débordent. (…) Je pouvais comprendre comment elle situe toujours précisément les Blancs et les autochtones, oui, cela tout pareil à ce que j’ai connu. », déclare-t-elle.
Note de l'auteure à propos du livre
De petits débris flottent et se déplacent dans le vitré projetant parfois des formes sur la rétine. Ce que l’œil perçoit est l’ombre de ces corps flottants. Comme dans un cosmos, certains se satellisent et s’agrègent. J’ai vécu mon adolescence à Phnom Penh de 1967 à 1970. J’en ai si peu de souvenirs que j’ai laissé toute la place à ces traces, des ombres projetées. En résille, des silhouettes apparaissent, font signe, celles des parents, de mes camarades de lycée, d’un grand amour. Celles aussi auxquelles la violence de l’Histoire nous attache.
Ici, à Paris, le temps est blême, c’est l’hiver, il est 17 heures, il fait huit degrés. Là-bas, à Phnom Penh, la nuit est totale, il est 23 heures et il fait vingt-six degrés. J’ai voulu écrire dans les deux fuseaux horaires, dans les deux latitudes. Écrire au crépuscule qui est avant tout la survivance de la lumière après le coucher du soleil.
Extrait : Les crimes du régime Khmers rouges
Peu avant que je quitte Phnom Penh, elle me parle dans la cour de notre lycée ; ce n’est pas souvent qu’une jeune Khmère vient s’adresser à une Française (…) Elle me dit sa peur de ce qui se passe, que ‘ce ne sera plus comme avant’, elle est si anxieuse, si pressante. Je ne sais pas quoi lui dire (…) Moi je m’en vais, je ne serais plus là quand elle sera à S 21. Cet acronyme (le S de sécurité et le chiffre 21 du canal radio qui y est rattaché) sera celui d’un centre de détention (un ancien lycée de Phnom Penh) où près de 17 000 prisonniers ont été torturés par les Khmers rouges pour obtenir des aveux rocambolesques sur leur prétendue trahison de l’idéal révolutionnaire.
Critique par Mélie et les livres
Jane, qui constate que ses yeux vieillissent, décide d’affronter ce vieillissement et part dans ses souvenirs, ce qui a été dit dans sa famille, et surtout le Cambodge qui est le pays où elle a vécu son adolescence. Avec la délicatesse de ses mots choisis, elle raconte les couleurs, l’éden, le soleil et le fleuve, à Phnom Pen, le fleuve où l’on pouvait nager, et croiser des serpents tête hors de l’eau. Les innombrables fruits inconnus d’elle jusqu’alors, leur goût, leur odeur. Les bêtes de la nuit, margouillats geckos, grenouilles… Marcher pieds nus, libre. Et être inscrite au lycée français, où elle découvre l’école mixte, et aussi mixte du fait du mélange d’élèves d’expatriés français et de Khmers de bonne famille.
C’est la découverte des garçons, du désir, de l’amour, et c’est par petites touches que l’on ressent cette vie adolescente, dans un endroit qui semble un paradis. Mais au-delà de sa vie là-bas, lorsqu’on dit aux expatriés de repartir vite dans leur pays, c’est la guerre, les massacres, l’histoire en marche, l’histoire atroce qu’elle découvrira bien plus tard, rentrée en France depuis longtemps…. Les horreurs des Viet Cong, des Khmers rouges, et elle retrouvera, dans ses recherches, une amie de lycée, sur une des photos que les tortionnaires prenaient avant de tuer leurs prisonniers. L’histoire du Cambodge, les corps flottant dans les rizières… alors que les français, les enfants et ados des familles expatriées sont totalement inconscients de ce qui se passe.
Commentaires