Dy Saveth est l'une des actrices les plus populaires du cinéma cambodgien des années 1960 - et l'une des rares à avoir échappé à la mort aux mains des Khmers rouges. L'ancienne reine de beauté toujours resplendissante ne manque jamais d'honorer de sa présence magique les grands moments de cinéma comme le Festival International du Film au Cambodge.
Après 18 ans passés en France, Dy Saveth est rentrée au Cambodge en 1993 et est depuis devenue une habituée des films cambodgiens et de la télévision, tout en inspirant une nouvelle génération d'actrices alors qu'elle enseigne à l'Université royale de Phnom Penh
Aujourd'hui, l'actrice affiche une silhouette étonnante et une classe naturelle extraordinaire, comme à ses premières années de star du grand écran.
Son appartement coloré est rempli de souvenirs de ses films. Il n'est pas difficile de la placer dans le rôle principal exubérant de « La femme du roi serpent » : l'un des nombreux rôles qu'elle admet avoir eu du mal à se voir jouer à l'écran.
Lorsque le roi Norodom Sihanouk lui a demandé de jouer dans son film Crépuscule en 1969, elle a senti sa notoriété déjà grandissante monter d'un cran. Sa grand-mère et ses sœurs avaient été danseuses au Palais royal, mais apparaître aux côtés du roi était une épreuve pour une jeune actrice.
« J'étais inquiète », raconte-t--elle, « Je pensais que le Roi était inaccessible et je ne savais pas quoi faire, comment jouer... Je devais toujours réfléchir à la façon de jouer. Mais, dès le début, il était juste quelqu'un de normal.
« Il ne m'a pas fait peur. Il savait qu'être Roi était intimidant alors il faisait un effort pour se comporter normalement. »
Parcours
Ayant grandi à Phnom Penh dans les années 1950 et fan de films étrangers, Saveth ne s'attendait pas du tout à embrasser une carrière d'actrice de cinéma. Elle a fait une entrée à reculons dans ce milieu après avoir remporté le titre de Miss Cambodge à l'âge de 19 ans, et ses rêves d'artiste ont rapidement pris de l'ampleur.
À l'époque, une production incroyablement prolifique de films locaux et étrangers a contribué au développement d'une ère incomparable du cinéma cambodgien. Les salles de cinéma de Phnom Penh, diffusaient un flot continu de films populaires avec Dy Saveth et une ribambelle de stars charismatiques, toutes incarnant le cosmopolitisme et l'enthousiasme du Cambodge des années 1960 et 1970.
Les films étaient frais et contemporains, tout en restant fidèles aux thèmes typiquement khmers. Dans l'étrange et merveilleux Snake Girl (1974), Saveth laisse des serpents vivants glisser de manière suggestive sur son corps, tandis qu'une musique de jazz bien rythmée accompagne la scène. Ce film est l'un des nombreux films sur le thème des reptiles, après Snake King's Daughter, qui a connu un succès international.
« J'ai imaginé cette histoire avec mon mari . Nous avons essayé de créer quelque chose de différent et d'étrange», dit-elle.
Un autre réalisateur a par la suite tenté un remake du film, mais n'était pas disposé à recréer la coiffe originale fabriquée avec des dizaines de bébés serpents vivants, que Saveth portait dans sa version.
« Je pensais que je n’étais peut-être pas douée pour le spectacle, mais au bout d’un moment, j’ai simplement écouté le réalisateur et suivi ses instructions », confie-t-elle à propos de ses premiers films. «
« Après cela, je suis devenue de plus en plus célèbre et mes films ont été de grands succès… J’étais alors sereine et je me demandais toutefois pourquoi tant de gens appréciaient ces films. »
Les murs de son appartement de Phnom Penh sont couverts de centaines de photos et de vieilles affiches de films datant des quatre dernières décennies. Les photos ne sont pas l’autel d’une carrière, dit-elle, mais un témoignage du cinéma khmer dans son ensemble.
« C’est la preuve que j’ai été une artiste. Si je n’avais pas ces photos, je n’aurais pas la preuve que j’étais une actrice à l’époque. Quand j’étais en France, je n’ai jamais parlé à personne de ma carrière, parce que je n’avais aucune preuve… ils ne m’auraient pas crue », raconte-t-elle.
Exil
Lorsque les Khmers rouges ont pris le pouvoir, Saveth se trouvait à l’étranger, en train de chercher des lieux de tournage après que les bombardements américains eurent rendu les tournages au Cambodge beaucoup trop dangereux. Elle s’est enfuie en France avec ses deux enfants et a atterri à Nice, où elle a vécu pendant 18 ans.
« J’ai pris quelques photos avec moi, mais pas beaucoup. J’en ai laissé des milliers d’autres à la maison, dans de nombreuses boîtes. Elles avaient complètement disparu. Je les ai redécouvertes grâce à des amis en Thaïlande, à Singapour, Hong Kong, partout et puis des amis khmers, qui avaient conservé des photos. J’en ai également retrouvé sur Facebook ».
Pendant des années, elle avait peu de nouvelles du Cambodge, du sort de ses amis et de sa famille. Quatre de ses frères et sœurs avaient péri.
« Au début, j’ai gardé la tête froide et j’ai fait de mon mieux pour vivre en France, adopter la culture, et m’installer dans le système, en espérant qu’un jour je reviendrais au Cambodge », dit-elle.
« Il y avait un petit espoir dans mon cœur qui me disait que je serais à nouveau au Cambodge. »
Craignant que tout ce qu’elle connaissait eut été décimé, Saveth a fait son retour dans le pays avec appréhension. Son premier voyage de retour s'est arrêté à la frontière thaïlandaise, où elle a loué un tuk tuk et regardé les montagnes du Cambodge, sans oser traverser.
Peu de temps après, en 1985, elle a décidé de revenir pour deux semaines seulement, en portant un chapeau, des lunettes et un masque pour éviter d’être reconnue, et a fait le tour de Phnom Penh à vélo.
« Quand j’ai mis le pied dans le pays, je me sentais à nouveau dans ma patrie ». J’ai décidé de louer une maison, mais je n’en ai parlé à personne pour pouvoir me renseigner sur la façon dont les gens vivaient… J’ai été choquée par toutes les victimes de mines terrestres et les aveugles dans les rues. Cela m’a rendu si triste ».
Un an plus tard, elle y est retournée pour un mois, peu convaincue que quelqu’un se souviendrait d’elle pour ses rôles au cinéma. Tout a changé lorsqu’elle a vu l’incendie d’une maison à Phnom Penh. Elle s’est demandé pourquoi les pompiers et la police n’étaient pas intervenus.
« Mais la seule chose que je voyais, c’était des gens, avec des seaux d’eau, qui les jetaient sur la maison. J’ai commencé à crier : “pourquoi n’appelez-vous pas la police ?”. Quand je criais, quelqu’un derrière moi a dit : “Dy Saveth ?” »
Je suis restée immobile, je ne me suis pas retournée et j’ai pensé : « Qui me connaît ? Qui pouvait seulement me voir de dos et me reconnaître ? ». L’homme a dit. « Mme Saveth, quand êtes-vous rentrée au Cambodge ? ».
L’inconnu travaillait pour la télévision nationale cambodgienne et s’est arrangé pour qu’elle soit interviewée à la télévision.
« Après cela, les gens savaient que j’étais en vie. S’il ne m’avait pas rencontrée, je serais peut-être encore dans l’anonymat ! ».
Aujourd’hui, l’ancienne vedette enseigne à l’Université royale des beaux-arts et promeut quand elle le peut la prochaine génération de cinéastes.
« Toute mon expérience vient du fait que j’étais une artiste de scène à l’époque, donc la seule chose que je puisse faire pour aider mon pays est de partager mon expérience avec la jeune génération, avec mes étudiants », confie-t-elle.
The Last Reel
Concernant sa participation au film The Last Reel sorti en 2014, Dy Saveth confie :
« J’ai aimé le scénario, car il s’agit d’une histoire réelle, pas d’une copie. Aujourd’hui, à la télévision, beaucoup de films cambodgiens se contentent de copier les histoires de l’étranger, de la Thaïlande, de la Chine ou du Vietnam. Je ne sais pas pourquoi ils ne trouvent pas leurs propres idées. Au Cambodge, nous avons beaucoup d’histoires à raconter.
À propos des similitudes entre elle et son personnage : « On ne m’a jamais dit si le personnage était inspiré de moi. Nous sommes en fait très différents, car l’actrice que je joue est restée au Cambodge pendant les Khmers rouges, alors que je suis partie. Si j’étais restée, j’aurais probablement été tuée. Je pense parfois à cela, à la chance que j’ai. En mars 1975, je suis allée en Thaïlande pour rendre visite à mes enfants qui y étudiaient. Je voulais rentrer au Cambodge, mais il n’y avait pas de vols. J’ai essayé d’organiser un taxi et on m’a dit que j’étais folle, alors je suis restée et je suis allée en France ».
Concernant la génération actuelle d’actrices, la star ne mâche pas ses mots, « la plupart veulent juste être belles et glamour. Elles ne se soucient pas tellement de l’histoire. Les films de nos jours ont tendance à éviter les sujets difficiles. Les scénaristes se concentrent uniquement sur les familles riches et modernes, et non sur les situations réelles, comme les personnes vivant dans la pauvreté. Avant les Khmers rouges, les histoires parlaient de la vie réelle, des gens dans les villages ».
Source : Rosa Ellen & Will Jackson – The Post
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