« Tableau Suisse », qui sera exposé dans les locaux de F3 (Friends Future Factory) à Phnom Penh, est proposé par les artistes Marie Le Mounier et Beat Streuli en collaboration avec le graphiste et curateur zurichois Marcus Kraft et cinquante œuvres de dix artistes suisses contemporains travaillant avec la photographie.

Petit pays niché au cœur de l’Europe, la Suisse, renommée internationalement pour son chocolat, ses paysages féériques, ses institutions financières, sa capacité d’innovation et sa neutralité, apparaît souvent comme une destination de rêve, un pays où il fait bon vivre. Elle est particulièrement présente dans le cinéma et les séries asiatiques, comme le film grand public indien Switzerland de Sauvik Kundu (2020), la série coréenne Crash Landing on You (2019) ou la comédie romantique philippine Meet me in Sankt Gallen, d’Irene Villamor (2018) pour ne citer que quelques productions récentes. Les représentations de la Suisse et de ses habitants contribuent à la construction de mythes : au cas où cela vous aurait échappé, la mère du légendaire 007, dont de nombreuses aventures ont pour décor les Alpes suisses, serait originaire de Bottens, une petite ville du canton de Vaud. L’image de la Suisse à l’étranger est empreinte des photographies véhiculées par presse et les médias sociaux : du Cervin illuminé durant la pandémie de COVID-19 aux paysages bucoliques propices à la prise de selfies, c’est un pays résolument « instagrammable ».
Scène artistique
Moins connue du grand public pour son patrimoine culturel et sa scène artistique contemporaine que pour ses paysages, la Suisse est un pays qui accorde toute sa place à la création. De nombreux artistes y ont trouvé les conditions politiques, culturelles et sociales favorables au développement de leurs idées. Havre littéraire et artistique dans une Europe ravagée par la guerre, le Cabaret Voltaire, fondé en 1916 à Zurich par les poètes Tristan Tzara, Hugo Ball, Richard Huelsenbeck ainsi que les artistes Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp et Marcel Janco, fut le siège du mouvement Dada. Meret Oppenheim, qui comme Sophie Taeuber-Harp pratique la photographie, ralliera bientôt le groupe. C’est à cette époque que naît le Werkbund Suisse, une association de créateurs qui prône la collaboration entre les secteurs de l’art, de l’artisanat et de l’industrie. Avec l’école des arts appliqués de Zurich, elle œuvre à la modernisation du design suisse. Le style suisse, inspiré du Bauhaus et du Constructivisme, caractérisé par une esthétique sobre, une utilisation ciblée des couleurs, des symboles et de la photographie émerge dans les années 1950. Joseph Müller-Brockman, une figure marquante de ce courant, développe tout au long de sa carrière une esthétique basée sur un système de grilles tandis que Max Miedinger crée, en 1957, la police de caractère Helvetica. Un standard du style suisse, elle est aujourd’hui encore l’une des polices les plus populaires au monde. L’affiche suisse marquera également l’histoire du graphisme et du marketing. Conçue par le lausannois Erik Nitsche en 1955 pour la société américaine General Dynamics, elle a pour particularité son format spécifique, appelé format mondial, aux dimensions de 90,5 x 128 cm. Le système de grille, la police de caractère Helvetica, les affiches au format mondial sont utilisées dans la conception et la communication de cette exposition.
Tableau Suisse
Tableau Suisse, proposé par les artistes Marie Le Mounier et Beat Streuli en collaboration avec le graphiste et curateur zurichois Marcus Kraft, réunit cinquante œuvres de dix artistes suisses contemporains travaillant avec la photographie. Son titre renvoie aux expositions que réalise Marcus Kraft à Zurich près de la gare de Stadelhofen, sous le nom de Tableau. Polysémique, le mot « tableau » qui vient de « table » fait référence, selon le contexte, à une œuvre picturale, à une scène ou un paysage qui s’offre à la vue, au tableau noir des salles de classe ou encore à un panneau destiné à recevoir des informations. C’est aussi un clin d’œil à la langue française, une des quatre langues nationales de la Suisse aux côtés de l’allemand, de l’italien et du romanche. Pensé pour être déclinable dans le monde entier, Tableau, qui exploite les espaces d’affichage du centre-ville de Zurich, vise à promouvoir l’art dans l’espace public. Tableau Suisse est une déclinaison de ce projet, le portant pour la première fois à l’étranger, au Cambodge.
Panorama varié
Les artistes, sélectionnés pour cette exposition, offrent un panorama varié de la photographie artistique suisse contemporaine, tant en termes de génération que de pratique et rend hommage à sa diversité. Certains travaux donnent à voir des aspects « typiquement » helvètes : c’est le cas de la série Hoselupf de Sabina Bösch dont l’objectif se fixe sur un des sports nationaux : la lutte suisse. Pratiquée par les bergers d’alpage depuis le XVe siècle, c’est un sport traditionnellement masculin qui se joue sur une aire circulaire couverte de sciure de bois. Sabina Bösch a suivi une équipe féminine pendant une saison. Les portraits d’adolescents réalisés par Joëlle Lehman dans le cadre d’une commande pour un magazine montrent une Suisse entre tradition et modernité. Ces deux démarches, que l’on pourrait qualifier de documentaires, contrastent avec une approche plus expérimentale du médium photographique comme chez Bernard Voïta, Beni Bischof ou Magdalena Baranya. Puisant leur inspiration dans les lieux et les objets ordinaires, leurs travaux sont plus proches du montage et de l’installation. Jules Spinatsch présente une œuvre panoramique basée sur le principe de fonctionnement des caméras de surveillance tandis que Jean-Vincent Simonet s’éloigne encore davantage de la photographie traditionnelle en retravaillant des images réalisées lors d’un voyage au Vietnam comme des peintures. Photographe et sculptrice, Marianne Müller, procède à des recherches plastiques à partir d’archives d’images accumulées au fil des années. Née à Téhéran, Shirana Shahbazi conçoit des installations spectaculaires alliant photographies individuelles et images traitées de manière plus abstraite, imprimées sous forme de papiers peints. Enfin, Walter Pfeiffer, figure importante de la scène photographique suisse, donne à voir des représentations du corps masculin à la fois sensuelles et évocatrices d’une quête d’identité.
Vidéo
Une projection d’œuvres vidéo de Pipilotti Rist, du duo d’artistes Fischli/Weiss, ainsi que de Marie-José Burki complète ce bref tour d’horizon de la création contemporaine suisse dans le domaine de la photographie et plus largement des installations et des images animées. Pipilotti Rist a acquis une renommée internationale avec ses vidéos vibrantes et hypnotiques. Les installations multimédias hautes en couleur qu’elle produit depuis plus de trente ans ne sont pas sans rappeler la lumière souvent saturée sur la campagne helvète. Originaires de Zurich, Peter Fischli et David Weiss, dont le travail a fait l’objet de grandes expositions à l’échelle mondiale produisent des œuvres humoristiques, frôlant l’irrévérence. À l’aide de médias tels que l’argile, le polyuréthane sculpté et peint, la photographie et la vidéo, ils pointent, de manière ludique, les frontières entre l’art et la culture populaire. Sensible au temps qui s’étire, à l’espace et à sa perception, Marie José Burki, formée en art, en littérature et en histoire à Genève, nous fait glisser inlassablement des mots aux images et inversement.
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