Sports, Culture, situation économique, contexte sanitaire, communauté française et bien évidemment, le 14 juillet, le diplomate Jacques Pellet livre ses impressions sur ses deux ans de mission fructueuse au service de la coopération France-Cambodge.
Quel est le sentiment général, Monsieur l’Ambassadeur, après deux ans de mission dans le Royaume ?
Au bout de deux ans, j’ai pu constater combien la France dans son ensemble, que ce soit l’ambassade et ses services ou la communauté française, se montrait très active et que nous entretenions un contact privilégié avec les plus hautes autorités du pays. Bien sûr, nous pourrions faire encore davantage.
À l’ambassade, nous avons développé nos activités avec, en particulier, l’Institut français du Cambodge qui rencontre un grand succès.
« L’année dernière, nous avons comptabilisé 110 000 visiteurs, avec une offre culturelle très variée, que nous allons d’ailleurs renforcer avec un grand projet de scène permanente pour pouvoir accueillir plus de spectacles.»
Dans le domaine des relations politiques, nous avons assisté à un enchaînement d’événements importants qui a commencé avec la visite du Premier ministre Hun Sen à Paris en décembre dernier, qui s’est très bien déroulée, avec un excellent contact avec le Président de la République. Cela s’est traduit ensuite assez rapidement et concrètement par la visite d’Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Il s’agissait de la première visite ministérielle française au Cambodge depuis 2015.
Nous avons ensuite eu le plaisir d’accueillir le directeur général de l’AFD, l’Agence Française de Développement, première du genre depuis dix ans. Il y a eu l’escale de la frégate Le Prairial à Sihanoukville. Il est important de montrer notre présence dans cette région si stratégique de l’Indopacifique. Nos marins ont été très bien accueillis et la visite s’est parfaitement déroulée. Je souhaite que ce type d’escale s’effectue de manière plus régulière.
Enfin, nous avons aussi lancé les premières consultations politiques avec le Cambodge.
En quoi cela consiste-t-il ?
C’est une réunion d’une demi-journée, présidée par des représentants de haut niveau du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, et du ministère cambodgien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. Nous dressons le bilan des différents aspects de notre relation bilatérale et discutons également des grands enjeux internationaux, des crises du moment comme évidemment la situation en Ukraine ou en Birmanie, et réfléchissons à la manière de mieux travailler ensemble sur la scène internationale et au sein des Nations Unies. Donc, c’est un nouveau format d’échange à notre disposition et ce dialogue se tiendra une fois par an, en alternance à Phnom Penh et à Paris.
« Cela traduit une volonté partagée de renforcer notre dialogue et notre coordination avec le Cambodge sur les grands sujets de la politique internationale. »
Nous avons aussi célébré des anniversaires, moments certes symboliques, mais qui témoignent de l’enracinement dans le temps de notre coopération avec le Cambodge. Je mentionnerai tout particulièrement le 70e anniversaire de l’Institut Pasteur du Cambodge, une institution qui a ouvert ses portes un mois après l’indépendance du Royaume, en décembre 1953.
Il y a eu également le 30e anniversaire de la présence de l’Agence Française de Développement au Cambodge, une institution très présente dans la coopération avec le Royaume. À l’occasion de son dialogue annuel avec le Ministère des Finances et les autres ministères concernés, l’AFD a annoncé un doublement de ses engagements, à hauteur de 200 MUSD par an, pour les années 2023 et 2024.
Dans ce domaine, a été inaugurée, le 19 juin dernier, la première phase du projet de Bakheng (traitement et distribution d’eau potable pour la capitale) en présence du Premier ministre Hun Sen. La deuxième phase de ce projet avance très bien et devrait être inaugurée en début d’année prochaine. Nous nous positionnons d’ores et déjà sur une troisième phase. Ce projet, mis en œuvre par les sociétés Vinci Grands Projets et Suez, est une réussite exemplaire.
Donc, une année active, qui s’inscrit dans les stratégies française et européenne de l’Indopacifique, avec la volonté de la France de s’impliquer davantage cette région très stratégique et de renforcer ses relations avec l’ASEAN. Le Cambodge doit avoir toute sa place dans cette approche, car la France coopère d’ores et déjà avec le Royaume dans des secteurs à dimension régionale comme celui de la santé et celui de la paix et de la sécurité avec les Casques bleus cambodgiens, par exemple.
Enfin, j’ai l’honneur de co-présider avec mon collègue japonais, à la fois le CIC Angkor (Comité international de coordination pour la sauvegarde et le développement du site d’Angkor à la co-présidence duquel la France et le Japon ont été reconduits pour les dix années à venir) et le « groupe des donateurs » du tribunal des Khmers rouges. Ce dernier a achevé ses activités judiciaires à proprement parler et se trouve désormais dans une phase dite de fonctions résiduelles pour une période de trois ans. La priorité porte désormais sur la gestion des archives, leur accès et leur préservation, ainsi que sur la dissémination des travaux du Tribunal.
Pour revenir un petit peu sur le contexte dans lequel vous êtes arrivé, vous vous sentez plus rassuré ? Je parle de la crise sanitaire
Oui, mais si on peut considérer que le pire de la crise sanitaire est derrière nous, il nous faut cependant demeurer vigilants face à une éventuelle prochaine épidémie. Sur ces questions, nous demeurons très actifs ici, avec l’Institut Pasteur du Cambodge, bien sûr, mais aussi avec le CIRAD, l’IRD qui promeuvent l’approche « une seule santé », qui lie les questions de santé humaine et animale aux questions environnementales. Nous nous trouvons dans une région du monde extrêmement stratégique en termes de santé et de risques d’apparition de maladies. Notre coopération en tient compte.
« Je pense que des leçons ont été tirées de cette crise sanitaire et qu’elles permettront de se préparer encore mieux en cas de nouvelle pandémie. »
Je dois dire que la coopération avec les autorités sanitaires dans le domaine de la santé est fluide et confiante. Cela dit, sur le plan des conséquences économiques de la pandémie, c’est un peu plus compliqué.
Quelques exemples ?
Il y a tout de même des secteurs qui restent très marqués par la crise comme le tourisme et l’hôtellerie. J’espère que nous verrons une reprise d’activité dans ces secteurs d’ici la fin d’année, mais à court terme, la situation paraît quand même difficile. La précédente saison touristique était plutôt encourageante, mais, depuis mars-avril, la situation s’est quelque peu détériorée. Et puis, vous avez beaucoup de touristes qui se rendaient auparavant au Cambodge comme les Chinois, qui ne sont pas encore revenus.
Je citerai aussi le domaine de la construction qui est également très touché par la crise. Certains projets sont au ralenti et d’autres sont carrément à l’arrêt. Par ailleurs, il y a d’autres crises qui se sont empilées entre-temps, notamment la guerre de la Russie en Ukraine et la hausse des taux d’intérêt qui font que certains marchés souffrent, comme celui du textile en Europe et aux États-Unis, faute d’une demande suffisante. Nous avons moins d’acteurs dans ce domaine, mais il s’agit d’un secteur stratégique pour l’économie du Royaume.
Souhaitez-vous dire un petit mot sur la solidarité française durant la crise sanitaire ?
Je sais qu’il y a eu de beaux réflexes de solidarité et que la communauté française ici s’est montrée assez soudée durant la pandémie.
L’Ambassade a versé des allocations spéciales, y compris au travers de subventions spécifiques aux associations, qui ont pris fin au mois d’août de l’année dernière. Cela dit, nos compatriotes en situation de vulnérabilité reçoivent toute l’attention du service consulaire au travers d’allocations dédiées.
Quelques mots sur le Forum d’affaires France-Cambodge de l’année dernière, un motif de satisfaction, j’imagine ?
C’était une initiative de la Chambre de Commerce et d’industrie et des Conseillers du commerce extérieur que l’Ambassade a naturellement soutenue. Il a été décidé que ce Forum se tiendrait tous les deux ans. L’année dernière, 160 entreprises ont participé à cet événement dont l’objectif était d’inviter des entreprises françaises de l’hexagone, en particulier celles qui sont déjà implantées dans la région. Je souhaiterais qu’un effort soit entrepris pour lier davantage cet événement avec les grands groupes cambodgiens. Nous avons été très soutenus par Son Excellence le ministre Sok Chenda - Secrétaire général du Conseil de Développement du Cambodge - qui avait organisé une splendide réception pour cette occasion. Oui, il faut persévérer dans ce type d’initiative, car nous avons quelques faiblesses dans notre présence économique.
« En effet, si nous avons des acteurs économiques bien présents dans le pays, les montants limités des investissements français demeurent notre point faible. Il nous faut agir avec plus de détermination dans ce domaine. »
Quand le Premier ministre Hun Sen s’est rendu à Paris, il y a rencontré une trentaine d’entreprises françaises réunies par le MEDEF International. S’est tenu récemment à Strasbourg, avec la présence du ministre du Commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’Étranger aussi, un forum sur l’Asie du Sud-Est avec le Cambodge comme point focal.
Je constate la venue de nombreuses entreprises qui s’intéressent au Cambodge, mais encore faut-il que cela se traduise par des projets concrets. J’espère que la nouvelle loi cambodgienne sur les investissements dont le décret d’application vient de paraître encouragera les potentiels investisseurs.
Votre impression sur la récente mission économique de Battambang ?
C’était une très bonne initiative de l’antenne de la chambre de commerce et d’industrie de Siem Reap. J’y étais déjà allé une première fois dans le cadre d’une visite sur un thème différent. Comme vous le savez, nous avons une école française sur place. Il y a aussi un Institut français, de plus l’IRD y mène de nombreux projets et nous coopérons étroitement sur plusieurs sujets de recherche avec l’université de Battambang.
Battambang accueille aussi une communauté française dynamique, l’accès routier s’est largement amélioré et il faut mentionner aussi toute la dimension du patrimoine. Nous allons transmettre au gouverneur, qui nous a très bien reçus, les coordonnées de toutes ces entreprises qui sont venues et qui ont montré un réel intérêt pour cette région. Nous allons donc suivre de près les suites de cette mission, qui, oui, était une excellente initiative.
Revenons sur le volet culturel
Sur le plan culturel, vous savez que l’Institut français du Cambodge (IFC) fonctionne par saisons. Il y a quatre saisons dans l’année, qui s’articulent chacune autour d’un thème à décliner aussi bien du côté artistique que par des expositions et des conférences, avec en permanence le souci de la médiation.
Notre objectif premier est d’attirer le jeune public, les étudiants et les lycéens. À cet égard, l’IFC a passé un certain nombre de conventions avec des établissements scolaires et universitaires, mais aussi avec de nombreuses ONG.
Donc, les saisons vont continuer. En ce moment est présentée une saison sur le manga français. Passionnés de la bande dessinée, nous sommes en France les deuxièmes lecteurs au monde de manga. Le deuxième salon le plus fréquenté de France, après le salon de l’agriculture, est la Japan Expo consacrée à la culture japonaise.
En octobre, nous aurons une saison intitulée Elec-Tro, qui portera sur le son et sur la musique. Ce sera un dialogue entre les musiques les plus contemporaines et les musiques traditionnelles cambodgiennes.
Nous soutiendrons aussi, comme nous le faisons depuis 14 ans, le festival photo de Phnom Penh qui se tiendra en décembre. J’ai mentionné la nouvelle scène permanente qui permettra d’attirer et d’accueillir plus facilement et plus fréquemment les arts vivants que sont la danse, le théâtre et la musique. Cette scène s’accompagne d’un projet architectural novateur.
« Il ne s’agit pas uniquement de mettre la scène au milieu de la cour, mais d’aménager l’ensemble du lieu pour que cette scène soit utilisable en toute saison, que ce soit un lieu ouvert à tous, confortable, agréable et convivial. »
Le conseiller consulaire Florian Bohême vient de lancer à nouveau un appel à la nécessité de souscrire à une assurance, tant pour les résidents que pour les nouveaux arrivants. Votre opinion ?
C’est un excellent message. Nous travaillons très bien avec les conseillers des Français de l’étranger qui sont des partenaires précieux de l’ambassade et des relais entre administration consulaire et communauté française. Le message de Florian Bohême est tout à fait utile. D’ailleurs, nous envisageons à la rentrée de mener une campagne sur ce thème.
« Il est capital que nos compatriotes soient sensibilisés à la nécessité de souscrire une assurance couvrant l’ensemble des frais médicaux (maladie et hospitalisation), y compris les frais de rapatriement vers la France lorsque celui-ci est devenu indispensable. »
En effet, le coût d’une prise en charge peut s’avérer prohibitif et l’absence d’une couverture des frais par un contrat d’assurance peut compliquer significativement la mise en œuvre des soins adaptés. Il existe des contrats d’assurance peu onéreux.
Vous qui êtes passionné de sport, avez-vous assisté aux Jeux d’Asie du Sud-Est et aux Jeux paralympiques ?
J’ai assisté aux deux cérémonies d’ouverture et c’était impressionnant. Le stade était plein à craquer et l’on pouvait ressentir l’enthousiasme, la ferveur et la fierté des Cambodgiens, qui n’avaient jamais accueilli les SEA Games. J’ajoute que le Cambodge a obtenu des résultats sportifs tout à fait remarquables. Nous avons aussi eu quelques Franco-Cambodgiens qui ont remporté des médailles. Je pense que ces Jeux vont avoir un effet positif sur la pratique sportive au Cambodge.
Et, pour notre part, nous aurons l’année prochaine les Jeux Olympiques à Paris. Comme nous souhaitons faire de Paris 2024 un moment de partage et de promotion des valeurs universelles du sport, l’ambassade a sélectionné neuf jeunes Cambodgiens qui partiront pour une période de volontariat de service civique de six mois en France et qui auront donc la chance de participer au déroulement de ces jeux comme volontaires.
Localement, je soulignerai que nous avons aussi des acteurs du sport, comme Décathlon qui, au-delà de son activité purement commerciale, apporte son soutien à de nombreuses épreuves sportives comme le semi-marathon de Phnom Penh qui s’est récemment tenu.
Avez-vous été surpris par la qualité de l’organisation des SEA Games ?
De l’avis général, ces Jeux ont été très bien organisés. Le pays avait déjà accueilli avec succès le sommet de l’ASEAN, il y a quelques mois.
Quelques mots sur les résultats remarquables des élèves du Lycée Descartes au Baccalauréat ?
L’année dernière, il y a eu 100 % de réussite, cette année 98 %, avec beaucoup de mentions. Ces succès tiennent à plusieurs facteurs : une équipe dirigeante qui est vraiment de très grande qualité, une équipe enseignante engagée, avec des professeurs, qui pour certains enseignent au LFRD depuis de nombreuses années et qui connaissent donc bien le lycée. Et je veux bien croire qu’il y a aussi ce lieu historique qui favorise une ambiance tout à fait particulière.
« Je me rends régulièrement au LFRD et constate l’excellente relation prévalant entre les élèves, les enseignants, et l’équipe de direction. »
Voilà, malheureusement, c’est un lycée qui est en quelque sorte victime de son succès, car il manque de places actuellement pour accueillir tous les élèves qui souhaitent le rejoindre. Des solutions d’agrandissement sont à l’étude.
Depuis une vingtaine d’années, nous recevons tous les nouveaux bacheliers à la Résidence pour les féliciter de leur brillant parcours scolaire. Je voudrais signaler aussi que nous avons obtenu la reconnaissance du baccalauréat auprès du ministère cambodgien de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports.
Cela donne ainsi aux bacheliers qui le souhaitent, la possibilité de poursuivre leurs études au Cambodge et y intégrer les universités locales de leur choix, dont plusieurs offrent des filières francophones.
Pour revenir sur la scène culturelle, que pensez - vous de l’émergence spectaculaire des nouveaux talents cambodgiens ?
Je pense sincèrement qu’il y a vraiment beaucoup de talents dans le Royaume, mais encore pas suffisamment de lieux où ils peuvent s’exprimer.
L’Institut français du Cambodge a pour principales missions l’enseignement de la langue française et la promotion de la culture française. Il contribue également à l’émergence de la culture cambodgienne contemporaine. Et nous le faisons depuis très longtemps. Le festival de photo de Phnom Penh, par exemple, est une initiative française. Citons aussi le Studio Images, qui est la seule école de formation photographie du pays.
Nous avons aussi la chance d’avoir des « passeurs », comme le réalisateur Davy Chou et son collectif « Anti-Archive » ou Rithy Panh avec le Centre Bophana et la Commission du Film.
« La culture, pour se développer, a indéniablement besoin du soutien du monde économique. Je dirai même que tout développement économique solide et digne de ce nom doit s’accompagner d’un développement de la culture et des expressions artistiques. »
C’est ce qu’on appelle en bon français le « soft power ». Nous encourageons les milieux d’affaires cambodgiens à contribuer davantage à l’émergence d’une création contemporaine cambodgienne, car je suis persuadé que le Cambodge a dans ce domaine de nombreux atouts à faire valoir.
Parlez-nous un peu du 14 juillet de vendredi prochain
Cette année, nous bénéficions d’un très fort soutien des sponsors que je remercie chaleureusement. Près d’une trentaine au total. Ce soutien nous permettra d’accueillir nos invités dans de bonnes conditions. Nous attendons plus de 600 participants entre les Français, les membres de la famille royale et les représentants des autorités cambodgiennes avec lesquelles nous travaillons au quotidien, les représentants du secteur économique et de la société civile, le corps diplomatique et les représentants des organisations internationales.
« Je préciserai que nous sommes la seule ambassade à célébrer la fête nationale dans ses jardins. Nous avons en effet la chance de disposer d’un magnifique parc. Il y fait un peu chaud certes, mais l’ambiance y est d’autant plus chaleureuse ! une ambiance qui sera également cette année « franco-sportive » avec la diffusion d’images de l’étape du jour du Tour de France. »
J’ajouterai que le matin même, nous assisterons à l’inauguration du monument aux morts dédié aux combattants cambodgiens et aux Français du Cambodge de la Première Guerre mondiale, reconstruit à identique sur une initiative du gouvernement cambodgien, initiative, annoncée par le Premier ministre Hun Sen quand il a rencontré le président de la République Emmanuel Macron en fin d’année dernière.
Ce monument est un rappel on ne peut plus symbolique des relations privilégiées entre la France et le Cambodge, relation que les temps parfois difficiles de l’histoire contemporaine n’ont jamais altérée.
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