Joyeux anniversaire à la « Voix d'or » Sinn Sisamouth. Né ce jour en 1932 dans la province de Stung Treng, il a malheureusement disparu lors de la prise du pouvoir par les Khmers rouges en 1975. Retour sur une carrière exceptionnelle.
Sinn Sisamouth et sa partenaire de chant, Ros Serey Sothea, ont puisé dans un large éventail d’influences occidentales et locales. Ils ont disparu après la prise du pouvoir par les Khmers rouges en 1975.
Avant de disparaître, l’auteur-compositeur-interprète Sinn Sisamouth était déjà devenu une figure incontournable des émissions de radio et des boîtes de nuit au Cambodge et ailleurs. Pendant plus de deux décennies, des années 1950 au milieu des années 1970, ses fans ont loué sa voix suave et ses paroles évocatrices sur l’amour et les paysages cambodgiens.
L’artiste et ses compagnons de groupe — notamment la chanteuse Ros Serey Sothea — se sont distingués par leur répertoire polyvalent de jazz, de rock « n’roll et de ballades populaires khmères, entre autres styles. Parfois, ils utilisaient la mélodie d’une chanson occidentale — « Hey Jude » des Beatles, par exemple — tout en y ajoutant une orchestration et en écrivant des paroles originales en khmer. Ils ont joué un rôle majeur dans la définition du son de l’industrie musicale populaire cambodgienne, Sinn Sisamouth devenant l’une des stars les plus vénérées du pays.
Fin tragique
Puis, en 1975, les Khmers rouges ont pris le pouvoir, lançant une campagne de quatre ans d’exécutions, de travail forcé, de maladies et de famine qui a tué au moins 1,7 million de personnes. Le travail des artistes et des intellectuels a été brutalement réprimé, et Sinn Sisamouth et Ros Serey Sothea font partie des nombreux Cambodgiens qui ont disparu dans la violence et le chaos. Aujourd’hui encore, les circonstances de leur mort ne sont pas claires, mais les membres de leur famille sont convaincus qu’ils ne sont plus en vie.
La petite-fille de Sinn Sisamouth, Sin Setsochhata, a déclaré que, sur la base des recherches effectuées par son père, sa famille pense que Sinn Sisamouth a disparu dans la province de Kandal. Certains pensent qu’il est mort dans un camp de travail. Le journal The Guardian a rapporté en 2007 qu’il avait été abattu. Selon certains témoignages, avant son exécution, qui aurait eu lieu en 1976, il aurait supplié de chanter une dernière chanson.
Profonde influence
De nombreux enregistrements de Sinn Sisamouth ont cependant survécu, et ils exercent toujours une profonde influence sur la culture cambodgienne. « C’était un pionnier », s’exclame le musicien cambodgien Mol Kamach dans « Don’t Think I’ve Forgotten: Cambodia’s Lost Rock and Roll », un film documentaire de 2014, réalisé par John Pirozzi, sur Sinn Sisamouth, Ros Serey Sothea et d’autres musiciens.
« Il était un exemple pour les autres chanteurs professionnels pour son côté avant-gardiste »
Sinn Sisamouth est né le 23 août 1933, dans la province de Stung Treng, au nord-est du pays. Selon un article paru en 1995 dans le Phnom Penh Post, son père, Sinn Leang, était gardien de prison et sa mère, Sib Bunloeu, femme au foyer. À l’âge de 7 ou 8 ans, Sinn Sisamouth a déménagé dans la province occidentale de Battambang, où son oncle l’a aidé à développer un intérêt pour la musique traditionnelle khmère sur des instruments à cordes comme le tro khmer, une sorte de violon, et le chapei, un luth.
Sinn Sisamouth est arrivé à Phnom Penh, la capitale, à l’âge de 17 ans et s’est inscrit dans une école de médecine dans l’espoir de devenir infirmier, mais il conservait son amour passionné de la musique.
Selon sa petite-fille, il jouait pour les patients malades afin de les soulager et passait ses pauses à jouer de la mandoline sous un arbre. Plus tard, il a commencé à se produire en direct au siège de la toute nouvelle radio nationale cambodgienne, et sa notoriété a alors considérablement augmenté.
« En matière de technique de chant, Sinn Sisamouth était le roi », déclare le prince Panara Sirivudh, membre de la famille royale cambodgienne, dans le documentaire.
« Sa voix était si belle, et il écrivait des chansons très douces »
La musique occidentale populaire a été importée au Cambodge dès les années 1940 par le palais royal et par les Cambodgiens qui pouvaient se permettre de voyager en Europe. Et, la scène rock « n’ roll du pays a véritablement commencé dans les années 1950, indique une étude de LinDa Saphan, productrice associée du documentaire et professeur de sociologie au College of Mount Saint Vincent à New York.
Ce son mélangeait des chants d’opéra aigus avec des solos de guitare électrique déformés, très populaires dans la musique américaine de l’époque.
Sinn Sisamouth est devenu représentatif de ce nouveau style, car il était capable d’écrire aussi bien des ballades que des chansons rock enlevées, écrit Saphan, mais les voix de Ros Serey Sothea et d’autres chanteuses sur ses enregistrements étaient :
« la touche finale qui rendait ce mélange cambodgien si séduisant »
Au début de sa carrière, Sinn Sisamouth a été invité à se produire avec le ballet royal cambodgien ; il est apparu dans des costumes élégants et des nœuds papillon, les cheveux peignés en arrière.
Il a également voyagé à l’étranger — en Inde, à Hong Kong et au-delà — avec un groupe traditionnel formé par le fils de la reine, Norodom Sihanouk, un compositeur et saxophoniste (et futur roi) qui a joué un rôle majeur dans le développement des industries culturelles du pays à l’ère post-coloniale.
C’était une période pleine d’espoir dans l’histoire du Cambodge : le pays avait obtenu son indépendance de la France en 1953 et commençait à façonner son identité et sa culture. Alors que la popularité de Sinn Sisamouth grandissait, ses anciens voisins de la campagne s’émerveillaient d’entendre ses chansons à la radio.
Sin Sisamouth aurait rencontré Ros Serey Sothea à l’âge de 17 ans à la station de radio nationale et a enregistré avec elle pendant plus de dix ans. Bien qu’ils n’aient jamais eu de relation amoureuse, « leurs conversations musicales étaient des histoires d’amour remplies d’un sentiment de désir et de désespoir, d’une perte palpable, mais avec la possibilité d’une réconciliation », écrit Saphan, un étudiant fan du regretté chanteur.
Au début des années 1970, au milieu d’une scène de go-go bands, de grandes coiffures et d’exubérance juvénile, le duo a produit plusieurs chansons à succès, dont quelques-unes pour des films cambodgiens.
Sinn Sisamouth a également écrit et réalisé le film « Unexpected Song » en 1974, qui comprenait une partie de sa musique originale et une performance de Ros Serey Sothea. La musique du duo a alors connu un regain d’intérêt. Sinn Sisamouth sera le sujet d’un prochain documentaire, « Elvis of Cambodia », et Ros Serey Sothea est le sujet d’un roman graphique, « The Golden Voice », dont la publication est prévue l’année prochaine.
Sinn Sisamouth a épousé une de ses cousines, Khao Thang Nhoth, et ils ont eu trois fils et une fille. L’un de ses fils, Sin Chanchhaya, est également devenu musicien.
Malgré toutes les prouesses de Sinn Sisamouth, il demeurait un introverti passant la plupart de son temps seul. Souvent, après avoir dîné avec sa famille, il se retirait dans son studio pour composer.
« Toutes les émotion, l’esprit, la complicité et les sentiments intérieurs étaient exprimées dans sa musique », confie sa petite-fille.
Bibliographie :
Phnom Penh Post
New York Times – ‘Overlooked’
The Guardian
LinDa Saphan — Documentaire « Don’t think I’ve forgotten »
Socheata Vong
Saphan
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