À l'occasion de la Journée Internationale des Femmes de cette année, Cambodge Mag ouvre ses archives et remet à la une quelques-uns des nombreux portraits, interviews et photos de celles qui nous ont aidé à rendre le magazine vivant et attrayant au fil des années.
Depuis la parution de cette interview, Nipoan a quitté le groupe Meas Development Holding pour la diplomatie avant de s'envoler pour la France où elle se trouve encore aujourd'hui, en attendant impatiemment de revenir dans son pays de coeur.
Elle aime la photographie, les livres, son pays, et la France…Nipoan Chheng est l’expression parfaite du sourire khmer, avec un regard pétillant et une bonne humeur rayonnante lorsqu’il s’agit de confier son parcours, et ce qu’elle pense de ses terres de cœur et d’âme. Comme elle le clame haut et fort :
« J’ai choisi de vivre ma double culture comme un avantage, pour ne prendre que le meilleur des deux »
CM : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous ?
Je suis née à Phnom Penh, j’ai 29 ans et je viens d’un milieu très modeste. Je suis restée fille unique car mes parents n’avaient pas les moyens d’élever plusieurs enfants. Nous habitions une petite maison sur pilotis à Prek Ho, près de Takhmao. Mon père produisait des petits films d’ONG et des ‘’soaps’’ très khmers pour la télévision alors que ma mère enseignait à l’Institut de Technologie du Cambodge (ITC). Lorsque ma mère a obtenu une bourse pour préparer un doctorat en microbiologie, nous sommes partis à Dijon, c’est là-bas que j’ai appris le Français.
CM : Parlez-nous de votre scolarité
Lorsque nous sommes revenus de France, j’ai pu obtenir une bourse au lycée Descartes, ma mère est devenue directrice de l’ITC, les choses commençaient alors à aller mieux. Chez Descartes, j’étais contente de retrouver des Français, je m’y suis fait de bons amis, même si mon statut de boursière et mes cheveux courts déplaisaient à quelques-uns…Après mon baccalauréat, je suis repartie cinq ans en France pour préparer un Master en commerce international à la Sorbonne.
CM : Quels souvenirs de vos études ?
La France m’a beaucoup changée. J’y ai appris des méthodes de travail différentes, une ouverture d’esprit et une approche plus rigoureuse. Au Cambodge, il ne faut pas se leurrer, j’étais un peu dans une bulle, la France m’a définitivement changée dans ma façon de penser. Bien sûr, il y a la beauté de Paris, comment ne pas aimer ? Mais au final, je suis très reconnaissante à mes professeurs de m’avoir rendue très ‘’Française’’ sous bien des aspects, les meilleurs je pense (sourire).
CM : Et ensuite ?
Après mon Master, je suis partie en stage dans une PME australienne, puis en Chine, en Angleterre et aux Etats-Unis. Puis, après six ans passés loin du Cambodge, je me suis dit qu’il était temps de rentrer, ma famille me manquait et je manquais à mes parents, je voulais être près d’eux.
CM : Quelles impressions lors du retour au Royaume ?
Mon dieu…j’ai eu l’impression de découvrir une ville différente en revenant à Phnom Penh. Lorsque je suis partie en 2009, c’était déjà en marche mais ce n’était pas aussi énorme que maintenant. Phnom Penh se peuple à une vitesse phénoménale, certains mode de vie et comportements ont changé, le digital et les réseaux ont explosé, oui, c’est un autre Phnom Penh.
CM : Votre maman est ministre de la culture, êtes-vous tentée par la politique ?
Pas pour l’instant même si j’espère un jour apporter ma contribution au pays. J’en profite pour souligner que je suis très fière de ma mère. Elle est devenue ministre par son travail, ses capacités et son souhait de voir les choses s’améliorer. Je suis très contente pour elle. C’est quelqu’un qui a une force extraordinaire, elle a perdu toute sa famille durant le génocide et je reste admirative devant sa force de caractère.
CM : Etre la fille de…est-ce que cela facilite les choses ?
Non, et je serais très ferme et catégorique là-dessus, lorsque je suis revenue au Cambodge pour chercher du travail, je l’ai fait comme n’importe quelle fraîche diplômée en quête d’un job. Personne ne savait qui j’étais, et je n’ai utilisé aucune des connections de ma mère. J’ai rencontré les patrons de Meas Development Holding, le groupe dans lequel je travaille aujourd’hui, comme une jeune demandeuse d’emploi ordinaire. Je voulais travailler avec des Européens, il y a eu un bon contact et j’ai été embauchée. C’est tout.
CM : Quelle perception avez-vous du passé tragique de votre pays ?
Le devoir de mémoire est essentiel, il faut que toutes les générations qui suivent sachent ce qui s’est passé, pour ne pas oublier, pour ne pas commettre les mêmes erreurs. La construction de la paix a été un chemin difficile, mais elle existe et je prie pour que cela dure, un pays ne peut pas avancer sans la paix. Oui, définitivement, surtout ne pas oublier…J’ai quelques anecdotes concernant des discussions animées sur ce sujet. Il m’arrive de discuter avec du ‘’fraîchement débarqué’’ qui veut faire la leçon et changer le pays.
« Il n’y a rien de plus énervant que quelqu’un qui vit ici depuis trois semaines et qui passe son temps à se plaindre de tout. J’ai eu quelques sérieuses prises de bec à ce sujet…»
CM : Votre job aujourd’hui ?
Je suis cadre chez Meas Development Holding, un groupe spécialisé dans la restauration (Blue Pumpkin, Terraza…), je m’occupe du marketing et du développement de plusieurs des marques du groupe. C’est une position intéressante, qui m’a permis d’aborder ma vie avec plus d’indépendance, plus de responsabilités aussi.
CM : Etes-vous réseau social ?
Pas vraiment, je ne suis pas ‘’addict’’, j’ai un compte Facebook que j’utilise avec parcimonie, cela suffit.
CM : Vos loisirs ?
Comme une ‘’vieille’’, j’aime le point de croix, je sais cela vous fait rire mais c’est un excellent exercice de patience. J’aime beaucoup la photographie et merci de publier mes œuvres. C’est une vraie passion, j’ai même gagné quelques concours. Autrement, j’ai les loisirs d’une jeune fille comme les autres : les sorties entre amis, les week-ends en famille, j’aime beaucoup les longues balades en ville, même si c’est un peu plus difficile de se balader à Phnom Penh à pied que dans Paris (sourire)…Je lis beaucoup, je suis une fan de biographies.
CM : Un souhait pour votre pays ?
Je souhaite que le Cambodge continue à se développer mais soit aussi capable de maîtriser son développement, de ne pas en subir les effets pervers. Il est important aussi de penser aux infrastructures pour des raisons économiques mais aussi pour que la capitale garde son attrait. Aussi, nous vivons une époque de mélanges et de métissages des cultures, c’est un excellent catalyseur pour l’art et d’un point de vue social, mais il est également important de préserver l’identité khmère, c’est un pays immensément riche de traditions millénaires, cela doit rester une de nos richesses.
Comments