Alors qu’il célèbre plus de 40 ans d’existence, le SIPAR continue inlassablement son combat en faveur de la lecture.
À l’heure du tout numérique et de l’omniprésence des écrans, le devenir du livre papier pose question et semble de plus en plus menacé. Cette inquiétude est pourtant démentie par les faits, qui prouvent au contraire une nette appétence pour l’objet livre. Foule qui se presse aux salons qui lui sont consacrés, succès éditoriaux et multiplication des bibliothèques tant publiques que privées insufflent au livre un dynamisme bienvenu.
Un retour en grâce auquel le SIPAR n’est pas étranger : fondée en 1982, cette association s’est transformée en une maison d’édition florissante et promeut depuis la lecture sous toutes ses formes.
Des dizaines de projets en cours
Basée à Phnom Penh, Béatrice Montariol vient de passer à Siem Reap deux journées bien remplies. En charge du développement des projets, cette compagnonne de longue date de l’ONG est venue visiter la bibliothèque mise en place au sein de l’usine PACTICS, une autre située dans la prison de la ville, a rendu visite au bibliobus du SIPAR et effectué les 50 kilomètres de trajet séparant le centre-ville du lycée Makara, où doit être mis en place un centre d’Information et d’Orientation multimédia.
Sans omettre de visiter le centre culturel Siem Reap Bannalay afin d’apporter aide et conseils dans la gestion de sa bibliothèque. Ni la pluie, ni la fatigue n’auront entamé son franc sourire et son enthousiasme envers ces projets qui tous véhiculent des valeurs chères au SIPAR, et ce depuis quatre décennies.
Savoir partagé
Ces initiatives, qui sont autant de vecteurs de savoir, de culture et de partage de connaissances, se comptent par dizaines au travers des provinces cambodgiennes. Y compris dans les lieux les plus reculés, comme en témoigne ce biblio-bateau sillonnant le Grand Lac et les villages isolés établis sur sa surface. Ou encore les deux biblio-tuktuks qui desservent les bidonvilles de la capitale, offrant un accès à la lecture et à la culture au plus grand nombre possible.
« Tout a commencé en France, en 1982, raconte Béatrice Montariol au sujet de la genèse du SIPAR. Il s’agissait au début de venir en aide aux réfugiés en provenance du Sud-Est asiatique afin qu’ils puissent s’installer au mieux dans l’Hexagone. Puis, très vite, l’association est intervenue directement dans les camps situés à la frontière thaïlandaise, dispensant des cours de français à destination d’un double public. Il s’agissait en effet de faciliter, en amont, l’installation des Cambodgiens désireux de venir vivre en France, mais ces cours de français étaient aussi dispensés en faveur de celles et ceux qui, une fois de retour au Cambodge, pourraient ainsi bénéficier d’un avantage conséquent en maîtrisant la langue de Molière. Des bibliothèques ont été montées dans ces camps, puis nous nous sommes mis par la suite à éditer nos propres ouvrages. Éducation, édition, promotion du livre et de la lecture sont depuis restées au cœur de nos activités. »
Des lettres et des chiffres
Installé au Cambodge dès 1991, le SIPAR peut s’enorgueillir d’un beau palmarès : 580 lieux de lecture ont été créés, auxquels il faut rajouter 9 bibliobus, 3 tuktuks et un « bateau-livres », touchant ainsi un public estimé à environ 330 000 bénéficiaires directs. Afin d’assurer le bon fonctionnement de ces lieux de culture, 2 600 bibliothécaires ont été formés au métier. 3,1 millions d’exemplaires sont quant à eux sortis de la maison d’édition SIPAR, répartis sur 250 titres et 20 collections.
« À peu près tous les thèmes sont abordés. De la fiction, du documentaire, des sujets de vie pratique, des livres jeunesse et de la BD. Ces dernières connaissent un grand succès, notamment la traduction de l’Année du lièvre, de Tian, l’Histoire des sciences, l’Histoire du monde, mais aussi Dans la combi de Thomas Pesquet, de Marion Montaigne. Toutes nos parutions sont en khmer, concernent tous les niveaux de lecture et sont vendues à un prix très faible afin de leur assurer une plus grande diffusion. »
Pourquoi lit-on ?
En détaillant les actions menées à Siem Reap, Béatrice Montariol nous permet d’entrevoir certains des enjeux liés à la lecture. Dans la bibliothèque de l’usine PACTICS, qui héberge près de 3 000 références, les romans, mais aussi les ouvrages concernant la santé ou la cuisine sont les plus consultés. Comme dans les 600 usines textiles implantées au Cambodge, l’immense majorité des employés sont des femmes issues de milieu rural. L’accès à la lecture leur offre la possibilité de s’autoformer et de se sensibiliser à de nombreuses problématiques.
Dans les prisons, la lecture est un moyen d’évasion, tout en suscitant des vocations. Par le biais d’ateliers d’écriture et de rencontres avec des auteurs, certains détenus ont à leur tour pris la plume. L’installation de postes informatiques a transformé les bibliothèques en médiathèques, ouvrant la voie vers de multiples possibilités d’apprentissage. Vie pratique, langues étrangères, et même formations qualifiantes permettent aux détenus de se réintégrer au terme de leur peine. Des recueils de nouvelles spécialement dédiées aux prisonniers ont même été édités, en collaboration avec le site Sabay News.
Dans les villages desservis par les minibus, le bateau et les tuktuks chargés de livres, une population souvent tenue à l’écart de la culture bénéficie non seulement d’un accès à la lecture, mais aussi d’animations abordant des thématiques telles que la santé, la nutrition ou encore la prévention routière.
Un objet devenu très tendance auprès des jeunes
Loin de tomber en désuétude, le livre demeure toujours un vecteur de savoir irremplaçable. Et devient même à la mode : « Avoir un livre entre les mains est extrêmement tendance, remarque Béatrice Montariol. Beaucoup plus que de tenir un smartphone.
À Phnom Penh, le dernier Salon du livre, qui s’est déroulé à la Bibliothèque Nationale en décembre 2019, a attiré en l’espace de trois jours 180 000 visiteurs, qui se sont pressés autour de 80 stands. C’est dix fois plus qu’il y a dix ans ! Et l’engouement est le même en province. Le public est essentiellement constitué de jeunes, enfants, adolescents ou étudiants, qui trouvent une offre correspondant à leurs attentes.
Ce mouvement est accompagné par des libraires qui sont à leur tour devenus éditeurs. Il en résulte un dynamisme en plein essor dans un secteur qui a été contraint, devons-nous le rappeler, de repartir de zéro. »
Au prochain chapitre
Combattre l’illettrisme, susciter le goût de la lecture et stimuler la curiosité envers toutes les formes de savoir est un combat qui demeurera toujours d’actualité. Parmi les plus vulnérables, comme les travailleurs en usine ou dans les briqueteries, à l’hôpital et dans les bidonvilles, mais aussi auprès de toutes les classes sociales.
Si le livre papier possède ses qualités propres, d’autres supports tels que les livres numériques ou audio investissent peu à peu le paysage et attirent de nouveaux lecteurs.
Rien n’est pourtant encore acquis : « Si l’engouement pour la lecture est une chose encourageante chez les jeunes, nous constatons encore un large désintérêt de la part des adultes. » Un désamour qui pourrait s’atténuer, les confinements successifs dus au Covid ayant en effet provoqué un regain d’intérêt envers ce qui est, en définitive, bien plus qu’un loisir : une expérience.
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