Pour le Cambodgien Veasna, 48 ans, protéger les forêts du Cambodge est devenu la mission d’une vie. Travaillant comme garde forestier - ranger depuis l’âge de 16 ans, il a pu observer comment la relation entre les Cambodgiens et la forêt a radicalement changé.
« Très peu de gens s’aventuraient dans les forêts auparavant, car il y avait les Khmers rouges… Aujourd’hui, il reste encore malheureusement beaucoup de gens qui ne respectent pas la loi », dit Veasna.
Une grande partie des montagnes des Cardamomes était auparavant occupée par les derniers bastions des Khmers rouges, ce qui en faisait un environnement extrêmement hostile pour travailler. Bien que les Cardamomes soient légalement protégées depuis 2016, le défrichement illégal et le braconnage de la faune continuent de menacer ce parc. Le Cambodge est confronté à l’un des taux de déforestation les plus élevés de tous les pays du monde : plus de 15 % de sa forêt a été défrichée au cours des 10 dernières années.
Dangers
Maintenant pour Veasna et les 142 autres rangers de l’ONG Wildlife Alliance, travailler et vivre dans les montagnes des Cardamomes est devenu dangereux pour différentes raisons. Chaque jour, Veasna et son équipe de la station de Roveang patrouillent pour protéger la forêt — plus de 20 000 km parcourus chaque année dans certaines des zones les plus difficiles d’accès de la région et contre les incursions incessantes des bûcherons et des braconniers.
Pour Veasna, protéger cette forêt est devenu, littéralement, une tâche gigantesque. Au cours de l’année qui a suivi l’ouverture de la station, son équipe et lui ont confisqué 12 excavatrices utilisées pour défricher illégalement de vastes étendues de forêt vierge. Ces engins monstrueux peuvent détruire des centaines d’hectares de forêt tropicale vierge en quelques semaines seulement. Le bois est ensuite chargé sur des camions à destination de la Chine et du Vietnam. Les gardes forestiers ont également saisi 668 véhicules utilisés pour le trafic d’animaux sauvages et de bois ainsi que 544 tronçonneuses.
Lors d’un récent raid, les rangers ont saisi plus de 3 tonnes de bois de luxe illégal dans une maison située non loin de leur zone de patrouille. Un total de 227 morceaux de bois de rose siamois (Dalbergia cochinchinensis), connu localement sous le nom de « Krak kranhoong », ont été saisis lors du raid. Le bois de rose du Siam est classé vulnérable par la Liste rouge de l’UICN et devient de plus en plus rare en raison de la demande de l’industrie illégale du bois. On estime que 85 % des exportations de bois du Cambodge aboutissent en Chine, alimentant l’engouement pour les meubles Hongmu, un type de mobilier de luxe très recherché. Les gardes ont également saisi de petites quantités de « Nangnuon », un autre type de bois de luxe.
Protéger pour l’eau et l’électricité
« Avoir des forêts, c’est s’assurer que les gens ont un avenir… S’il n’y a pas de forêt, il n’y a pas d’eau »
L’engagement de Veasna et de son équipe à mettre un terme à une destruction aussi importante a permis de stopper une grande partie des activités illégales dans leur zone de patrouille — la station a déjà vu une baisse sensible du nombre de camions transportant du bois de contrebande. Protéger les montagnes des Cardamomes signifie bien plus que protéger les dernières grandes forêts tropicales d’Asie. ces montagnes demeurent le plus grand régulateur des précipitations de la région en influençant les régimes de précipitations bien au-delà du Cambodge. La forêt elle-même reçoit annuellement suffisamment de précipitations pour alimenter 22 voies navigables principales, fournissant à leur tour de l’eau aux barrages hydroélectriques qui génèrent 20 % de l’électricité du Cambodge.
Les précieuses Cardamomes
Le parc national des Cardamomes comprend plus de 800 000 hectares de forêt dense de mousson, de zones humides de melaleuca, de mangroves et d’un vaste réseau d’estuaires et de rivières. En fait, la forêt tropicale des Cardamomes présente une pluviométrie impressionnante de 3500 à 4500 mm par an en raison de sa dense couverture forestière. Cette forêt fragile abrite aussi un certain nombre d’espèces sauvages en voie de disparition, notamment des ours malais, des éléphants, des gibbons, des léopards nébuleux, des civettes indiennes, des bantengs, des dholes, des gaurs et des pangolins. En tout, le parc abrite plus de 60 animaux menacés à l’échelle mondiale et 17 espèces d’arbres également menacés et dont beaucoup sont endémiques au Cambodge.
Wildlife Alliance
Wildlife Alliance gère au total dix stations de gardes forestiers qui effectuent plus de 4 000 patrouilles couvrant environ 140 000 km chaque année. Sans cette protection directe, les montagnes des Cardamomes risquent d’être défrichées pour l’agriculture, l’industrie et la vente immobilière. L’approche de la Wildlife Alliance s’est avérée plutôt efficace pour maintenir une couverture forestière tropicale continue, atteindre zéro braconnage d’éléphants depuis 2006, ainsi que soutenir le rétablissement des populations d’ongulés et de petits et moyens carnivores.
Rangers
Les rangers patrouillent dans les Cardamomes par terre, eau et air. Chaque station est en alerte 24 heures sur 24 et les rangers passent souvent plusieurs jours à camper dans des zones reculées de la forêt à la poursuite des bûcherons et des braconniers.
« Nous enlevons les collets ; confisquons le bois et les tronçonneuses ; démantelons les fours à charbon de bois, les scieries et les camps de braconniers, explique Veasna.
La présence permanente des rangers dans la forêt sert souvent de moyen de dissuasion contre le braconnage et l’exploitation forestière illégale. Les gardes effectuent également des opérations de routine pour rechercher de la viande d’animaux sauvages dans les zones où se trouvent les restaurants. En 2018, 5 restaurants vendaient de la viande d’animaux sauvages illégale. En janvier 2020, seuls 6 kg de viande de porc sauvage ont été saisis.
Pièges et menaces
La plus grande menace qui pèse sur la biodiversité en Asie du Sud-Est et au Cambodge demeure la chasse. Bien que de nombreuses méthodes soient utilisées, la prédominante est celle des collets artisanaux. Les collets sont comme des mines terrestres pour les animaux — chacun d’entre eux signifie une condamnation à mort potentielle — et presque toutes les espèces peuvent en être victimes, des pangolins aux éléphants. Fabriqués à partir de corde ou de fil, les collets sont peu coûteux à fabriquer et faciles à installer, ce qui signifie qu’ils peuvent être posés sur des kilomètres en peu de temps, formant ainsi de véritables « murs de la mort ». En plus de dissuader les braconniers de poser des collets, les rangers de la Wildlife Alliance ont enlevé plus de 250 000 pièges de la forêt des Cardamomes, sauvant potentiellement la vie de milliers d’animaux.
Zonage
Wildlife Alliance facilite le zonage et la délimitation des terres pour les communautés locales afin que les familles puissent réclamer suffisamment de terres pour l’agriculture permanente ou d’autres moyens de subsistance. Il s’agit d’un processus participatif qui représente la première étape de l’engagement des communautés dans la gestion responsable de leurs ressources naturelles.
Wildlife Alliance installe ainsi des marqueurs visibles au sol afin que chacun puisse voir clairement où se trouvent les limites convenues. Cela présente deux avantages : fournir aux communautés locales une propriété foncière claire et également des limites claires pour cette précieuse forêt à protéger.
Notes & Illustrations : https://www.wildlifealliance.org/
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