La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est, avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’un des principaux piliers du droit international des droits de l’homme. Pour la Journée des droits de l’homme de 2022 (10 décembre), je souhaite souligner l’importance cruciale de la responsabilité de prévenir les crimes d’atrocité, dont le génocide.
Lorsque des crimes d’atrocité sont commis, il est nécessaire de mettre immédiatement fin à ces actes atroces, puis de documenter, d’enquêter et, enfin, de poursuivre les auteurs de ces crimes, ce qui est tout aussi urgent. Cependant, de 1948 à aujourd’hui, nous n’avons pas accordé suffisamment d’attention à la véritable prévention.
Les crimes d’atrocité ne se produisent pas dans le vide.
Il existe une longue chaîne d’événements et de conditions qui précèdent les crimes d’atrocité. L’isolement, la ségrégation et la discrimination précèdent souvent, voire toujours, la rationalisation des crimes d’atrocité contre un groupe de personnes.
Et avant d’être discriminées, les personnes doivent être déshumanisées. Le processus de déshumanisation dépend de la rationalisation de la haine et de la méfiance, et ces processus sont précipités par la désinformation, alimentée par des préjugés non informés, des stéréotypes et des acteurs qui exploitent les personnes. Ils dépendent aussi fréquemment de la désintégration, de la corruption ou du manque de développement des institutions critiques, en particulier des institutions dédiées au dialogue et à l’éducation. C’est ici que nous devons consacrer notre plus grande attention.
Depuis 1948, nous avons fait de grands progrès dans l’adoption de mesures visant à interrompre, atténuer et, dans une mesure très limitée, punir les principaux auteurs de crimes d’atrocité ; toutefois, ces mesures ne sont pas préventives, mais réactives par nature. Aucun procès pour crime d’atrocité n’a jamais empêché le prochain génocide, et aucune sanction ou punition ne peut ramener les morts ou annuler le traumatisme qui s’étend sur plusieurs générations. En effet, les traumatismes causés par les crimes d’atrocité dans un passé lointain sont souvent les graines oubliées de la prochaine vague de violence et d’inhumanité de l’avenir.
Si nous voulons vraiment adopter des stratégies efficaces, de grande portée et décisives pour prévenir les crimes d’atrocité, nos priorités doivent être réorientées vers l’autre extrémité du spectre, là où sont cultivées les graines du prochain génocide.
Notre responsabilité en matière de respect des documents fondamentaux relatifs aux droits de l’homme ne doit pas être mesurée uniquement à l’aune de notre réussite en matière de réponse, d’enquête et de poursuite des crimes d’atrocité, mais aussi à l’aune de nos efforts pour soutenir les institutions, les initiatives et les actions qui ont une influence positive sur la prévention de toutes les formes d’inhumanité. La stratégie la plus efficace pour prévenir le prochain génocide est centrée sur des actions et des politiques qui interrompent et réduisent le risque d’escalade dès les premiers stades de l’inhumanité.
Le Cambodge a récemment supprimé les journées des droits de l’homme des calendriers publics. Je pense que nous devrions reconsidérer cette décision collective.
Le Cambodge a obtenu un succès extraordinaire dans son programme d’éducation sur le génocide, qui est l’essence même de la prévention des crimes d’atrocité. Ainsi, pour tirer parti de ce succès et du leadership régional et même mondial du Cambodge dans ce domaine, nous devrions organiser un dialogue annuel sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Alors que les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ferment leurs portes, il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour préserver le leadership et l’élan du Cambodge dans la réalisation des objectifs fondamentaux de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam) est fier du soutien qu’il a apporté au travail des CETC, qui a été fondamental pour donner aux victimes la possibilité de participer au processus de justice et de tourner la page sur le génocide des Khmers rouges. Le DC-Cam est également désireuse de soutenir une conférence annuelle sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Alors que nous commémorons cette Journée des droits de l’homme, nous devrions nous rappeler que nos documents fondamentaux sur les droits de l’homme ne sont pas seulement des engagements universels, mais aussi des normes pour évaluer le genre de monde que nous laissons à la prochaine génération.
Youk Chhang Youk Chhang est le directeur du Centre de documentation du Cambodge, et un leader dans l’éducation, la prévention et la recherche sur le génocide. En 2018, Chhang a reçu le prix Ramon Magsaysay, connu comme le « prix Nobel de l’Asie », pour son travail de préservation de la mémoire du génocide et de recherche de la justice dans la nation cambodgienne et dans le monde. En 2007, Chhang a été reconnu comme l’une des « 100 personnes les plus influentes » par le magazine Time.
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