Le film dont on parle tant, Buoyancy, a été projeté aujourd'hui au Rosewood et le sera à nouveau demain à 15h 20 au Prime Cineplex (Samai Square), toujours dans le cadre de la 11e édition du festival du Film International au Cambodge qui dure jusqu'au 3 juillet.
Retour sur une oeuvre coup de poing.
Esclavage moderne
Le film est un drame dénonçant l’esclavage moderne dans le milieu de la pêche dans le Golf de Thaïlande. Il a été tourné quasi exclusivement au Cambodge et raconte l’histoire d’un jeune Cambodgien de 14 ans quittant son pays à la recherche d’une vie meilleure, et qui se retrouve esclave sur un chalutier.
Alors que d’autres membres d’équipage sont torturés et tués devant lui, il se demande alors si son seul espoir de liberté n’est pas de devenir aussi violent que ses ravisseurs.
On estime qu'environ 200 000 garçons et hommes seraient réduits en esclavage dans l'industrie de la pêche en Thaïlande. Beaucoup d'entre eux, comme le hétos du film, ont été arrachés à leur foyer par des trafiquants, attirés par la fausse promesse d'une vie meilleure, avant d'être entraînés dans une servitude brutale.
Ce nombre est stupéfiant, et le fait que Rathjen se soit inspiré des récits de survivants réels confère au film une authenticité brutale.
Récit
Ici, il s'agit de Chakra, 14 ans, interprété par un Sarm Heng, acteur non professionnel mais impressionnant de sensibilité, qui rêve de quitter sa vie monotone et difficile de petit riziculteur dans la campagne cambodgienne.
Après une altercation avec son père, Chakra décide de s'enfuir en Thaïlande, où il a entendu dire que les emplois bien rémunérés dans les usines étaient faciles à dénicher.
Et si vous n'avez pas les 500 dollars que coûte le passage clandestin de la frontière, pas de problème, vous pouvez les emprunter à votre « guide » et les lui rembourser avec votre premier salaire...
Après un voyage éprouvant, au cours duquel il faut se cacher dans le plateau d'un camion, couché sur d'autres migrants comme dans une boîte de sardines, Chakra et son nouvel ami Kea (Mony Ros), un père de famille désireux de gagner plus d'argent pour sa familles, arrivent en Thaïlande.
Ils sont alors embarqués sur un bateau dont on leur dit au départ qu'il les conduira à leur usine. Mais il s'avère rapidement que tous deux, ainsi qu'une poignée d'autres travailleurs, ont été achetés comme des escalves par le capitaine, un psychopathe souriant appelé Rom Ran (Thanawut Kasro), qui les fait travailler à des tâches éreintantes et répugnantes : pêcher du poisson au chalut, trier les prises puantes sous le soleil brûlant et les emballer dans des barils stockés dans la cale du bateau.
Le navire se trouve si loin dans le golfe de Thaïlande et revient si rarement à terre (il utilise un autre navire pour se réapprovisionner et décharger la cargaison) que l'océan, habituellement une image de liberté, devient une prison, le chalutier grinçant se trouvant aussi étroit et sinistre qu'une cage.
Le film entre plutôt rapidement dans le vif du sujet : la torture, les privations et les meurtres qui ont lieu pendant ces journées de travail de 22 heures, les hommes n'étant nourris que par un bol de riz et « bercés » par le harcèlement constant du capitaine.
Le film devient une authentique dénonciation des mécanismes de la traite moderne, et l'on ressent rapidement toute la misère des victimes. Mais l'aspect viscéral et descriptif du film n'est pas la seule préoccupation de Rathjen : il veut aussi montrer la désintégration de l'humanité même de Chakra, proposer une chronique de la disgrâce que même le jeune homme le plus inoffensif peut connaître, alors que la faim, les abus et la violence omniprésente érodent tout semblant de décence ou de moralité.
Bémol
Le film est fort et va jusqu'au bout de ses intentions mais quelques critiques ont reproché la minceur concernant l'approche du personnage : « malgré le jeu engagé et les nobles intentions du scénario sérieux et respectueux de Rathjen, les personnages ne peuvent que ressembler à des archétypes, Chakra portant la responsabilité de représenter trop d'histoires d'exploitation et de victimisation pour pouvoir exister en tant que personnage à part entière », écrivait Jessica Kiang dans Variety en admettant tout de même que « Buoyancy » demeurait :
« film à message qui retrace avec une détermination sans faille l'horreur de la traite des êtres humains dans un voyage qui, comme tant d'autres, commence avec la promesse d'un progrès mais se termine par une régression vers un état d'être primitif et brutal, dans lequel seuls les plus cruels survivent ».
Academy Awards®
Buoyancy a bénéficié du soutien de la Commission Cambodgienne du Film. Il a représenté l’Australie pour le meilleur long métrage international aux Academy Awards® de 2020.
Le film est lauréat de la Berlinale 2019 et a provoqué de nombreuses réactions positives dans le monde entier. Buoyancy est le premier long métrage de l’écrivain réalisateur australien Rodd Rathjen et a été produit par Sam Jennings (Cargo) et Kristina Ceyton (The Nightingale, The Babadook), avec Rita Walsh (l’assistante).
Rodd Rathjen avait déclaré lors de la première :
« L’expérience de la réalisation d’un film au Cambodge a été décisive et c’était un honneur de travailler avec des équipes locales, mais aussi de Thaïlande, du Vietnam et du Myanmar. C’était aussi un sujet qui me tenait énormément à cœur. »
Implication
Pour Rodd Rathjen, la production du film a été rendue possible par l’extraordinaire engagement de toutes les personnes impliquées, et grâce au courage des survivants qui ont partagé leurs histoires.
« Ils nous ont confié leur expérience parce que, comme l’a déclaré l’un d’entre eux, '' Personne ne peut nous entendre, personne ne sait que nous sommes ici '' », confiait-il.
Prise de conscience
Pour Cédric Eloy, Directeur de la Commission Cambodgienne du Film : « Buoyancy a été filmé au Cambodge avec le soutien d’une équipe de tournage dédiée et d’un service de production local. Nous souhaitons remercier Causeway Films et Rodd Rathjen pour la réalisation du film dans le pays.
« C’est également le premier long métrage qui aborde l’esclavage contemporain sur les bateaux de pêche à travers une histoire émouvante »
« Nous sommes certains que le film invitera les travailleurs, les consommateurs, les distributeurs et les gouvernements à considérer les conditions de travail dans ce secteur, et la provenance des produits de la mer et des poissons qu’ils importent et consomment »
Les acteurs cambodgiens
Sarm Heng, 14 ans à l'époque, acteur pour la première fois, originaire de la province de Siem Reap tient le rôle principal du film. Il a déjà eu l’occasion de présenter le film dans plusieurs festivals avec le réalisateur et l’équipe de production, notamment en Australie et en France.
Ros Mony, un acteur cambodgien bien connu, a également joué dans Buoyancy. Il avait déjà eu un rôle dans le film australien Movie Ruin qui avait aussi attiré l’attention du monde entier.
Voir la bande-annonce
Pour ceux qui ne pourront se déplacer et n'ont pas vu le film, il est disponible en VOD ici
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