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Tourisme & Destination : Mechrey, la vie au fil du Tonlé Sap

Loin de la frénésie touristique de Chong Kneas et Kompong Phluk, le village flottant de Mechrey illustre un mode de vie séculaire, mais aujourd’hui menacé.

En arrivant à Mechrey

En arrivant à Mechrey


Si les eaux poissonneuses du Tonlé Sap abritent de nombreux villages flottants, rares sont ceux qui ont su préserver leur authenticité face à l’afflux de touristes et aux attraits de la modernité. Il en est pourtant un qui ne figure dans aucun guide ni brochure. Bienvenue à Mechrey, à quelques encablures de Siem Reap, là où le temps s’écoule calmement.

Entre terre et eau

Il faut moins d’une heure pour parvenir, depuis le centre-ville, au petit port où se tiennent alignés cinq ou six bateaux aux couleurs vives. Point de départ d’un trajet enchanteur, où l’embarcation se fraie un improbable chemin entre les jacinthes d’eau qui pullulent, créant un tapis vert posé sur l’eau bleue du lac. D’une main sûre, Net, qui cumule les fonctions de pilote, de guide et de traducteur, manie le ‘’volant Toyota’’ qui lui sert de gouvernail. Le jeune homme de 25 ans peine à déjouer les pièges de cet endroit à la topographie mouvante : en saison sèche, le lieu où nous naviguons laisse place à une plaine fertile, où on cultive le riz et où paissent vaches et buffles d’eau. Sur le trajet, les cimes à peine émergées des cocotiers rappellent le caractère inondable de ce lieu qui n’appartient ni tout à fait à la terre, ni tout à fait au lac. A ce titre, l’embarcadère pour Mechrey change constamment d’endroit. Mieux vaut donc s’y rendre en compagnie d’un guide, afin d’éviter toute errance à travers les somptueux paysages campagnards qui bordent l’embarcadère nomade.

Embarcation-maison de pêcheur

Embarcation-maison de pêcheur


Une vie faite de contraintes

Sur l’eau calme, au bout d’un chenal aussi large qu’un boulevard, se distingue au loin un vaste bâtiment : la pagode, seule construction en dur du village. Avant de l’atteindre, le bateau longe une petite annexe religieuse sous laquelle s’entassent des fardeaux de bois : « C’est le crématorium, précise Net. Nous l’avons depuis l’an 2000. Avant, nous ne disposions d’aucun endroit pour incinérer les morts. Il fallait attendre la saison sèche pour cela. Alors, lorsqu’un décès avait lieu, le corps était provisoirement déposé au sommet d’un arbre. Il fallait attendre que le niveau d’eau baisse pour pouvoir enfin procéder à la crémation. »

Nous dépassons alors la pagode pour arriver au cœur du village. Des maisons de toute sorte y flottent, en bois, en tôle, en feuilles de palmiers, accolées les unes contre les autres. Des « rues » se dessinent, des commerces apparaissent, des coiffeurs, un garagiste… La vie s’y déroule calmement, portes et fenêtres grandes ouvertes, chacun vacant à ses occupations sur le seuil de son logement. Paresseusement, notre bateau se range à flanc d’une maison où nous attend un petit groupe.

Habitants du village lacustre

Habitants du village lacustre


Les forçats du lac

260 familles vivent ici, soit environ un millier d’habitants, pêcheurs pour l’essentiel. Le métier est rude : levés dès 4 heures du matin, les travailleurs partent au large pour y poser leurs filets. Mais les prises sont, selon leurs dires, de plus en plus rares. Tous pointent du doigt la construction de nombreux barrages sur le Mékong qui, selon eux, participent à cette raréfaction. Entre 10 et 20 kilos, tout au plus, sont ramenés chaque jour. Une grande partie sera expédiée vers la Thaïlande. Vendu entre 1000 et 6000 riels le kilo selon la variété, le poisson est loin de constituer une confortable source de revenus. Certains ne parviennent même plus à acquérir de nouveaux filets, bien trop coûteux. Cela n’empêche pas la petite bande qui nous accueille de sourire à pleines dents, tout en nous offrant poissons grillés, bières et alcool de riz fait maison. La journée est terminée, le soleil se couche lentement et l’heure est à la détente. Pas d’autre alternative que de se retrouver à discuter ensemble : ici, pas de bar ni de jeux, mais de forts moments amicaux et, parfois, un karaoké.

Un village itinérant

Peu à peu le village s’illumine, alimenté par des batteries rechargées à l’aide de rares panneaux solaires ou par des groupes électrogènes. Enjambant les pontons et marchant sur les embarcations, des habitants déambulent de maison en maison. A l’intérieur, les enfants font osciller avec de grands éclats de rire les hamacs transformés pour l’occasion en balançoires.

Un village itinérant

Un village itinérant


Trois fois par an le village se déplace, en fonction des crues et des décrues. A cette occasion, chaque maison, qui repose sur des flotteurs faits de bambous ou de barils, est tractée par bateau vers son nouvel emplacement. La solidarité entre villageois bat alors son plein, tout comme lorsqu’il s’agit de construire une nouvelle habitation. Pour 2000 $, les matériaux sont achetés puis acheminés depuis la berge, et les pêcheurs sacrifient tous un peu de leur temps pour les assembler. Un village flottant ne bénéficie d’aucun réseau électrique, ni d’eau courante ou d’évacuation des eaux usées. Les déchets finissent soit brulés, soit dans le lac. Pas de docteur, non plus, hormis un itinérant qui effectue ses visites tous les deux ou trois mois.

Nuit chez l’habitant

Le village ne disposant d’aucune structure hôtelière, un matelas a été déposé chez les propriétaires de l’unique restaurant. Un restaurant très informel, le faible nombre de touristes obligeant les tenanciers à mener d’autres activités, l’élevage de crocodiles et de quelques volailles en l’occurrence. Dans la maison mitoyenne, c’est un vaste vivier qui a été choisi pour fournir des revenus d’appoint. Pourtant, dans ce petit restaurant, tout est prêt pour accueillir les visiteurs : les larges tables côtoient les étagères où s’entassent pêle-mêle des souvenirs bon marché. Aux petites lueurs du jour, le village reprend vie : les enfants se rendent à l’école et les marchands ambulants aux barques chargées de fruits et de légumes cabotent entre les habitations. « Sur terre, c’est au client d’aller chez l’épicier, fait remarquer Net en souriant ; ici, ce sont les épiciers qui viennent à nous ! ».

Visite de courtoisie

Ce matin, nous rendons visite à Nih et Bun, 63 et 68 ans, mémoires vivantes du village. Lorsque nous leur demandons quand a été fondé Mechrey, Bun réfléchit quelques secondes en fronçant les sourcils. Après avoir compté le nombre de générations qui s’y sont succédé, le vieil homme en déduit que le village doit avoir entre 70 et 80 ans d’existence. Une belle longévité pour un lieu qui a bien failli disparaître sous le règne des Khmers rouges. Lentement, le village s’est reconstruit, malgré une population passée de 270 familles dans les années 60 à seulement 50 dans les années 80. Peu à peu Mechrey s’est repeuplé, attirant à nouveau les modestes pêcheurs. Ici, pas de taxes foncières, pas de factures d’eau ni d’électricité. Ceux qui réussissent quittent le village pour la terre, mais la plupart des habitants restent attachés à leur vie sur le lac.

Un devenir incertain

Il est temps de partir. Net nous fait accomplir un dernier tour du village. Des habitants se rendent à la pagode : 90% de la population pratique le bouddhisme. D’autres se sont convertis au christianisme, une église y a été récemment construite. Aucune ONG ne vient en aide au village, et seule une organisation missionnaire fournit quelques subsides à l’une des cinq écoles primaires. Sur le chemin du retour, nous ne croisons qu’une seule embarcation transportant des touristes : « Il en vient très peu, souligne Net en la regardant passer. Des Européens pour la plupart : très peu d’anglo-saxons. » La communauté villageoise compte bien évidemment sur un afflux de visiteurs pour compenser la baisse d’activité de la pêche. Peut-être qu’un jour, plus tôt qu’on ne le pense, Mechrey deviendra le nouveau Chong Kneas. Les Lonely Planet et autres Routard vanteront les mérites de « cet authentique et pittoresque village flottant », et des hordes de touristes sillonneront la voie principale. En attendant, Mechrey a su conserver son vrai visage, celui d’un lieu magique et inoubliable.

Net Van est incontestablement le meilleur guide que l’on puisse trouver. Sa gentillesse, sa connaissance du lieu et de ses habitants ainsi que sa parfaite maîtrise de l’anglais garantissent de passer en sa compagnie un moment unique. Pour le contacter : 0963 811 391 Textes et photographies par Rémi Abad. Photographie de couverture par Peter Nijenhuis

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