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Archive & Culture : Préserver la langue et l’écriture cham au Cambodge

Enfant d’une communauté cham de la province de Kampong Chhnang, Leb Ke a été élevé avec la langue maternelle cham. Les chansons traditionnelles étaient alors fréquemment entonnées par les habitants de son village d’origine. Cependant, en grandissant, il a commencé à réaliser que de moins en moins de villageois continuaient de parler et de lire Cham.

Enfant cham de Phnom Penh
Enfant cham de Phnom Penh. Photographie CG

Ce déclin a provoqué une profonde inquiétude pour sa culture natale et l’a encouragé à étudier et à travailler à la préservation de la langue et de l’écriture cham. « La plupart de la communauté utilise toujours le script Cham traditionnel à des fins religieuses confie-t-il, ajoutant que moins de 10 % de Cham pouvaient encore lire l’ancien script Indic Cham, également appelé Kha Kha, qui est utilisé dans l’écriture islamique locale.

« La plupart des matériels d’étude dans les écoles islamiques sont traduits en khmer de l’arabe ou du malais »

Leb Ke, 40 ans, est aujourd’hui étudiant en linguistique et chercheur en langue cham à l’Université royale de Phnom Penh. Il a publié plusieurs livres sur la littérature cham et a été impliqué dans plusieurs projets de préservation de la langue et des textes anciens. Le chercheur a également conçu un clavier de police Cham pour les smartphones et les ordinateurs afin de soutenir l’utilisation quotidienne et continue de la langue.

Une des principales raisons du déclin de la langue maternelle de la principale minorité musulmane du Cambodge est son histoire tragique.

Aussi, la prédominance croissante du khmer moderne et le manque de cours de langue cham dans les écoles publiques ou religieuses font que de nombreux jeunes perdent leur langue. « Moins de 10 % des enfants de la classe peuvent parler le cham, même s’ils viennent de familles de descendance cham », précise Ly Fatel, directeur adjoint d’une école religieuse islamique située dans la commune du kilomètre 8 à Phnom Penh.

« La plupart des matériels d’étude dans les écoles islamiques sont traduits en khmer de l’arabe ou du malais », explique Ly Fatel, tandis que les anciens textes cham sont souvent exclus du programme.

Enseignement informel de la langue cham. Photographie Leb Ke
Enseignement informel de la langue cham. Photographie Leb Ke

Une histoire tragique

Selon Jean-Michel Filippi, professeur de linguistique à l’Université royale de Phnom Penh, les Chams au Cambodge sont aujourd’hui environ 220 000. Ils ont été reconnus par le gouvernement comme une minorité au cours des dernières décennies. Au Cambodge, de nombreux Chams vivent traditionnellement près des rivières où ils vivent de la pêche et d'un peu de négoce.

Pêcheur cham à Phnom Penh
Pêcheur cham à Phnom Penh

Les Cham ont l’une des plus anciennes histoires et langues d’Asie du Sud-Est continentale. Le royaume médiéval hindou Champa, basé dans le sud du Vietnam actuel, était un rival majeur d’Angkor.

Alors que les Vietnamiens marchaient vers le sud au cours des siècles, le royaume a finalement été annexé en 1832. De nos jours, les Chams ne vivent que dans de petites poches au Vietnam, où ils pratiquent encore leurs anciennes religions hindoue et brahmanique, tandis que de nombreux autres se sont convertis à l’islam et ont fui au Cambodge et en Malaisie.

« En plus des massacres, le peuple Cham a été forcé de délaisser son identité, car il ne pouvait pas parler sa langue ou respecter ses coutumes »

Selon JM Filippi, pendant le règne de feu le roi Sihanouk de 1955 à 1970, les Chams étaient appelés « islam khmer » pour les distinguer en tant que minorité religieuse au sein de la nation cambodgienne.

Le régime khmer rouge a ciblé les Chams pendant son règne de terreur dans les années 1970 et plus d’un tiers de la population a été tuée, une proportion encore plus élevée que le taux de mortalité de 25 % parmi la majorité bouddhiste khmère, explique So Farina, chercheuse en histoire des Cham au Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam).

Les Khmers rouges ont également tenté d’éliminer la culture Cham en détruisant les écoles religieuses, les mosquées, les exemplaires du Coran et les textes anciens sur Champa, et en interdisant les noms et la langue Cham.

« En plus des massacres, le peuple Cham a été forcé de délaisser son identité, car il ne pouvait pas parler sa langue ou respecter ses coutumes », ajoute So Farina.

En 2018, les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens soutenues par les Nations Unies ont déclaré que le régime khmer rouge avait commis un génocide contre les Cham, ainsi que contre la minorité vietnamienne au Cambodge.

Vente de T-shirts imprimés avec les alphabets Cham du Cambodge
Vente de T-shirts imprimés avec les alphabets Cham du Cambodge

Deux traditions

Selon M. Filippi, les Chams au Cambodge comprennent deux communautés avec des dialectes et des pratiques religieuses différents. Environ 30 000, qui vivent dans des villages des provinces de Kompong Chhnang, Pursat et Battambang, appartiennent à l’imam Sann Cham, également appelé Cham Sot (pur Cham), qui suit un mélange d’anciennes traditions champa et de pratiques islamiques pour lesquelles ils ne prient qu’une seule fois une semaine.

Ce groupe maintient une riche tradition manuscrite islamique qui comprend des textes religieux et de la poésie dans l’écriture Kha Kha. Les attitudes de cette communauté envers les femmes sont également plus libérales ; par exemple, peu de femmes se couvrent la tête en dehors de la mosquée.

Écolières cham
Écolières cham

La majorité des Cham suivent la pratique islamique traditionnelle qui est fortement influencée par les coutumes malaisiennes. Ces Cham sont passés à l’écriture dans le script arabe jawi utilisé en Malaisie et prient cinq fois par jour. Ce groupe — contrairement à l’imam plus hétérodoxe Sann Cham — bénéficie de financements des pays musulmans depuis plusieurs années.

Selon M. Filippi, cette majorité cham, qui vit principalement à Kampong Cham et dispersée à travers le pays, est devenue plus éloignée de la langue cham et des traditions champas après les horreurs de l’ère khmère rouge. Pour le chercheur, « ils n’utilisent pas la langue cham, ils parlent l’arabe ou le malais.

Et pour la vie quotidienne, ils utilisent le khmer. Cela ne laisse pas beaucoup de place à la langue cham ». Dans ces communautés, les femmes mènent une vie plus séparée des hommes. Les femmes de la communauté orthodoxe portent généralement le voile sur la tête et, dans quelques villages, sont entièrement couvertes, à l’exception des yeux.

Alphabet cham
Alphabet cham

Ainsi, Farina, du DC-Cam, suggère que l’influence croissante des pratiques musulmanes internationales traditionnelles parmi les Cham « pourrait dominer les traditions communautaires. »

« La langue traditionnelle Cham a disparu de la communauté khmère musulmane depuis un certain temps maintenant, bien que récemment, des efforts aient été faits pour la restaurer »

Leb Ke, dont la famille adhère aux coutumes Cham Sot, estime que les deux traditions différentes chez les Cham provoquent également la confusion chez les Cambodgiens, qui pensent parfois que la culture du groupe musulman vient de l’étranger.

« Au Cambodge, chaque fois que les gens entendent parler de la langue Cham, ils pensent plutôt au malais ou à la langue arabe, pire encore, les gens confondent l’authentique script Cham avec les lettres arabes.»

De jeunes enfants musulmans cham se tiennent devant une salle de classe
De jeunes enfants musulmans cham se tiennent devant une salle de classe

Inconnu de la jeune génération

Il y a quelques années, Leb Ke et son équipe, avec le soutien de l’ambassade des États-Unis à Phnom Penh, ont introduit un programme d’enseignement de la langue cham pour l’enseigner aux élèves des écoles des communautés de Phnom Penh et de plusieurs provinces, dont Kampong Chhnang, Kampong Cham et Tboung Khmom.

Depuis la fin du projet en 2017, Leb Ke travaille à la relance de vieux manuscrits cham qui ont été épargnés de la destruction par les Khmers rouges. Son équipe prévoit également de publier un glossaire de 1000 mots en langue cham, mais avoue manquer de moyens financiers pour ce projet.

Certains jeunes Cham sont conscients de la situation désastreuse de leur langue et de leur culture, et ils aimeraient avoir plus d’occasions d’étudier leurs traditions. Peat Pulla, 23 ans, étudiant en quatrième année en gestion du tourisme et de l’accueil à l’Université de Norton à Phnom Penh, avance :

« La langue traditionnelle Cham a disparu de la communauté khmère musulmane depuis un certain temps maintenant, bien que récemment, des efforts aient été faits pour la restaurer »

Il est originaire de la communauté Imam Sann Cham dans la province de Kratie, où il confie que la langue Cham est toujours utilisée quotidiennement, bien que l’alphabétisation et la préservation des manuscrits islamiques locaux à Kha Kha soient en déclin.

« Je crains que le script Cham traditionnel ne soit négligé et reste inconnu de la jeune génération. Parfois, même si les jeunes veulent en savoir plus à ce sujet, il est difficile de trouver une institution où nous pouvons l’étudier correctement », explique Peat Pulla. Apprendre le script, ajoute-t-il, « est une responsabilité que je dois assumer. C’est notre identité, celle de l’ancien royaume Champa. Même si nous avons perdu notre territoire, nous devons encore protéger notre identité autant que possible. »

CG avec Thim Rachna — VOA Khmer

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