Lors de mon tout premier voyage au Cambodge il y a plus de vingt ans, j’avais été assez surpris et amusé d’y trouver des éléments de nourriture qui m’étaient pour le moins familiers : café agrémenté de lait concentré sucré, baguettes de pain et sandwichs…
La présence de restaurants d’inspiration française, à une époque où le Cambodge venait à peine de s’ouvrir et avant même que n’arrive en masse le personnel de l’APRONUC, m’avait également interpellé. C’est bien entendu la présence de la France au Cambodge, pendant neuf décennies (1863-1953), qui explique l’adoption par les Khmers d’éléments culinaires français.
En regardant d’un peu plus près la cuisine cambodgienne, on s’aperçoit que les ingrédients typiquement français qui ont été naturalisés sont légion :
Les baguettes de pain (ou, souvent, demi-baguettes) transformées en sandwichs, couramment proposés au Cambodge, sont souvent agrémentés de beurre, de sardines à l’huile ou de « pâté »
La langue khmère utilise le mot « pain » (nom pang) pour désigner ces en-cas, et a aussi conservé ce mot « pâté », mais a étendu son champ sémantique, puisque ce mot désigne non seulement les pâtés proprement dits, mais aussi des préparations de charcuterie que nous classerions plutôt dans la catégorie des saucisses et autres mortadelles. Il n’est pas rare non plus que fromage fondu, pâté de foie de porc, sardines à l’huile… accompagnent sur les plaques métalliques les œufs frits servis pour le petit-déjeuner dans des restaurants résolument autochtones, le tout étant bien entendu accompagné de tranches de pain frais. Ces mêmes tranches de pain accompagnent aussi volontiers, en remplacement des nouilles de riz fraîches ou du riz, des currys khmers. Les œufs sont aussi volontiers préparés en omelettes, mot français que le khmer a emprunté et que l’on peut lire sur les cartes des restaurants khmers.
Les Français ont également introduit au Cambodge de nombreux ingrédients alimentaires qu’ignoraient les Khmers. Outre le café le lait concentré déjà mentionnés, nous pouvons compléter la liste en citant : pommes de terre (appelées en khmer « tubercules barang »), oignon (« alliacée barang »), beurre (la langue khmère a conservé le mot français), carottes (« karot » en khmer), chocolat (« sokola »), bière… On ne s’étonnera donc pas de voir proposées en accompagnement de préparations locales, des pommes de terre frites (dans la version dite « anglaise » du loklak, par exemple), des carottes (dans les soupes), des feuilles de laitue ou des oignons émincés, ou de constater que l’une des matières grasses privilégiées dans les cuisines khmères est bien le beurre (et la margarine).
Moins visibles sont les techniques culinaires que les Français ont fait connaître aux Cambodgiens. Ainsi, si la cuisine cambodgienne possédait bien avant l’arrivée des colons européens des mets liquides que nous appelons de façon générique « soupes », en plus des préparations traditionnelles de type « sâmlâ » (des soupes riches en ingrédients qui leur confèrent une texture épaisse) et de type « sngao » (aliments qui sont cuits à l’eau et servis dans le bouillon de cuisson), les Khmers ont cru bon d’ajouter à leur panoplie de mets liquides des « sup » (soupes), qui recourent souvent à des bouillons préparés à l’avance (avec des os de porc, des carcasses de volaille…).
Sur les cartes des restaurants khmers qui proposent des grillades, il n’est pas rare non plus de relever la présence d’un type de grillade particulier, appelé « roti », pour les cailles, par exemple
Enfin, en lisant la table des matières de recueils de recettes destinés à aider les ménagères khmères manquant d’inspiration au moment de planifier leur repas, force est de constater que les recettes de mets français bénéficient d’une popularité certaine auprès des compilateurs. Ainsi, dans l’un de ces ouvrages, je relève au hasard des recettes des plats européens les plus variés : purée de pommes de terre, bifteck, côtelettes aux pommes frites, blanquette de bœuf. D’autres plats ont été si bien adoptés que les ménagères ne doutent pas un instant qu’ils sont typiquement khmers, par exemple les tomates farcies, qui sont parfois vendues prêtes à cuire dans les supermarchés locaux.
Les gourmets cambodgiens sont d’ailleurs friands de gastronomie gauloise, si bien qu’ils constituent une part importante de la clientèle des restaurants français de Phnom Penh. Ils ont également résolument adopté les vins des terroirs de l’hexagone et, pour les plus fortunés d’entre eux, n’hésitent pas à débourser des sommes rondelettes pour quelques flacons millésimés…
On voit donc bien que la trace laissée par les Français dans la gastronomie cambodgienne est loin d’être négligeable.
Par Pascal Medeville
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