À l’occasion du 18e anniversaire de la proclamation de Preah Reach Troap Dance (Ballet Royal ) en tant que patrimoine immatériel de l’humanité (7 novembre 2003)...
La Reine Kossamak n’est pas seulement la sauveuse du Ballet royal. Elle est aussi considérée comme inventeuse du ballet moderne. C’est elle qui mettra en scène la légende de la création d’Angkor qu’elle fera jouer dans les ruines mêmes des temples. Pour cette épopée légendaire, la reine Kossamak fit appel aux meilleurs danseurs de l’époque tels Kem Bun Nak dans le rôle de la reine, Sam Sokhan dans le rôle de Preah Ket Meala, Soth Leas dans le rôle d’Indra et Yong Sphan dans celui de Preah Pisnokar.
Génie créatif des Khmers
La Reine dut déployer beaucoup d’efforts et de patience pour cette renaissance du Ballet royal. Il fallait le moderniser pour le rendre plus accessible, mais il fallait aussi respecter les codes. Les danseuses du ballet royal utilisent des mouvements stylisés et des gestes à la façon d’un mime. En 1965, les Occidentaux qui avaient pu observer le ballet parlaient « de création unique, de style parfait et de reflet du génie créatif des Khmers… » La plupart des professeurs étaient d’anciennes danseuses. Mais les artistes plus expérimentées, et toujours danseuses, faisaient aussi profiter les élèves de leur expérience. La colère, la joie, la tristesse, l’amour… tous ces sentiments peuvent être exprimés par les gestes très caractéristiques du ballet classique cambodgien.
Précision extraordinaire
Parfois les gestes sont faciles à comprendre. Parfois, il faut bien observer pour comprendre. Mais, facile ou difficile, les gestes sont exécutés avec poésie, raffinement et beaucoup de grâce. Il faut des années d’entrainement sans relâche pour maîtriser ses gestes et les exécuter correctement. Chaque geste et posture sont répétés avec rigueur, avec précision et de façon régulière. Même la plus douée des artistes n’est pas autorisée à changer les gestes. Chaque mouvement est exécuté avec une précision extraordinaire. L’angle du bras, la position de la main, la vitesse du mouvement sont examinés avec attention et même sévérité par les professeurs de danse. Elles sont prêtes à intervenir rapidement si un geste n’est pas exécuté tout à fait correctement.
Son Altesse Royale, la Princesse Norodom Buppha Devi, ancienne danseuse étoile et figure emblématique du Ballet royal cambodgien explique :
« … Il y a des gestes pour chaque action, pour le combat, il y a des gestes pour l’amour, pour pleurer. Il n’y a pas que les gestes, il y a aussi la musique qui accompagne, le geste et la musique. On ne peut pas séparer. La musique a été composée en fonction des gestes, pas pour autre chose. Alors, dans chaque scène, quand la danseuse doit partir, il y a un geste spécial. Il y a une musique spéciale faite pour cela il y a des centaines d’années… »
« Ça, on ne peut pas changer, on ne peut absolument pas changer. Si une danseuse doit partir de la salle, rentrer ou voler, etc.… On doit prendre le geste et la musique qui va avec. C’est comme la musique pour pleurer, voilà le geste, on ne peut pas le changer, on ne peut pas mettre une musique différente. Ça, c’est la base du ballet, on ne touche pas à cela ; mais la chorégraphie, c’est autre chose. Une danseuse peut changer d’endroit ou de direction lorsqu’elle doit partir. On peut travailler sur les costumes, etc. Cela. C’est modernisé, mais il faut garder ce qui est traditionnel, millénaire, qui existe depuis toujours… »
Sangkum
Dans le royaume, les années 1954 à 1970 correspondent à la renaissance du ballet royal, mais aussi à une période de prospérité et de développement économique. Les Cambodgiens qui ont vécu cette époque du « sangkum » parlent volontiers de l’âge d’or du Cambodge contemporain. Il est reconnu que la période du Sangkum génère chez la plupart des Cambodgiens qui l’ont connue, une certaine nostalgie en raison de la douceur de vivre qui y régna pendant quelques années.
Phnom Penh était aussi l’une des villes les plus équipées de l’Asie du Sud Est et l’une des plus agréables. Le prince Sihanouk, qui avait alors abdiqué en faveur de ses parents pour se consacrer à la gestion du pays, jouissait d’une grande popularité. Son charisme et sa diplomatie lui avaient permis d’obtenir le soutien des pays étrangers et de lancer ainsi de grands travaux et des réformes.
Jeune et dynamique, Le prince Sihanouk aimait les bains de foule, et ne manquait pas une occasion d’aller au contact des Cambodgiens. Fils de la reine Kossamak et père de la princesse Buppha Devi, Norodom Sihanouk avait aussi des talents artistiques. Norodom Sihanouk est aussi poète, compositeur, romancier, journaliste et cinéaste. Ce sont surtout ses films qui lui vaudront une reconnaissance artistique au Cambodge, mais aussi à l’étranger.
Lady Ravynn Coxen, fondatrice de l’école de danse d’Apsaras de Siem Reap témoigne :
« Au temps du sangkum, qui était ma jeunesse, le Cambodge n’était pas un pays pauvre. Nous étions exportateurs, nous étions 7 fois plus développés que la Malaisie.
« Parlez du Cambodge en Nouvelle-Zélande, en Angleterre, n’importe où, les premières images qui viennent à l’esprit de ces gens sont : le génocide, les Khmers rouges, Pol Pot. On oublie les siècles de grandeur. »
Le Cambodge était un havre de paix. Le Cambodge était le doux sourire khmer. Nous avons la meilleure soie, tous les grands couturiers de France achètent notre soie pour leurs créations… »
Le roi — père Norodom Sihanouk produira des films pendant quarante ans. Il sera le seul chef d’État au monde à avoir eu une carrière artistique aussi riche. Le roi-père racontait lui-même que son amour du cinéma date de sa plus tendre enfance et de son admiration pour les grandes stars françaises de l’époque tels jean Gabin. Le roi-père aimait toucher à toutes les disciplines du cinéma. Il produisait, réalisait, parfois interprétait ses films, et composait lui-même les bandes musicales de ses œuvres cinématographiques. Beaucoup des films de Norodom Sihanouk sont une peinture fidèle du pays et de ses habitants. Des critiques diront que les films de Norodom Sihanouk sont une formidable leçon d’histoire et de géographie.
En 1965, le roi-père réalise son premier grand film de fiction, « Apsara », considérée aujourd’hui comme un film culte en raison de la peinture sociale, de son parfum des années soixante, mais aussi parce que la distribution compte sa fille aînée, Son Altesse Royale la princesse Norodom Buppha Devi. Le numéro de danse traditionnelle joué par la princesse compte parmi les passages les plus envoûtants d’un film très réussi.
Christophe Gargiulo
Ah , nostalgie , nostalgie ...!