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Histoire : Ponthiamas, un «royaume» oublié au sud du Cambodge

« En quittant les isles et les terres des Malais, on trouve au Nord un petit territoire nommé Cancar et connu sur les cartes marines, sous le nom de Ponthiamas ».

Mac Cuu, négociant chinois qui…fréquentait ces côtes avec ce génie réfléchi, et cette intelligence qui est naturelle à sa nation
Mac Cuu, négociant chinois qui…fréquentait ces côtes avec ce génie réfléchi, et cette intelligence qui est naturelle à sa nation

Ainsi s’ouvre la partie intitulée « Origine du royaume de Ponthiamas » de l’ouvrage de Pierre Poivre (1719 –1786), véritable Vade-mecum du voyageur éclairé de l’époque des lumières : « Voyages d’un philosophe ou observations sur les Mœurs et les Arts des Peuples de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique » (1769). Cancar/Cancao est la transcription internationale du Cantonais Góng-háu et Ponthiamas, l’adaptation du Khmer Banteay Meas prononcé bantiey mieh, littéralement la forteresse d’or. Il s’agit aujourd’hui de la ville de Hà Tiên, en Khmer Peam « l’embouchure », située au sud du Vietnam à proximité de la frontière cambodgienne et de la ville de Kep.

Naissance d’un royaume

Le Ha Tiên actuel, petit port endormi, n’a pas grand-chose à voir avec la description enthousiaste qu’en donne Pierre Poivre : « Son territoire devint le pays de tous les hommes laborieux qui voulurent s’y établir. Son port fut ouvert à toutes les nations ; bientôt les forêts furent abattues avec intelligence, les terres furent ouvertes et ensemencées de riz ; des canaux tirés des rivières inondèrent les champs, et des moissons abondantes fournirent d’abord aux cultivateurs la matière de leur subsistance, puis l’objet d’un commerce immense ». Bref un paradis agricole pour Poivre, donc le paradis tout court, car Poivre écrit dans une logique physiocratique, cette théorie économique du 18e siècle pour qui la richesse des nations trouve son origine dans le développement agricole.

« Son territoire », de qui au fait ? Eh bien, le territoire d’un « négociant chinois qui… fréquentait ces côtes avec ce génie réfléchi, et cette intelligence qui est naturelle à sa nation ».  De son nom Mo Jiu, il est aujourd’hui bien plus connu sous son nom vietnamien de Mac Cuu et sa vie mériterait un roman.

Son aventure commence en 1690. Il se rend d’abord à Oudong, alors siège de la royauté khmère et parvint à convaincre le roi Chey Chetta IV (Ang Su) de lui laisser en gestion les terres d’une région centrée sur Ha tiên et qui finira par englober la région de Kampot quasiment jusqu’à Kampong Som, le sud de l’actuel Vietnam, ainsi que l’ile de Koh Trâl, actuellement Phu Quôc. Pierre Poivre ne tarit pas d’éloges sur le gouvernement de Mac Cuu. On a le sentiment que les vertus cardinales de l’époque des lumières se sont incarnées à Ponthiamas : « Il crut ne devoir proposer que les loix [sic] que la nature a donné aux hommes de tous les climats ; il sut les faire respecter en leur obéissant le premier, en donnant l’exemple de la simplicité, du travail et de la frugalité, de la bonne foi et de l’humanité ; il n’établit donc aucunes loix [sic] ; il fit beaucoup plus, il établit des mœurs ».

Entre Siam, Vietnam et Cambodge

Les maitres mots de la survie de Ponthiamas sont évidemment la stratégie et le commerce. L’époque qui suit la chute des Ming est trouble et Mac Cuu va devoir jouer une partie très serrée entre Siam, Dai viêt et Cambodge.

Le Siam de l’époque, c’est le royaume d’Ayutthaya qui est la capitale depuis 1351.

Le Dai Viêt se présente sous un jour très complexe : à Ha Nôi, à l’époque Thang Long, le clan des Trinh, tout en reconnaissant l’autorité nominale de l’empereur Lê, exerce la réalité du pouvoir ; au centre, la famille Nguyên refuse le pouvoir du clan Trinh et gère un territoire, de fait un véritable état, qui s’étend du nord de Huê jusqu’à l’actuelle Nha trang où règnent les derniers rois chams.

Enfin, la royauté d’Oudong exerce une domination plus théorique que réelle sur la région qui borde le golfe du Siam et une partie de la mer de Chine méridionale.

Dans cette partie de l’Asie du Sud Est précoloniale, les rapports entre vassaux et suzerains n’ont donc plus grand-chose à voir avec la réalité, comme le montrent les relations entre la famille Mac et la royauté de Oudong, ou la famille Nguyen et Thang Long (Ha Nôi) et tout est désormais mûr pour une recomposition.

Le rôle du petit royaume dans la géopolitique régionale est évident : entre Ayutthaya et la Chine, la navigation et le commerce, passent obligatoirement par Ponthiamas. Au passage, il est piquant de noter que cet espace, de l’actuel Kompong Som jusqu’au delta du Mékong, correspond en partie à celui du royaume du Funan (1er – 6e siècle) dont l’affaiblissement et la disparition correspondent vraisemblablement à la fin de la navigation dans le golfe du Siam.

De la montée en puissance à la chute

Ponthiamas ne jouira pas longtemps de sa tranquillité. En 1718, la ville est détruite par les Siamois et Mac Cuu se réfugie à Ream. Dès son retour en 1721, il la reconstruisit.

Un équilibre reposant sur une neutralité est désormais impossible et Mac Cuu dût se choisir un protecteur sûr. Il scellera en 1725 une alliance avec la famille Nguyen de Hue. Ponthiamas entre désormais dans l’orbite vietnamienne. Une indépendance perdue ? Pas vraiment. Ponthiamas n’a jamais joui d’une indépendance officielle même si les liens de vassalité envers la royauté de Oudong sont désormais purement théoriques. Les annales royales de Hue (1852) n’évoquent, quant à elles, qu’une protection. Pas grand-chose ne va en fait changer dans le petit royaume ; ainsi en 1735, à la mort de Mac Cuu, son fils Mac Thiên Tu (1718 – 1780) lui succède.

Ce sera l’âge d’or de Ponthiamas avec la création de l’académie de Ha Tiên d’où émanèrent des œuvres littéraires remarquables à commencer par la poésie de Mac Thiên Tu lui-même. Aujourd’hui encore, on peut prendre pour guide d’une visite de Ha Tiên son célèbre poème « Les dix vues de Ha Tiên » écrit en 1736 dans un Chinois d’un classicisme sans faille.

La puissance commerciale de Ponthiamas se traduira en puissance militaire. Mac Thiên Tu disposera d’une armée et d’une flotte capable de menacer le Siam. Ce sera aussi le chant du cygne pour le petit royaume. Désormais, chaque décennie aura son lot de catastrophes. Ainsi, une nouvelle attaque siamoise en 1771 et Ponthiamas sera à nouveau détruite. La révolte des Tay Son (1771 – 1792) conduira à une nouvelle destruction de la ville et à une mise à sac de toute la région.

L’acte final aura lieu en 1780. Mac thiên Tu s’est préalablement rendu à Bangkok, avec ses fils, pour accompagner une ambassade vietnamienne auprès du roi Phya Tak. Il s’agissait de faire la paix avec le Siam. Suite à une série de malentendus que la personnalité paranoïaque du roi Phya Tak n’aura aucun mal à amplifier, les 53 membres de la délégation seront torturés et mis à mort. Mac Thiên Tu se suicidera en avalant de l’or liquide.

La mort de Mac Thiên Tu allait être suivie, au début du 19e siècle de l’amoindrissement du rôle stratégique de Ha Tiên qui allait sombrer dans l’oubli. Ponthiamas avait vécu.

Jean-Michel Filippi

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