Si l’importance de la participation des femmes aux atrocités des Khmers rouges est mal connue, les chercheurs pensent qu’elle est largement sous-estimée, voire passée sous silence.
Enfant soldat
En 1970, à peine âgée de À 14 ans, Neang Kin alias Tuy Kin a rejoint les rangs de la guérilla Khmer rouge. Dix ans plus tard, elle a été arrêtée pour son implication dans le meurtre de 300 prisonniers dans la tristement célèbre prison et centre de torture S-21 de Phnom Penh — une accusation qu’elle a toujours niée.
« J’ai traversé toutes sortes de champs de bataille de 1970 jusqu’à la “libération” de Phnom Penh le 17 avril 1975. Puis, sans savoir quel crime j’avais commis, j’ai été amenée à la prison de Prey Sar pour des travaux forcés. Après les Khmers rouges, j’ai été emprisonné alors que mon bébé avait sept mois. Je jure que, bien qu’ayant été soldat de Pol Pot je n’ai tué aucun de nos compatriotes. Si je mens, Dieu me punira. », déclarera-t-elle aux chercheurs du Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam).
Inconnues
On ne sait pas combien de femmes cadres comme Kin ont rejoint les rangs du régime ultra-maoïste et quel rôle elles ont joué. Cependant, pour la première fois en 2015, un projet de recherche initié par a tenté d’apporter un éclairage sur ce sujet mal connu. « Notre hypothèse est que la participation des femmes aux atrocités au Cambodge a été sous-estimée, et en fait passée sous silence », estime Dr Suzannah Linton, chercheuse invité au British Institute of International and Comparative Law au Royaume-Uni et chercheuse principale du projet DC-Cam. « L’étude n’avait pas l’intention de diminuer l’odieux et la nature endémique de la violence contre les femmes », précise Linton.
« Il est humainement logique de reconnaître que ceux qui ont souffert aux mains des femmes sont également des victimes et que leur situation mérite aussi une certaine attention », ajoute-t-elle.
Selon Linton : « la participation des femmes à des atrocités de masse est restée un sujet peu étudié dans le milieu universitaire, les femmes qui participent à des violences de groupe ou politiques n’ont rien de nouveau, même si elles ne sont pas aussi répandues que la violence masculine, mais nous n’avons pas une image globale et exacte de la mesure dans laquelle les femmes ont été impliquées dans des crimes internationaux ».
Étude DC-Cam
Le DC-Cam avait déjà commencé à interroger des femmes soupçonnées d’implication khmère rouge en 1998. Depuis lors, il a recueilli des centaines d’entretiens avec pour objectif principal de répondre à la question : mais quel rôle les femmes ont-elles réellement joué dans le régime khmer rouge ? « Les femmes ont joué un rôle important aux niveaux exécutif, régional et local », estime Farina So, co-chercheuse principale du projet. Selon So, malgré une participation significative à de nombreux niveaux du gouvernement du Kampuchea démocratique, les femmes étaient généralement exclues des échelons supérieurs du pouvoir — Ieng Thirith étant une exception notable.
« Les femmes n’avaient pas une position solide aux plus hauts niveaux du régime », déclare-t-elle.
« Bien que les Khmers rouges pensassent que les hommes et les femmes étaient capables d’accomplir les mêmes tâches, les femmes étaient plutôt censées assumer leurs rôles de genre : s’occuper des enfants, de la cuisine et procréer », dit-elle, ajoutant que les femmes de l’époque étaient en mesure d’accéder à des postes de pouvoir, mais simplement aux niveaux provincial et régional.
Rôle grandissant
Le rapport du DC-Cam montre qu’avant que les Khmers rouges ne prennent le contrôle du Cambodge en 1975, les filles et les femmes étaient généralement affectées à des tâches dans les coulisses de la guérilla : travail médical, entretien communal et transport d’armes, de fournitures ; et de la nourriture aux hommes soldats en première ligne. Mais petit à petit, des rôles plus importants leur ont été attribués. « À la fin de 1978, les femmes semblaient avoir accès à tout dans le régime », explique Youk Chhang, le directeur du DC-Cam.
« Lorsque les Khmers rouges sont tombés en 1979, la zone sud-ouest abritait la force militaire la plus puissante du pays à l’époque, elle comprenait une unité entièrement composée de femmes », ajoute-t-il.
Témoin survivant
Chhang, un survivant du régime khmer rouge raconte qu’au cours des dernières années du Kampuchéa démocratique, son village était contrôlé par un trio brutal de jeunes femmes. « À première vue, elles ressemblaient à des filles normales, mais si vous vous en approchiez, vous rencontriez le mal », se rappelle-t-il. Chhang déclare que lorsqu’il est arrivé pour la première fois au village de Trapeang Veng dans la province de Battambang en 1975, il y avait environ 1 000 familles. En 1979, il n’y en avait que 100.
« Qui a fait cela ? Qui nous a emmenés pour être exécuté ? Qui nous a affamés ? Qui nous a obligés à travailler ? C’était ces trois jeunes femmes », dit-il.
Ros Sopheap, fondatrice et directrice de Gender and Development for Cambodia, une ONG qui se concentre sur les questions de genre, avait salué à l’époque le projet du DC-Cam. « L’étude se penchait sur le rôle des femmes pendant les Khmers rouges, j’ai apprécié d’en savoir plus, c’est quelque chose dont nous parlions avant, mais nous ne regardions que le rôle des hommes », dit-elle. Trude Jacobsen, dont le livre « Lost Goddesses: Denial of Female Power in Cambodian History » reste encore aujourd’hui l’un des rares à s’être concentré de manière critique sur le rôle des femmes à travers l’histoire khmère, déclare :
« Les recherches qui démontrent que les femmes — jeunes femmes célibataires en plus — infligeaient de la violence, combattaient en première ligne aux côtés des hommes et étaient idéologiquement aussi zélées que leurs homologues masculins balayeront l’idée que les Cambodgiennes sont naturellement enclines à la timidité et à la soumission »
Selon Linton : « la participation des femmes à des atrocités de masse est restée un sujet peu étudié dans le milieu universitaire, les femmes qui participent à des violences de groupe ou politiques n’ont rien de nouveau, même si elles ne sont pas aussi répandues que la violence masculine, mais nous n’avons pas une image globale et exacte de la mesure dans laquelle les femmes ont été impliquées dans des crimes internationaux ».
Quelques figures féminines du régime de Pol Pot
Im Chaem était responsable de districts sous le Kampuchea démocratique. En tant que jeune partisane des Khmers rouges entre 1975 et 1979, le zèle d’Im Chaem pour appliquer « les principes du maoïsme » l’a rapidement propulsée dans les rangs du régime ultra-communiste de Pol Pot.
Elle aurait supervisé des travaux forcés à grande échelle et commandité de nombreux massacres. Chaem, qui était la protégée du redouté Ta Mok et secrétaire de district dans la province de Banteay Meanchey dans les années 1970, a été accusée en mars 2015 de crimes contre l’humanité, de meurtre, d’extermination, d’esclavage, d’emprisonnement et de persécution politique. L’affaire est vite devenue un contentieux national qui a divisé la cour jusqu’à ce que le gouvernement du Premier ministre Hun Sen exige que les poursuites soient abandonnées. Im Chaem avait déclaré à plusieurs reprises qu’elle était innocente de toutes les accusations et exprimé sa satisfaction que les autorités cambodgiennes aient semblé prendre son parti publiquement. Le tribunal avait alors abandonné les poursuites, jugeant officiellement que son cas ne relevait pas de sa compétence, car elle n’était ni un haut responsable, ni l’un des dirigeants khmers rouges responsables de ses crimes.
Ieng Tirith
Veuve du dirigeant khmer rouge Ieng Sary et ancienne ministre des Affaires sociales du Kampuchéa démocratique, Ieng Thirith était aussi la sœur de Khieu Ponnary, la première épouse de Pol Pot. Thirith vivait avec son mari, Ieng Sary, dans une luxueuse villa de la rue 21, au sud de Phnom Penh jusqu’en 2007… Elle a été arrêtée par la Chambre extraordinaire des tribunaux cambodgiens (CETC) en novembre 2007 avec son mari, Ieng Sary, pour des soupçons de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Selon les documents des CETC, Thirith n’était pas membre du puissant comité permanent du régime, mais a siégé à son conseil en tant que ministre des Affaires sociales. Leng Thirith a été personnellement et directement impliquée dans le refus des soins de santé les plus élémentaires aux Cambodgiens pendant les années au pouvoir du régime. Thirith aurait ordonné la purge des traîtres présumés de son ministère qui avaient été envoyés dans des camps de rééducation et était au courant des meurtres d’ennemis présumés. Elle aurait également participé à la réglementation du mariage par le régime, à l’orchestration des mariages forcés de masse, et est restée une ardente partisane des Khmers rouges longtemps après sa disparition dans les années 1990.
Notes DC-Cam & VOA Khmer
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