La saison des pluies est sans doute la plus belle de toutes, offrant des paysages où la terre et l’eau semblent en parfaite harmonie avec un ciel majestueux. Le tout baignant dans une lumière irréelle et contrastée à l’extrême, pour le plus grand bonheur des peintres et des photographes. Ou, tout simplement, pour toute personne un tant soit peu sensible à la beauté d’un pays qui n’est pas avare en merveilles de toutes sortes.
La colline de Phnom Krom, qui dresse ses 120 mètres de haut au sud de Siem Reap, fait partie de ces lieux enchanteurs qui doivent être visités en cette saison. Si le site en lui-même vaut le déplacement, le trajet réservera quelques belles surprises et constituera une parfaite occasion d’échapper, le temps d’un après-midi, au tumulte de Siem Reap.
Au détour de la rivière
À seulement 12 kilomètres du centre-ville, le trajet vers Phnom Krom peut être effectué sans problème en moto ou, idéalement, au guidon d’un vélo, compagnon idéal pour profiter des alentours. Quel que soit le moyen de locomotion choisi, traversons Siem Reap et prenons la direction du sud en longeant la rivière.
Le défilement des boutiques situées sur le bord de la route offre un panorama éclectique
Les détails à observer le long de la route ne manquent pas : des pêcheurs, armés pour certains d’une canne, d’autres jetant un filet, peuplent les berges sous le regard des promeneurs venus scruter les prises. Des âmes solitaires prennent place sur les bancs ou les rambardes bordant la route, contemplant d’un œil rêveur le scintillement des flots, pendant que des vaches émaciées paissent sur un coin de pelouse.
Tout près, sur une table, reposent 5 ou 6 marmites en inox renfermant leurs mets dont l’odeur effleure les narines. Des gamins en uniforme juchés sur des vélos parfois beaucoup trop grands pour eux circulent en bande joyeuse, le cartable sur les épaules. Des moines dont la robe safran colore la démarche regagnent leur pagode. Quelques chiens dégarnis et à l’aspect négligé, qui ne prendront même pas la peine d’aboyer à votre approche, côtoient d’altières oies blanches au port hiératique. Enfin, le défilement des boutiques situées sur le bord de la route offre un panorama éclectique, où voisinent coiffeurs, restaurateurs, réparateurs de vielles télévisions, tailleurs, épiciers et autres commerçants à l’activité aussi variée qu’improbable.
Un chapelet de pagodes
Pourquoi ne pas s’arrêter quelques minutes dans l’une des nombreuses pagodes qui bordent la route, havres de paix propices à la méditation ainsi qu’aux rencontres avec des moines toujours prompts à engager la conversation. Wat Kong Moch, Wat Po Banteaychey, Wat Aranh Sakor défilent de l’autre côté de la rivière. Toutes valent une visite, mais peut-être devrions-nous nous réserver pour plus tard. Dans l’immédiat, nous longeons le marché de Psar Athvea, certes tout petit, mais dont l’authenticité saura séduire les visiteurs. On y trouvera d’excellents fruits et de succulents poissons grillés.
En continuant, nous apercevons un peu plus loin un large portail rose annonçant la proximité d’une pagode. Si nous avons le temps, bifurquons donc sur la droite et, au bout de quelques minutes, arrêtons-nous dans le temple de Wat Athvea. Datant du XIIème siècle, ce lieu n’aura jamais cessé d’être voué aux cultes, puisqu’une pagode moderne entoure l’antique temple.
Nous nous éloignons déjà de la ville, et, après seulement quelques kilomètres parcourus, le Cambodge se révèle ici dans toute sa beauté. Peu à peu, les constructions deviennent plus éparses, laissant entrevoir les paysages cernant la route. Les plantations de lotus, dont les larges feuilles reposent sur une eau semblable à un miroir, méritent un arrêt plus ou moins prolongé : si nous avons le temps, un petit bungalow à fleur d’eau pourra être loué. Confortablement installé dans un hamac, boissons et nourriture pourront être consommés en toute quiétude dans ce cadre fantasmagorique.
À la poursuite du soleil
Mais n’oublions pas le but principal de notre excursion : parvenir au sommet du Phnom afin d’y assister, perché sur sa hauteur, au coucher du soleil sur les rizières qui le bordent. La route, maintenant dépourvue de virages, laisse entrevoir la silhouette de la colline qui se dresse droit devant. Sur le trajet, des vendeurs de fleurs de lotus tiennent leurs petits stands et, pour un demi dollar, vous tendront un bouquet dont vous pourrez extraire les graines. Sans être particulièrement goûteuses, ces dernières seront néanmoins d’une agréable fraîcheur, sans omettre ses nombreux apports nutritifs : manganèse, phosphore et vitamine B1.
Gardons-les pour le sommet, puisque nous y sommes presque : encore quelques efforts et nous voilà au pied de la colline, devant les escaliers monumentaux qui permettent d’y accéder. Si vous avez choisi le vélo, mieux vaut laisser les montures en bas et poursuivre l’ascension à pied. En moto, les choses sont plus faciles, car route longeant le Phnom permet d’y accéder directement. Ce genre de préoccupation ne semble pas concerner les nombreuses chèvres qui, par l’on ne sait quel miracle, sont parvenues sur les parois et, de toute leur hauteur, semblent vous narguer d’un regard narquois.
Vue panoramique
En montant, l’on s’aperçoit vite de la popularité du site, tout particulièrement durant la fin de semaine. Là, à flanc de colline, s’installant sur des nattes ou des chaises en plastique, les flâneurs dégustent bières et grillades en contemplant le Grand Lac. Le paysage bordant le Phnom varie énormément selon la période à laquelle l’on s’y rend. Lors de la saison sèche, il faudra plisser les yeux pour apercevoir une minuscule étendue d’eau tout au bout de l’horizon. En saison des pluies, le petit village en contrebas de transforme en cité lacustre, tandis que le lac vient lécher la base de la colline.
Il est temps de jeter un coup d’œil sur sa montre : s’il n’est pas encore 17h30, un ticket vous sera demandé, le même que celui requis pour accéder aux temples d’Angkor. Après cet horaire, les gardiens tolèrent un accès libre. Après avoir suivi le chemin pentu, nous voilà enfin au sommet, récompensé de nos efforts par un panorama dominant la plaine Cambodgienne. Avançons vers le temple, ce dernier en vaut la peine, même si les outrages du temps se lisent sur ses pierres au grès érodé.
Phnom Krom, la « colline en aval »
Probablement occupée depuis des temps forts anciens, la colline de Phnom Krom constitue un promontoire hautement stratégique, permettant d’englober d’un coup d’œil toute la zone du lac. Le site prend son ampleur sous l’impulsion du roi Yasovarman Ier, l’un des souverains les plus éminents de l’histoire angkorienne. C’est sous son impulsion qu’une nouvelle capitale est créé, délaissant le site de Roluos pour celui de Yaśodharapuraa, plus connu pour nous sous son appellation d’Angkor. Là, il installe son temple principal au sommet de la colline de Bakheng, y emmenant le précieux linga sacré. Quoi de plus naturel, lorsque l’on cherche à tutoyer les divinités, que de s’établir en hauteur ?
Wat Athvea
Tandis que la nouvelle cité se bâtit en contrebas, deux autres collines sont aménagées, celles de Phnom Bok et de Phnom Krom. Dédiés aux trois divinités majeures du panthéon hindouiste, Vishnou, Brahmâ et Shiva, les temples sont peu à peu délaissés au cours des siècles suivants, ne laissant pour témoignage qu’un amoncellement de pierres recouvrant peu à peu les statues autrefois adorées. Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle, et surtout au début du XXème, que des travaux de déblaiement et de restauration sont accomplis, les statues rejoignant quant à elles le Musée national de Phnom Penh.
Un dernier mot d’Henri Marchal
Traversant le temple, gagnons le promontoire situé à l’ouest, faisant face à l’astre solaire déclinant. Pour peu que le niveau d’eau soit suffisant pour refléter ses rayons, c’est tout le paysage, ciel et terre, qui prendra une teinte vermeille dont les infinies nuances semblent évoluer à chaque minute écoulée. Il est temps de regagner la ville, non sans humer, sur le chemin du retour, les effluves libérées par la fraîcheur nocturne.
À condition toutefois de ne pas se trouver derrière l’un des nombreux bus effectuant le trajet, Phnom Krom étant devenu un lieu de visite fort prisé. Tout en restant loin, heureusement, de l’effervescence qui règne dans les principaux temples. Prudence, toutefois, sur la route qui nécessite une certaine attention à la nuit tombée, tout ce petit monde étant pressé de regagner la ville.
Contentons nous de repenser, sur le trajet, aux lignes écrites en 1928 par Henri Marchal : « Il est un paysage tout à fait délicieux et qui a toujours réuni les suffrages des nombreux artistes qui l’ont vu : c’est la rivière traversant le village de Siem Reap et que la route qui conduit au Phnom Krom et au Grand Lac longe pendant près de dix kilomètres.
Cette rivière aux méandres capricieux et ombragés de belles touffes de bambous, aux rives toujours verdoyantes, présente un charme incomparable ; je ne crois pas qu’on y puisse rester insensible lorsqu’on la suit, soit aux heures matinales quand le soleil commence à percer les frondaisons, soit au crépuscule quand l’ombre répand son mystère parmi les palmeraies et que l’eau recueille les dernières clartés du jour. Paysage unique, je crois, au Cambodge, et qui peut rivaliser avec les plus beaux de Ceylan. »
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