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Photo du rédacteurChantha R

Diaspora & Parcours : Bunthoeun, « Je préfère vivre que regretter, essayer plutôt que de douter »

Dernière mise à jour : 19 oct. 2023

Chers lecteurs de Cambodge Mag, le portrait d’aujourd’hui est probablement le plus difficile que j’ai eu à retranscrire, car chargé de tant d’émotion. Bunthoeun Steven Outh, que beaucoup connaissent du forum Facebook « Khmers d’ici et d’ailleurs », a donc exceptionnellement accepté de nous livrer avec pudeur sa tragique période de vie sous le régime des Khmers rouges.

Bunthoeun Steven Outh
Bunthoeun Steven Outh

Aujourd’hui devenu le premier Khmer à accéder au show prestigieux du Mondial de la Coiffure, il est désormais partenaire franchise WELLA et ambassadeur de la marque à travers le monde, et celui qui a entendu jadis lors de son arrivée en France « Vous les sauvages vous ne ferez jamais rien de votre vie » est désormais un formateur très engagé de l’ONG Pour un Sourire d’Enfant (PSE) et un modèle à suivre dans son métier. Voici son histoire.

Natif de la province de Battambang, tu coules une existence plutôt paisible jusqu’à l’arrivée des Khmers rouges. Ton père étant militaire, ta mère trouve alors un subterfuge afin de vous maintenir en vie. Lequel est-il ?

Ma mère - sentant le danger - et ayant évoluée longtemps dans un environnement militaire - nous fit passer pour des paysans. Ceci nous permit de ne plus être considérés comme une menace. Nous adopterons alors durant toutes ces années de survie un comportement de docilité extrême, en prenant soin de ne plus jamais évoquer notre passé (afin de ne pas être démasqués).

La cruauté du régime n’ayant que peu d’égal, que t’arrive-t-il qui n’est pas sans te rappeler le film d’Angelina jolie « First they kill my father » ?

Le jour où les Khmers rouges m’arrachèrent des bras de ma mère pour aller travailler dans les camps reste un véritable déchirement ; je ne connaîtrais par la suite que famine et peurs au quotidien. J’avais seulement 7 ans.

« Plus tard je fis également trois fugues pour rejoindre ma mère. Mais je fus à chacune d’entre elles retrouvé, torturé et remis dans les camps. »

Nous étions une cinquantaine de familles subissant le même sort ; chaque jour avait alors son lot de morts, dont celle de mon neveu, suite à la famine et la malaria.

Mon existence ne se résumait qu’à du travail forcé et des cadavres à enterrer chaque matin. J’ai à ce sujet caché ces moments de tortures et souffrance extrêmes à mon entourage et mes proches - y compris ma mère - durant des années.

Pourrais-tu nous raconter quelques autres épreuves sous ces années de dictature ?

Je n’arrive encore pas à ce jour à trouver les mots exacts pour décrire les souffrances que nous avons endurées.

« Mais je ressens encore ce sentiment de grande méfiance à l’égard de tout un chacun et cela m’amènera à devenir tel un sourd-muet. »

Peut-être un acte machinal dont je compris toute l’importance plus tard : un soir ma mère (revenant du camp de travail) sortit des boulettes de riz de sa poche, que j’engloutis rapidement. Je réalisais plus tard que j’avais reçu sa seule portion de nourriture du moment.

Puis à la chute du régime, ta mère prend une décision qui convaincra également pas moins d’une dizaine d’autres familles, laquelle ?

À l’époque personne ne pensait devoir refaire sa vie à l’étranger, mais plutôt se cacher en attendant de meilleurs jours. Nous nous rendîmes alors en Thaïlande.

Vous vivrez notamment pendant deux ans aux frontières, sous la protection de La Croix rouge. Des souvenirs notoires de ces années ?

Ma première pensée serait celle d’un endroit où l’on peut enfin manger. Ensuite le retour à l’école et peut-être les restrictions imposées par les militaires thaïlandais ou l’encerclement par les fils de fer barbelés. Mais dans l’ensemble, un petit pas vers la liberté.

Parle-nous de votre vision du régime politique français à cette époque

Ayant subi le plus gros génocide de l’histoire de l’humanité sous un régime communiste, nous ne comprenions évidemment pas le sens de la position communiste française de l’époque.

La décision de s’installer en France est finalement choisie puis vient l’installation à Marseille. As-tu des souvenirs marquants de ces premières années ?

Le choc est indéniable ! Il est à la fois culturel (le mode de vie, la langue et surtout la nourriture) et climatique (comme la durée du jour par exemple)… et bien sûr, ce sentiment grisant de liberté.

Et cette rage de vouloir montrer aux autres que j’arriverais à m’intégrer malgré les railleries quotidiennes

Par la suite, une amie te suggère de t’essayer à la coiffure de façon professionnelle. Que va-t-il se passer ?

Après avoir essayé plusieurs corps de métiers de façon peu concluante, une amie me suggère la coiffure, car je la pratique inconsciemment depuis toujours sur les autres. Je m’inscris à une école de coiffure à Marseille où je réside alors puis frappe à la porte d’un salon pour un stage… trois heures après mon essai ils me feront signer le contrat !

Durant un show
Durant un show

Où t’orienteras-tu finalement après ton brevet et les sept années qui suivront ?

Je deviens « manager » dans un salon cette fois-ci à Montélimar. Et je passerais les sept années qui suivent à me perfectionner par tous les moyens proposés dans ce métier.

Ta vie personnelle t’amènera alors en 1999 à Avignon, qu’y feras-tu ces premières années ?

J’ai enfin la possibilité d’acheter mon propre salon. J’y amènerais ma vision personnelle de la coiffure et je partirais d’une employée pour terminer avec sept, deux maquilleuses et une réceptionniste.

Raconte-nous ton premier show coiffure et ce qui s’en suivra

Repéré six mois auparavant par l’équipe de SCHWARZKOPF, je suis invité à démontrer mes compétences lors d’un show coiffure.

« Le succès sera total ! Je serais suite à cela convié à participer au mondial de coiffure. »

Devenu le premier Khmer de l’histoire à y participer, la véritable « aventure coiffure » commence.

Arrive ton retour au Srok khmer, comment vis-tu cette aventure ?

Ne parlant plus du tout le khmer depuis mon entrée dans la coiffure, ce retour est vécu comme un véritable choc émotionnel.

Au Srok khmer
Au Srok khmer

Je n’arrive plus à prononcer un seul mot de ma langue maternelle. Le blocage est alors total et incompréhensible.

De retour en France, tu te plonges dans une longue période de réflexion. Quelles en seront tes conclusions ?

Une mise au point de deux ans me sera nécessaire afin de faire le bilan sur mon parcours de vie et le déclic arrive : le moment est venu par dessus ce passé extrêmement douloureux. Je reste un Khmer dans mon sang et je dois aider mon peuple.

Démarre alors ta première mission avec PSE, peux-tu nous la décrire et nous exprimer ton ressenti ?

J’avais rencontré Serge Contesse de PSE lors d’un show. Je l’appelle et propose mon aide pour deux semaines ; tout prend alors son sens lorsque je commence à transmettre mon savoir.

Depuis tu t’investis énormément dans la cause. Raconte-nous un séjour type à PSE ?

  • Transmettre mon amour pour mon métier

  • Être totalement à l’écoute des apprentis

  • Connaître leurs histoires respectives

  • Rester digne et neutre face à des récits extrêmement durs

  • Bien sûr, leur apprendre le maximum de méthodes de travail

Avec les élèves de PSE
Avec les élèves de PSE

Quels sont à aujourd’hui tes meilleurs souvenirs avec PSE ?

  • La joie des enfants dès mon premier jour

  • Un sentiment de paix indescriptible

  • Se faire appeler « papa »

  • La solidarité

Quels sont tes projets à ce sujet ?

  • Y retourner idéalement trois fois par an

  • Me consacrer à l’école de coiffure à Phnom Penh en tant que formateur

  • Y former également les professeurs de coiffure de PSE

  • Continuer à faire une journée à PSE

Quels sont également tes projets professionnels ?

Par rapport à PSE par exemple, les enfants étant trop choyés, ils ne savent pas fonctionner dans le monde réel. Alors faire rencontrer les deux mondes pour les rendre plus forts demeure l’un de mes projets.

Le salon de Le salon de Bunthoeun Steven Outh
Le salon de Bunthoeun Steven Outh

Enfin, tu demeures un exemple remarquable de personne ayant surmonté de graves traumatismes de guerre et tu abordes la vie avec une grande philosophie et une certaine jovialité. Aurais-tu des conseils à donner à nos pairs qui connaissent plus de difficultés à surmonter ce type d’épreuve ?

J’aimerais déjà que les coiffeurs khmers soient plus dans l’humilité et le partage, car c’est à nous les Cambodgiens de montrer l’exemple aux autres Cambodgiens.

Enfin,

«  Je préfère vivre que regretter. Essayer plutôt que de douter. Accepter qui nous sommes pour avancer et continuer à donner sans rien attendre, et se donner à 100 % sur tout. »

Interview par CHANTHA R (Francoise Framboise)

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