Dans le cadre du programme TV « FRENCH et CAMBODGE », rencontre avec le créateur de mode et d’aventure (et parfois chroniqueur) plutôt inspiré et prolifique : Jean-Benoît Lasselin.
Entretien vidéo
Qui est Jean-Benoît Lasselin ?
C’est un entrepreneur qui s’est installé au Cambodge il y a 15 ans maintenant et qui a suivi ses aspirations, son cœur et les opportunités qui se présentaient au Cambodge avec un gros affect pour les métiers en rapport avec la culture du Royaume.
Qu’est-ce qui vous a amené au Cambodge ?
Je suis originaire de Toulouse et je poursuivais des études de communication politique et, dans le cadre de mon stage de fin d’études, j’ai effectué un stage de six mois au tribunal des Khmers rouges.
« Et, à la fin de ce séjour, j’ai vraiment ressenti un attachement particulier pour le pays, donc je suis resté. »
Je suis resté et j’ai vu qu’il y avait beaucoup à construire dans ce pays et notamment, je trouvais que les hommes avaient du mal à trouver de belles adresses pour s’habiller. J’ai donc commencé comme ça mon parcours au Cambodge, en sortant du tribunal.
J’ai voulu, on va dire, « continuer à habiller des hommes que je pouvais habiller dans le travail » mais, là j’ai poursuivi une activité au sein de l’entreprise que j’ai créée ensuite au Cambodge.
D’où vient cet attrait pour la mode ?
Le déclic est venu du fait que je viens d’une famille asiatique, ma mère est d’origine vietnamienne et l’apparence dans la culture vietnamienne de l’époque était très importante, vraiment prédominante.
« Donc j’ai toujours eu cet automatisme d’être très présentable, de pouvoir passer partout grâce à mon apparence. »
Et, ma maman m’a toujours préparé des habits qui étaient chaque matin assortis et en rapport avec la journée que j’allais avoir. Et du coup, au tribunal des Khmers rouges, je devais habiller des parties civiles et es avocats du barreau de Paris.
Et ces gens-là me demandaient toujours « où peut-on s’habiller ? ». Donc le déclic vient de là, tout simplement du fait que, tout de suite, j’ai été plein de ressources pour des gens qui devaient plaider, se présenter, passer à la télé et faire des interviews.
Je leur ai permis de pouvoir facilement s’habiller, mais j’ai surtout commencé à développer des coupes et des designs qui étaient vraiment originaux et qui plaisaient. Donc le déclic vient de là, il vient de l’opportunité.
Comment est née l’entreprise Colorblind ?
J’allais chez un tailleur qui se trouvait sur Monivong à proximité du marché central et c’était le seul qui parvenait à faire mes coupes et à comprendre mes dessins. Donc je dessinais de façon très brouillon et je lui faisais passer les croquis. Il parvenait à les réaliser et, au fur et à mesure des mois et des années, j’ai amélioré mes dessins.
Ensuite, j’ai eu l’opportunité de vraiment décoller avec une vraie entreprise et une équipe à partir de 201.
Il y a eu la première Fashion Week du Cambodge en octobre 2011 et ils sont venus me voir. J’avais des amis en fait qui étaient au courant de ce petit - on va dire - hobby que j’avais. Ils m’ont dit : « tu devrais vraiment te lancer et proposer une collection,ce que j’ai fait. En novembre 2011, j’ai été identifié comme créateur de mode Colorblind. C’était vraiment un tremplin fulgurant.
C’était attendu ou une bonne surprise ?
C’était une bonne surprise. Je ne m’y attendais pas du tout. Moi, je faisais ça vraiment parce que j’avais une vision pour l’élégance masculine. Pour moi un homme devait avoir ce genre de vêtement classe dans sa garde-robe afin de pouvoir optimiser sa journée.
Et, je me suis rendu compte que c’était quelque chose qui manquait énormément à Phnom Penh. Beaucoup d’hommes n’avaient pas accès à ce genre de choses. Ils devaient voyager, sortir du pays pour y avoir accès. Donc, tout de suite ça a démarré. Je crois qu’avant Noël 2011, j’avais déjà tout vendu.
Où en est l’entreprise aujourd’hui ?
Colorblind emploie sept personnes à l’atelier et trois autres en boutique. Avant, je n’avais pas de boutique. C’est vraiment en 2016 que j’ai eu la première vraie boutique dans le centre-ville. Et là, Christophe, je donne une exclusivité pour Cambodge Mag, j’ouvre la prochaine en septembre prochain.
Un point de vente qui sera plus adapté au goût cambodgien et aux attentes des clients de Phnom Penh. Aujourd’hui, Colorblind, je ne vais pas dire que c’est une machine de guerre, mais ça tourne. Nous avons deux collections par an et cherchons vraiment à pouvoir étendre notre vision de l’élégance masculine. Et puis surtout, nous avons des employés qui nous sont extrêmement fidèles, qui travaillent avec nous depuis le début.
« C’est vraiment impressionnant de parvenir à enraciner un projet dans la ville et à créer une signature. »
Et aujourd’hui, Colorblind est clairement identifiée comme la marque masculine de Phnom Penh. Et ça ! ça nous fait vraiment chaud au cœur.
Quelle clientèle ?
Nous avons commencé avec une clientèle très française pour basculer sur une clientèle plutôt européenne. Ensuite, nous nous sommes ouverts sur une clientèle, on va dire, nord-américaine. Nous avons eu beaucoup de Russes et Japonais à un moment donné.
Aujourd’hui, nous avons complètement basculé sur la clientèle cambodgienne et chinoise. Ça s’est opéré, je crois, en 2018-2019. Nous accueillons de plus en plus de Cambodgiens. Environ 80 % et, pour moi, c’est vraiment une grande satisfaction. Ça veut dire que je ne fais pas que répondre aux attentes ou aux codes de ma communauté, mais que je réponds vraiment aux attentes de la clientèle cambodgienne.
Vous exercez une seconde activité - C4 Adventures - qui est plus environnementale : trekking, excursions, et raids. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Cela vient d’une rencontre avec David Minetti, il y a 11 ans. David avait une salle de boxe à Phnom Penh et je m’entraînais énormément là-bas. Et, cette salle proposait des sorties, des randonnées et du trekking.
Et un jour, je suis allé le voir et je lui ai dit qu’il y avait plein de choses qu’on pourrait faire ensemble. Je trouvais en fait que son projet était complètement sous-estimé.
« Et puis, tu es super occupé dans toutes tes activités respectives, toi aussi. Donc, si tu veux, on peut se pencher un petit peu sur l’activité trekking et randonnée », lui ai-je dit.
C’était il y a cinq ans et, à cette époque-là, ce n’était pas du tout tendance d’aller pratiquer le camping ou la randonnée. Il devait y avoir 50 personnes sur le Cambodge qui étaient intéressées par cela. Et, c’est vraiment en 2020, avec le Covid, que là, nous avons vraiment explosé et que le Cambodge est devenu une destination aventure pour les Cambodgiens.
Donc, C4 est devenue la « boîte de rando » pour les Phnom Penhois. Et ça aussi, nous en sommes très, très fiers.
Quelles sont les destinations qui marchent le mieux ?
Alors, la destination qui cartonne le plus, c’est l’ascension du Mont Aural, qui est le point culminant du Cambodge. Le Mont Aural, c’est 1813 mètres et l’ascension se fait en trois heures sur deux ou trois jours. Et c’est vraiment une destination iconique parce qu’il s’agit du plus haut sommet du pays.
Donc, nous avons beaucoup de groupes cambodgiens qui veulent gravir la plus haute montagne du royaume. Il y a aussi beaucoup de voyageurs internationaux et d’expats très intéressés par cette piste. Donc, c’est vraiment cette destination, la région d’Aural, qui est vraiment la plus populaire dans notre catalogue.
Où en est l’activité aujourdhui ?
Alors, en fait, ça se stabilise. Nous avons de moins en moins de demandes sur de la randonnée et de plus en plus sur les entreprises qui veulent des weekends « team building ». Et, nous avons la partie conseil qui se développe de plus en plus. Là, vraiment, nous apportons une expertise auprès de propriétaires terriens et de gens qui développent des hôtels autour de l’activité plein air. Donc, nous n’avons pas vraiment une croissance au niveau des activités randonnée. C’est vraiment au niveau du service aux entreprises que là, nous vivons une explosion de la demande.
Vous avez également écrit des chroniques quelque temps après votre arrivée dans le pays...
En fait, quand j’ai commencé à travailler à Phnom Penh, il m’est arrivé des choses… Je ne pensais pas que c’est possible. Donc, je me suis dit :
« Il faut que je mette ça sur papier, que je couche ça.»
Et, mon père m’a toujours fait grandir en regardant et écoutant Pierre Desproges. Donc, j’avais cette musicalité des mots, ce petit côté cynique et un peu pédant. Cette rythmique, en fait, d’un penchant de la culture française qui tendait toujours à avoir raison ou à être un peu dédaigneux. Donc, du coup, j’ai tout de suite commencé à écrire ce qui m’arrivait au Cambodge avec ce ton un peu « ça ne me concerne pas ». C’est vraiment curieux mais, c’est un ton, une façon d’exprimer en prenant du recul par rapport à ce qui nous arrive. Donc, j’écrivais des choses, en fait, qui m’arrivaient.
À l’époque, il y avait des motodops et, parfois les mecs n’avaient pas de freins et je devais sauter de la moto pour descendre à ma destination. Du coup, j’insultais dans ma tête le chauffeur et puis je me disais, tiens, ça ferait un bon article. J’avais des rendez-vous pro où je tombais sur de grands rigolos. Pareil, je faisais des articles. J’avais des amis qui venaient au Cambodge qui se permettaient des commentaires sur la culture cambodgienne hyper déplacés, paf, ça faisait un article.
« Mais je pense que, ouais, ce blog a bien fonctionné à un moment donné parce qu’en fait, j’ai touché, je pense, un penchant, un avis que les gens pouvaient avoir, mais qu’ils n’osaient pas exprimer au final.»
Mais par contre, j'ai reçu des menaces de mort et des commentaires très gratinés. Mais bon, c'était un vrai plaisir d'écrire à cette époque-là. C'était vraiment très agréable. J'ai beaucoup de gens que je croise encore aujourd'hui qui me demandent : « c'est quand le prochain article ? ». Parce qu'en fait, on croque le réel. Malheureusement, il y a un affect très particulier pour la culture cambodgienne chez la diaspora, les expats et les Cambodgiens. Parfois, on va toucher une corde sensible, parfois, on va toucher un aspect de la culture qu'on ne veut pas vraiment aborder. Et moi, je le faisais en n'ayant pas peur de le faire. Du coup, c'est un blog qui m'a ouvert beaucoup de portes.
J'étais très lu. J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire. Mais, je n'ai vraiment plus le temps. J'aimerais beaucoup reprendre l'écriture. Mais bon, aujourd'hui, c'est différent. Il y a les réseaux sociaux et l'information se diffuse plus rapidement. Aujourd'hui, écrire sur les mêmes sujets avec la même intensité, ça demanderait beaucoup plus de travail.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus au Cambodge, qu'est-ce qui vous plaît le moins ?
Ce qui me plaît le plus au Cambodge, c'est qu'il y a un art, un style de vie vraiment inégalé. Je suis allé dans beaucoup de pays dans la région et je trouve qu'à Phnom Penh, déjà, on mange bien, vraiment très bien. Ensuite, les activités culturelles sont plutôt accessibles. Moi, j'adore le cinéma et j'ai accès à des salles qui sont vraiment super. Nous avons aussi des activités culturelles comme des concerts, des expos qui sont vraiment sympas. Et puis surtout, on se fait rapidement un groupe d'amis. On est très rapidement intégrés, même au niveau professionnel, les gens sont très ouverts et très à l'écoute.
Et puis, même si on n'arrive pas à se rencontrer d'un point de vue professionnel, on reste en contact. Ça, c'est vraiment très agréable. Il n'y a pas de côté pressé, il y a toujours une oreille attentive au Cambodge. Ça, j'apprécie.
Après, ce que j'aime moins au Cambodge, c'est que nous sommes « vachement » en retard sur notre capacité à nous adapter au changement climatique. Et ça, je trouve que c'est vraiment quelque chose qui va provoquer un choc dans les prochaines années. Avec notre activité C4 Adventures, nous le voyons en permanence. Il y a des choses très simples : on sait que Bangkok va être inondée et que le Cambodge se trouve très exposé aux inondations...
Ça fait 15 ans que je vis là. Et voir ce royaume, être conscient des risques, mais se trouver encore à la genèse de cette prise de conscience, c'est quelque chose qui me rassure, mais qui en même temps m'inquiète. Moi, j'ai un amour profond pour le Cambodge. J'ai envie que le royaume continue à vivre, qu'il puisse poursuivre son émancipation.
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