Si on devait mentionner un seul ingrédient vraiment emblématique de la cuisine cambodgienne, ce serait sans aucun doute possible le prahok (ប្រហុក), cette pâte de poisson fermentée, à la très forte odeur (certains diront même que le prahok est malodorant, au point que les Américains l’appellent parfois « fromage de poisson » - fish cheese, ou « fromage cambodgien »). On compare parfois le prahok au garum des Romains, ou au pissalat du sud de la France.
Le prahok peut être fabriqué à partir de diverses espèces de poissons d’eau douce. Il s’agissait en fait à l’origine de conserver plus longtemps le poisson, à une époque où les congélateurs et les boîtes de conserve n’existaient pas. Mais aujourd’hui, la principale espèce de poisson qui sert à fabriquer est le fameux poisson « riel » (ត្រីរៀល), si fameux que c’est ce poisson qui a donné son nom à la monnaie cambodgienne : le riel (រៀល, symbole : ៛).
Les poissons utilisés pour le prahok sont écaillés, vidés, étêtés, nettoyés, et réduits en pâte par piétinement (ce sont les femmes ou les enfants qui en général piétinent le prahok).
Mais la mécanisation a fait son apparition, et aujourd’hui le prahok est parfois confectionné mécaniquement. La pâte de poisson est laissée à fermenter dans des jarres où alternent couches de poisson et couches de sel. Il est consommable au plus tôt après une vingtaine de jours de fermentation, et le prahok de bonne qualité peur se conserver de un à trois ans.
Le prahok peut se vendre en vrac sur les marchés, ou en bocaux dans les boutiques et supermarchés. Il se présente le plus souvent sous la forme d’une pâte brunâtre ou grisâtre, mais on en trouve aussi du blanc. Le prix de vente du prahok dépend du poisson avec lequel il a été réalisé, mais il peut être très élevé. Sur le Marché Central (ផ្សារថ្មី) de Phnom Penh, le prix du prahok blanc servant à réaliser le « prahok khtis » atteignait près de 10 dollars américains le kilo, il y a 7 ans…
Malgré sa forte odeur, qui fait parfois grimacer même les Cambodgiens, ce condiment a sa place dans toutes les cuisines cambodgiennes. Il est fréquemment utilisé pour parfumer les soupes, ou pour réaliser des sauces dans lesquelles on peut tremper des légumes frais ou du bœuf grillé, par exemple. Il n’est généralement pas consommé cru, d’une part en raison de sa saveur très forte, et d’autre part pour des raisons sanitaires (avec le temps, le prahok peut se gâter).
Le prahok peut également être consommé grillé, enveloppé dans une feuille de bananier, ou être employé comme condiment dans un plat tel que le « prahok khtih » (ប្រហុកខ្ទិះ), plat cambodgien très populaire. Il entre également dans la composition de divers plats cuits à la vapeur. Vous pourrez par exemple déguster une excellente « terrine de prahok et de porc » au restaurant Romdeng, à Phnom Penh.
Quand on hume le prahok, on peut avoir peur que son odeur « pestilentielle » contamine les plats que l’on prépare, mais il agit en fait plutôt comme un exhausteur de goût, et se marie généralement à merveille avec les autres ingrédients avec lesquels il est utilisé.
Par et avec l’aimable autorisation de Pascal Médeville – Sinogastronomie
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