Vendredi 29 mai 2020, la Banque mondiale (BM) a publié son rapport annuel — mise à jour sur la situation économique — pour le Cambodge. La BM prévoit un ralentissement sensible de la croissance, évalué entre -1,0 % et -2,9 %. Une croissance négative donc, terme plutôt contradictoire qu’on préfère à celui, beaucoup plus alarmiste, de récession.
Précisions
À préciser donc que si la croissance du Cambodge devient négative comme l’avancent les experts, cela ne signifie pas que le pays va sombrer. La croissance d’un pays mesure l’augmentation de la richesse produite (traduite par le PIB - Produit intérieur brut) pendant une période donnée, en général sur une année. Pour les experts, un pays entre en récession lorsqu’il connait un taux de croissance négatif du PIB au moins deux trimestres consécutifs. C’est le signe avant-coureur d’une récession, voire d’une dépression. Toutefois, il s’agit dans ce rapport de projections statistiques qui ne peuvent tenir compte de l’évolution de la crise sanitaire directement responsable du marasme économique affectant ou risquant d’affecter l’économie d’une grande partie des pays du monde. Le dénouement de la crise sanitaire reste une grande inconnue.
La reprise économique sera forcément liée aux solutions qui seront proposées pour contrer ou éliminer l’épidémie. Vaccin, traitement ou besoin permanent de mesures barrières ? Dans les trois hypothèses, il y aura des répercussions sur la reprise, probablement un grand enthousiasme en cas de découverte de vaccin, probablement une réaction plus lente et plus compliquée s’il faut « vivre avec le virus ».
Aussi, ces rapports servant d’indicateurs aident aussi largement les pays touchés à préparer des mesures de prévention, d’aide, de sauvegarde ou de soutien à l’économie. Et le Cambodge s’y est mis et continue d’y travailler. Cela pour dire que le catastrophisme n’est pas tout-à-fait d’actualité et il est probable que s’il y a une bonne probabilité de lendemains difficiles, le pays est encore debout et se prépare sans relâche à ces lendemains. Le Cambodge a déjà montré une forte résilience et une capacité à s’adapter aux conjonctures difficiles, il pourrait surprendre à nouveau.
Pessimisme
Le rapport présente des perspectives très moroses pour l’économie cambodgienne par rapport à la vision de la Banque asiatique de développement qui, en avril dernier, prévoyait que l’économie afficherait une croissance positive de 2,3 %. Toujours en avril de cette année, le Fonds monétaire international augurait une baisse de la croissance de 1,5 %.
« La crise épidémiologique et économique mondiale déclenchée par COVID-19 représente la plus grande menace pour le développement du Cambodge en 30 ans d’histoire moderne », indique la première phrase du document.
« En conséquence, l’économie devrait enregistrer en 2020 sa croissance la plus lente depuis 1994, se contractant entre -1,0 % et -2,9 % », ajoute la Banque mondiale
Les alertes
Ces analyses de la BM suggèrent donc que le royaume risque de subir la croissance la plus faible depuis 26 ans. Les principales raisons de ces prévisions plutôt « difficiles » : La pandémie de coronavirus affecte trois des moteurs économiques du Cambodge. Ces moteurs représentent 70 % de la croissance et 40 % des emplois rémunérés du pays.
1. Le tourisme
Il s’agit du secteur le plus touché. La demande de services touristiques et d’accueil s’est largement effondrée ces derniers mois. La riposte mondiale destinée à contenir l’épidémie de COVID-19 a entraîné des restrictions prolongées aux voyages. Au cours des deux premiers mois de 2020, les arrivées de touristes se sont contractées de 25,1 % (en glissement annuel). Cela n’était pas arrivé depuis la crise financière mondiale de 2008-2009.
Siem Reap, la destination touristique la plus populaire du Cambodge, a enregistré une baisse de 45,6 % des arrivées de touristes au premier trimestre. La baisse est de 99,6 % en avril 2020 par rapport au même mois de l’année précédente. Le tourisme et l’hôtellerie sont le deuxième facteur de croissance du royaume et la contribution du secteur est estimée à 18,7 % du PIB. Le secteur du tourisme est une importante source de devises étrangères, représentant plus des trois quarts des exportations de services du Cambodge et environ un cinquième de ses exportations totales de biens et services.
La réaction des acteurs du secteur a été diverse. Certains ont fermé temporairement ou définitivement alors que d’autres se sont rapidement adaptés en :
Misant sur la clientèle locale et en communiquant donc sur des offres promotionnelles
Adoptant des mesures strictes d’hygiène et de distanciation sociale
Réduisant leurs charges et frais fixes
Se regroupant pour se concerter et effectuer des propositions au gouvernement, en particulier la Fédération cambodgienne du Tourisme et Eurocham et ses différents chapitres
Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé qu’il accordera une exonération supplémentaire de tous les impôts mensuels pendant deux mois supplémentaires de juin à juillet 2020 pour les hôtels, maisons d’hôtes, restaurants et agences de voyages enregistrées auprès du Département général des impôts, et dont les activités commerciales sont exploitées à Phnom Penh, Siem Reap, Preah Sihanouk, Kep, Kampot, Bavet et Poipet. Le gouvernement permettra en outre le non-paiement de la Caisse nationale de sécurité sociale (NSSF) pendant la suspension de l’activité. Les entreprises du secteur seront exonérées des frais de renouvellement des licences touristiques de tous types pour 2021.
2. Les exportations de produits manufacturés
L’absence de demande extérieure a été amplifiée par le fait que les exportations du Cambodge se trouvent fortement concentrées à la fois par produit et par destination. Les principaux produits exportés restent les vêtements, les chaussures, les articles de voyage et le riz. Les marchés combinés des États-Unis et de l’Union européenne (UE) représentent 52 % des exportations totales de marchandises du Cambodge. En outre, les exportations dépendent des importations de biens intermédiaires (matières premières pour les industries cambodgiennes de l’habillement, de la chaussure et des articles de voyage) qui ont connu de sérieuses perturbations au niveau de la chaîne d’approvisionnement.
En conséquence, une grande partie des commandes de vêtements, de chaussures et d’articles de voyage vers les deux principales destinations, à savoir les États-Unis et l’UE, ont été gelées ou annulées. Les dernières mises à jour concernant l’industrie textile indiquent que la plupart des usines n’auront que des commandes limitées après le premier semestre 2020. En conséquence, environ 130 usines de confection et de chaussures (12 % du total) ont suspendu leurs opérations, partiellement ou totalement, depuis la mi-avril 2020, mettant à pied près de 100 000 travailleurs. Les statistiques officielles montrent qu’en février 2020, l’industrie du vêtement, des chaussures et des articles de voyage pour l’exportation se composait de 1 087 usines et employait 941 000 travailleurs, représentant respectivement 21 %, 17 % et 10,7 % de l’emploi rémunéré hors secteur agricole. Pour pallier ces pertes d’emploi, le gouvernement a pris en charge une partie des indemnités versées aux travailleurs ayant perdu leur emploi.
3. Les investissements étrangers directs (IED)
Les signes inquiétants signalés par les banques de développement sont la réduction de 50 % des investissements étrangers approuvés par le CDC pour les deux premiers mois de l’année 2020, mais aussi la tendance continue à la hausse du crédit bancaire intérieur pour le secteur de la construction, ainsi que la forte pression sur le marché du travail en raison du retour des travailleurs migrants, principalement du pays voisin la Thaïlande. Le gouvernement a révélé qu’environ 90 000 travailleurs migrants sont rentrés depuis mars 2020 et le ministre de l’Intérieur S.E. Sar Kheng a laissé entendre le mois dernier que beaucoup auraient certainement besoin de l’assistance du gouvernement.
Les investissements étrangers directs, qui ont récemment profité en grande partie au secteur de la construction, proviennent d’un petit nombre de pays de la région, en particulier de Chine, Hong Kong, et Taïwan. La Chine continentale représente plus de 50 % du total des entrées d’IED ces dernières années. On estime qu’environ la moitié des entrées d’IED sont allées au secteur de la construction et de l’immobilier. Avec l’apparition du COVID-19 en Chine, la valeur des projets approuvés a considérablement diminué.
Risques d’augmentation de la pauvreté
Selon le rapport de la Banque mondiale, le ralentissement pourrait ainsi provoquer une hausse de la pauvreté estimée entre 3 et 11 %. Ceci en raison d’une perte de revenu estimée à 50 % pour les ménages engagés dans le tourisme, le commerce de gros et de détail, l’habillement, la construction ou la fabrication. L’augmentation potentielle de la pauvreté serait conforme aux conclusions du rapport du Programme des Nations Unies pour le développement sur la pauvreté multidimensionnelle, qui démontrait que, si le Cambodge avait progressé dans la réduction de la pauvreté monétaire, 13,2 % de la population vivait toujours dans une pauvreté multidimensionnelle sérieuse, et 21 % de la population serait susceptible de retomber dans la pauvreté.
« L’effondrement des moteurs de la croissance a nui à la croissance économique et mis en péril au moins 1,76 million d’emplois », ajoute le rapport de la Banque mondiale.
Le 25 mai, le gouvernement royal a adressé une notification aux présidents des groupes de travail chargés de ces problèmes, les appelant à soutenir les autorités dans le processus d’identification des familles pauvres et vulnérables qui ont besoin d’un soutien pendant la pandémie de COVID-19. Une fois identifiées, les familles pauvres recevront des Equity Cards (aide financière). 300 millions de dollars américains ont également été provisionnés par le gouvernement et la municipalité de Phnom Penh pour l'aide aux démunis.
En mars dernier, le gouvernement a déclaré qu'il avait déclaré allouer 2 milliards de dollars US de réserve pour répondre aux impacts économiques de Covid-19.
Déficit budgétaire
La BM avance que le déficit budgétaire pourrait atteindre son plus haut niveau en 22 ans, et la dette publique devrait atteindre 35 % du PIB intérieur (PIB) d’ici 2022. Les autorités ont rapidement introduit des mesures d’urgence pour contenir les effets de la crise et fournir une aide fiscale aux ménages, aux travailleurs et aux entreprises. Pour faciliter une reprise robuste, la Banque mondiale suggère que le gouvernement accélère également les réformes du commerce et de l’investissement et se tourne bien plus rapidement vers les technologies numériques.
Pour atténuer les effets de cette crise, la Banque mondiale suggère également qu’il est essentiel de fournir un soutien aux ménages pour lutter contre la pauvreté et faciliter les programmes et mesures visant à assurer la reprise économique, mais aussi pour assurer la résilience économique et sociale une fois l’épidémie maîtrisée.
Principales mesures gouvernementales récentes
Le 26 mai, le gouvernement royal a publié un communiqué de presse décrivant une nouvelle série de mesures destinée à soutenir le secteur privé et les travailleurs gravement touchés par les conséquences de la pandémie. Le ministère de l’Économie et des Finances mettra en place un « fonds de garantie de crédit » doté de 200 millions de dollars US. Ce fonds sera à même de garantir des prêts par le biais de banques et d’institutions financières pour atténuer la pression des flux de trésorerie et du fonds de roulement des entreprises de tous les secteurs pour un montant d’au moins 2 milliards de dollars américains.
Le ministère de l’Économie et des Finances préparera un financement supplémentaire de 300 millions de dollars US pour soutenir et agir comme catalyseur pour promouvoir la croissance dans des secteurs clés pendant et après la crise.
Dans le même esprit, le gouvernement a convenu :
Un ajustement au plan de financement spécial de 50 millions de dollars par l’entremise de la Banque d’agriculture et de développement rural.
Un ajustement au plan de financement spécial de 100 millions de dollars pour les prêts entre les institutions financières et les petites et moyennes entreprises.
Il a convenu également de prendre des mesures visant à accroître le financement pour restaurer et promouvoir la croissance après COVID-19 soit :
Une diminution du niveau de retenue à la source sur les nouveaux prêts accordés aux banques et institutions financières à 5 % pour 2020 et 10 % pour 2021
Une diminution du niveau de retenue à la source sur les prêts existants pour les banques et les institutions financières à 10 % pour 2020
Réactions
Chan Sophal, président du Center for Policy Studies, pense que la situation peut difficilement s’améliorer rapidement, car d’autres pays restent encore confrontés aux effets du ralentissement mondial induit par le virus.
« Cela affecte notre marché, notre tourisme et nos exportations. La situation peut durer plus de six mois », dit-il. Inn Channy, PDG du groupe Acleda Bank, déclare que le ralentissement économique actuel reflétera les expériences de la crise financière mondiale de 2008. Il a déclaré que le Cambodge avait pu rebondir vers une croissance positive en 2009 et s’était rétabli en 2010. Il admet que l’impact du crash de 2008 restait limité au secteur de la construction et de l’immobilier, mais que COVID-19 concerne des secteurs clés.
« Je ne peux pas prédire si la crise est pire que celle de 2008, mais il y a des similitudes conclut-il.
Banque mondiale au Cambodge
“Le choc mondial déclenché par la pandémie de COVID-19 a eu un impact significatif sur l’économie cambodgienne”, a déclaré Inguna Dobraja, responsable pays cambodgien pour la Banque mondiale.
“La Banque mondiale est déterminée à aider le Cambodge à gérer efficacement la crise du COVID-19 et à renforcer l’économie pour la reprise et la résilience future”, a-t-elle ajouté.
Meas Soksensan, porte-parole du ministère cambodgien de l’Économie, pense que le ralentissement de la pandémie de COVID-19 permettra un retour progressif à la normale de l’économie, mais que le gouvernement prend également des mesures de son côté. “Nous examinons la possibilité d’injecter plus de liquidités dans l’économie, et si nous n’avons pas suffisamment de ressources, nous envisagerons d’emprunter, car le niveau d’endettement du Cambodge est encore gérable.”
Luu Meng, Président de la Fédération Cambodgienne du Tourisme exprimait sa satisfaction quant à la réponse du gouvernement face à la situation économique difficile :
« Au nom des secteurs privés du tourisme et de nos membres de la Fédération cambodgienne du tourisme, “FCT” je souhaite remercier le gouvernement royal du Cambodge et ses partenaires, pour la préparation et la réponse au COVID-19 au Cambodge. Ensemble, le gouvernement et ses partenaires travaillent pour sauver des emplois et des vies en protégeant la santé tout en minimisant les impacts sociaux et économiques de la crise liée au coronavirus. C’est vraiment une grande étape que nous franchissons, il y en aura surement d’autres, et je tiens à remercier l’équipe d’Eurocham et toutes les associations professionnelles pour leur collaboration. »
CG
Sources : Eurocham - BM - FCT - Photographie de couverture : Jonathan Ang Wai Meng
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