Ancien de l’APRONUC, Pierre-Yves Clais, qui œuvre aujourd’hui à la conservation des éléphants, estime que l’intervention de l’ONU en 1992 était une réponse appropriée à la situation de crise que vivait le pays depuis plusieurs dizaine d’années.
Rappel, souvenirs et impressions
Comment s’est passé le premier contact avec le pays, une surprise, un choc, ou rien d’excessivement frappant en arrivant dans un pays encore à genoux que le monde ne connaissait qu’à travers les médias ?
Comme la plupart de mes camarades, en dépit de quelques livres et magazines lus à la hâte, je n’avais pas une idée précise de ce qu’était le Cambodge. J’imaginais une grande étendue de boue pleine de mines et battue par la pluie, un peu comme la Corée dans le film MASH… Alors forcément, en débarquant la surprise ne pouvait qu’être bonne ! Un vol Air France nous a emmenés de Toulouse à U Tapao en Thaïlande, une ancienne base militaire US de la guerre du Vietnam, puis un bus nous a descendus à Pattaya où nous sommes restés quatre jours enfermés dans le Jomtien, un complexe hôtelier de luxe, avant d’embarquer sur un paquebot de croisière, l’Andaman Princess, qui nous a emmenés à Sihanoukville. Il faut bien dire que les Thaïs nous avaient décrit les Cambodgiens en des termes peu amènes… et en effet les premiers Khmers aperçus, des dockers en haillons accroupis sur la jetée, ne suscitaient pas un enthousiasme immédiat, mais cette impression allait très vite changer !
Après une rapide prise d’armes sur le port, nous avons embarqué dans des camions à destination de la plage d’Otcheuteal où nous allions construire notre future base et là, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir des milliers de Cambodgiens en liesse agglutinés des deux côtés de la route et brandissant des drapeaux français dans une ambiance de libération ! Avec un tel accueil, puis ma première leçon de khmer prise sur la plage avec des gamins dans le rôle de profs, je n’étais pas prêt de repartir !
Quelle était votre mission au sein de l’Apronuc ?
J’étais alors Caporal en compagnie de combats. Comme les autres contingents, nous devions démobiliser les soldats, les désarmer, les rendre à la vie civile, assurer la sécurité sur les axes routiers, réparer les ponts, assainir les marchés et préparer les élections de 1993 en recensant la population.
Dans un premier temps, notre bataillon fut séparé en deux, une moitié envoyée dans le Nord-Est, le Secteur 6, pour remplacer les Uruguayens qui avaient deux mois de retard et l’autre restant dans le Secteur 4, attribué aux Français, tout le long la façade maritime allant de la Thaïlande au Vietnam. Je faisais partie de la 1re moitié et après quelques jours à la plage nous partîmes en MI26, le plus gros hélicoptère du monde pour un voyage vers Steung Treng qui nous laissa sourds pendant trois jours !
Quelles étaient les difficultés ?
En tant qu’ex-étudiant plutôt dilettante, c’est la somme de travail à fournir qui m’a d’abord piqué aux yeux ! Nous devions effectuer des tours de garde, des patrouilles, décharger des avions de ravitaillement puis tout recharger dans des hélicos, principalement des packs d’eau, au profit des sections éparpillées « dans la verte ». Pendant que mes camarades étaient de repos, je devais également effectuer la traduction de tous les rapports entrant ou sortant de chez nous vers le QG de l’ONU. J’étais si épuisé qu’un soir je me suis endormi pendant un tour de garde avant de me faire réveiller de façon fort « virile » par un adjudant-chef…
Au bout de deux mois, après l’arrivée des Uruguayens, nous sommes redescendus sur la côte et là j’ai été versé à l’État Major où j’assurais des travaux de traduction dans un cadre plus serein tout en étant dans le « secret des Dieux ». Car il faut bien dire que le parachutiste en compagnie de combat n’est pas tenu au courant de grand-chose, il ne sait rien et ne voit guère que le bout de son Famas ou de sa pioche…
Beaucoup d’anciens de cette période évoquent ces années avec pas mal de nostalgie, est-ce le cas pour vous ? Pour quelles raisons ?
Contrairement à la plupart de mes camarades je n’ai pas quitté le Cambodge, ma nostalgie va donc plus à une époque qu’à un pays.
Des anecdotes ou épisodes particuliers, si un seul événement qui vous a marqué durant cette période devait être évoqué, lequel serait-il ?
Tous frais arrivés, nous ne savions pas encore faire la différence entre Cambodgiens et Vietnamiens et n’avions qu’une vague idée de l’antagonisme entre les deux peuples ; un jour que j’étais de garde devant l’État-Major de Sihanoukville, nous étions en fin d’après-midi et l’on m’amène un homme fort mal en point dont le crâne avait été défoncé à coups de hache.
Un attroupement se forme alors et une jeune voisine, petite sœur des blanchisseuses à qui nous confions nos uniformes s’approche de moi, désigne le blessé, et avec un superbe sourire sauvage me dit alors : « Youn* » ! (terme ancien désignant les Vietnamiens et qualifié de péjoratif par certains) Pour la petite histoire, ce monsieur devait de l’argent à un de ses amis, mais affirmait ne pouvoir le rembourser, celui-ci, le découvrant en train de jouer à des jeux d’argent avait été pris d’un juste courroux et châtié le maraud qui dès le lendemain matin s’enfuyait de l’hôpital pour ne pas avoir à payer la note…
Pensez-vous que l’ONU, dont la mission a été très critiquée, proposait la meilleure des réponses face à cette situation d’urgence, de guerre civile après un génocide ?
Aussi imparfaite qu’elle ait été, c’était probablement la seule réponse possible à l’époque. Elle a suscité beaucoup d’espoirs et presque autant de déceptions, mais beaucoup de Cambodgiens rêvaient tout éveillés, ils imaginaient que d’un coup de baguette magique l’ONU allait pouvoir rétablir le Cambodge de l’époque de Sihanouk, ça n’était tout simplement pas possible !
L’Apronuc a su mettre le Cambodge sur le chemin de la paix, ensuite ce sont les dirigeants cambodgiens qui d’une manière toute asiatique ont su réaliser cette paix en achetant les derniers dirigeants khmers rouges, c’est à mettre à leur crédit !
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