La triste nouvelle est tombée vendredi soir, Alain Darc, « Papa » est parti rejoindre les étoiles au terme d’une longue maladie. C’est un choc immense pour beaucoup d’entre nous, sa famille, ses proches, ses collègues de travail de la grande famille Thalias, ses élèves de PSE et tous ceux qui ont connu cet homme plein de vie, ce personnage rayonnant, ce colosse qu’on voulait éternel.
L’ensemble de la communauté française et francophone ainsi que les enfants de l’ONG PSE le connaissaient sous le surnom sympathique de « Papa ». Derrière cette carrure impressionnante, et cette voix joliment teintée d’accent du sud, se révélait aussi un homme plein de passion pour son métier, amoureux, et infiniment respectueux de son pays d’accueil, mais aussi animé en permanence par l’envie d’apprendre toujours et encore.
Alain Darc était aussi un homme de grande conviction qui n’aimait pas vraiment les détours et ne cachait pas son aversion pour la politique politicienne. Il s’était d’ailleurs engagé sur la liste Ensemble de son ami Bruno Bogvad pour les dernières élections consulaires.
Profondément humain
S’il aimait prendre la parole en public, c’était surtout pour enseigner, partager son savoir. Les discours, les interviews, il en était beaucoup moins friand. Oui, malgré un grand vécu qui aurait fait un merveilleux sujet pour un film de Pagnol, Alain Darc ne se confiait que par anecdote, ne livrait ses quelques amertumes que par bribes, n’aimait pas trop les projecteurs sauf s’il avait l’occasion de mettre en avant la réussite de ceux qu’il aimait, ses enfants bien sûr, mais aussi ceux qu’il prenait grand plaisir à former, à qui il enseignait les secrets de la vraie cuisine.
« Tu sais, disait-il lorsque je lui demandais son avis lors d’une dégustation, il peut y avoir une grande différence entre un bon plat et un excellent plat, peu importe la réputation du chef… »
Mais, il n’y avait pas que cette intransigeance à propos de la qualité et de l’excellence, Alain se montrait aussi profondément attaché à contribuer à une vie plus confortable pour toutes ces petites mains de la restauration qui œuvraient dans l’entreprise ;
« Je suis fier des chefs qui progressent grâce à mes conseils, mais je le suis encore plus lorsque je vois que tous ces jeunes Cambodgiens qui vivent dans des conditions difficiles, supportent leurs familles, habitent parfois assez loin, mais qui se présentent chaque matin au travail, impeccables, souriants et prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes, ceux-là, j’ai énormément d’admiration pour eux ». C’était aussi cela Alain, un monstre de générosité avec beaucoup d’humilité, qui a largement contribué à insuffler cet esprit de famille et cet enthousiasme qui règnent dans le groupe Thalias.
Humour
Alain montrait aussi un sens de l’humour et de répartie bien en phase avec sa personnalité. Que d’éclats de rire avec ses copains du Borey autour d’une bonne bouteille en soirée ! Je me rappelle aussi de quelques trajets en voiture durant lesquels je lui demandais de serrer un peu plus à droite et de rouler moins vite, il me disait alors très sérieusement en ralentissant : « il y a un trottoir à droite, dans quelques secondes tu pourras marcher plus à droite à la vitesse que tu souhaites ». Des réparties, des anecdotes comme cela, il en a beaucoup, mais, j’aime me rappeler aussi de ce grand gaillard plein de vie qui pédalait sur son VTT aux alentours d’Europark, avec un sourire éclatant qui disait : « regarde, je suis en pleine forme ! ».
Et c’est cette image que nous devrions tous garder en souvenir, cette incroyable vie, cette bonne humeur et cette générosité.
Biographie — Interview
Il y a deux ans, Alain avait bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour les élections consulaires. En voici les principaux extraits :
CM : De quelle région êtes-vous originaire ?
Je viens de la région des Landes. Je suis né en 1949, pendant la période des grands incendies. Mon père était chef de cuisine, je n’ai pas connu ma mère, car j’étais encore tout jeune quand elle est décédée. J’ai aussi deux sœurs.
CM : Vous êtes très rapidement « tombé » dans la restauration…
Mon père qui était parisien avait décidé de s’installer à Dax en 1936. Je suis né au Richelieu, l’hôtel-restaurant appartenant à mon père et qui se situait à Dax. J’ai donc effectivement grandi dans un environnement très « cuisine et restauration » et soulignons que j’ai eu la chance d’apprendre de mon père qui avait été meilleur ouvrier de France. J’ai donc bénéficié d’une éducation d’excellence. Il se trouve que j’étais aussi un vrai passionné, je crois avoir servi mes premiers clients alors que je n’avais que huit ans.
CM : Quel type de scolarité avez-vous suivie ?
J’ai suivi une scolarité normale, de notre temps, c’était primordial. Comme mon père était très occupé, j’ai souvent été interne et ne rentrais à la maison que les weekends. Et, j’en profitais pour travailler avec mon père et, pour moi, c’était vraiment un plaisir à l’époque. J’y confectionnais mes premiers gâteaux et, étant gaucher, je crois que cela favorisait mon côté artistique.
CM : Quelle direction avez-vous prise après l’école ?
Après ma scolarité, je souhaitais intégrer une école de commerce, mais j’ai finalement opté pour l’hôtellerie, car l’apprentissage était plus facile grâce aux connaissances de mon père.
J’ai donc effectué mes études à l’école hôtelière du Cap Breton, une formation sur deux ans, et ensuite j’ai eu la chance de faire des stages un peu partout dans des hôtels et restaurants prestigieux et aussi de rencontrer les grands chefs de cette époque-là.
Ma formation technique et les stages ont été instructifs bien sûr, mais je considère que, tout au long de ma vie, je n’ai cessé d’apprendre. Que ce soit sur le terrain, en me promenant, en regardant des gens cuisiner, je suis resté curieux de tout.
Je me dis souvent :
« J’arrêterai de vivre quand je n’apprendrai plus »
CM : Parmi les grands chefs que vous avez rencontrés, quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Cela reste incontestablement mon père, car c’était une référence, y compris pour les chefs de renom, ils communiquaient ensemble régulièrement pour résoudre des petits problèmes ou demander des conseils.
CM : Quel a été votre premier travail après vos études ?
Après mes examens, mon premier travail a été avec mon père à Dax et ensuite je suis parti à Paris où j’ai eu la chance de travailler avec Aimée Fournier qui fut aussi meilleur ouvrier de France, puis à Biarritz pour deux saisons.
En 1973, mon père m’a demandé de prendre la gestion d’un autre restaurant à Dax. À cette époque j’ai également eu l’occasion de voyager grâce à une société, la SOPEXA, qui faisait la promotion des produits français. J’ai donc pu partir en Afrique, au Sultanat d’Oman, en Suisse, en Italie, en Espagne et enfin, en Chine.
CM : Quand avez-vous ouvert votre premier restaurant ?
En 1973 donc, j’ai commencé à m’occuper d’un restaurant à Dax, qui s’appelait le Bois de Boulogne. J’y proposais aussi un service de traiteur et nous avions une conserverie. Mes journées étaient donc bien remplies.
Aussi, mon voisin était boulanger et j’en ai donc profité pour apprendre à faire le pain et les viennoiseries. Devant me rendre à Bordeaux régulièrement pour acheter de la viande en gros, j’ai également rencontré un boucher charcutier qui m’a appris les rudiments du métier, j’avais en permanence cette soif d’apprendre…
En 1985, j’ai racheté le restaurant de mon père, le Richelieu, et je l’ai gardé jusqu’en 1995. Pour la petite histoire, j’avais créé un « club rétro », une discothèque pour les anciens qui marchait très bien. Ensuite, j’ai pris une année sabbatique durant laquelle j’en ai profité pour me familiariser avec les techniques de conditionnement sous vide. C’est un procédé intéressant pour conserver la saveur et la texture des aliments, mais cela implique une gestion assez compliquée et c’est peut-être pour cela que cette technique n’a pas rencontré le succès espéré auprès des restaurateurs. Pour ma part, j’y croyais.
CM : Et ensuite, après cette année sabbatique ?
Après cette pause, je prends la direction d’un hôtel de villégiature situé en pleine campagne, le Domaine d’Equiland, avec club hippique, terrain de rugby et autres équipements sportifs. L’aventure durera deux ans et puis ma seconde épouse souhaitait que nous ouvrions un restaurant. J’étais favorable, mais je souhaitais ne créer une petite structure avec quasiment aucun employé.
Nous avons trouvé une petite auberge dans un village de 140 habitants, Saintdos ou nous étions les seuls commerçants. L’Auberge du Béarn, c’est ainsi qu’elle s’appelait, a été une époque plutôt intéressante. Je me suis mis à proposer des « menus ouvrier », c’est-à-dire des plats de bonne qualité, mais simples et bon marché, environ 10 euros, et le midi seulement. Quant au service du soir, je travaillais uniquement sur réservation en proposant une cuisine gastronomique qui attirait pas mal de clientèle des environs, car la majorité de mes plats étaient préparés avec des produits venus directement de la ferme.
Ce succès qui s’étendait dans toute la région m’a d’ailleurs valu quelques jalousies bien féroces…
CM : Étiez-vous déjà impliqué dans le social comme aujourd’hui ?
Durant ces années, en particulier lorsque je m’occupais du Richelieu, j’avais une activité sociale assez importante, je faisais partie de plusieurs associations. Dans mon personnel, j’accueillais toujours des deux jeunes en difficulté.
CM : Comment est venue l’idée de s’installer au Cambodge ?
C’est après l’Auberge du Béarn que je suis venu au Cambodge.
Les raisons : Les Landes sont une très belle région, mais j’avais envie de changer de vie, d’aventures et de découverte du monde au-delà de ma région, de la France de l’Europe.
« J’étais également curieux de rencontrer d’autres cultures et d’apprendre de ces contrées lointaines »
C’est pour cela que j’ai envoyé mon fils Arnaud étudier une année aux États-Unis. Souhaitant intégrer une école de commerce, il est rentré pour présenter son baccalauréat, a effectué une année d’école préparatoire et ensuite, s’est retrouvé au Cambodge pour un stage d’application. Et le pays lui ayant beaucoup plu, il a réussi à y effectuer son service national comme VSN dans le groupe ACCOR. Et, il a décidé de s’installer dans le royaume en 1994.
Pour ma part, je pensais aussi que l’avenir se trouvait en Asie. En 2000, je suis venu rendre visite à mon fils. À l’époque, ayant déjà beaucoup voyagé, j’avais déjà dans l’idée de m’expatrier.
CM : Pourquoi vouloir vous expatrier ?
Comme je le prévoyais depuis quelque temps, l’environnement professionnel, administratif et social en France devenait très difficile et je me sentais de moins en moins à l’aise. J’étais aussi artiste, je travaillais beaucoup le sucre, préparais des pièces montées et il me semblait compliqué de poursuivre cette activité en France métropolitaine.
C’est donc en 2005 que je m’envole pour le Cambodge avec l’intention de m’y installer pour de bon. Dans un premier temps, lorsque je suis arrivé, mon fils Arnaud m’a demandé de travailler avec lui pour le contrôle qualité dans son restaurant le Topaz. J’ai donc accepté et j’ai également aidé au démarrage du Malis et au déménagement du Topaz sur le boulevard Norodom.
CM : En dehors du côté familial et du souhait de quitter la France, pourquoi avoir choisi l’Asie ?
J’avais une expérience africaine déjà, au Ghana et en Côte d’Ivoire également, mais je n’avais pas spécialement, malgré quelques bons moments, envisagé ce type de destination. Aussi, m’étant rendu en Asie à plusieurs reprises avec la SOPEXA, j’étais plus à l’aise avec l’état d’esprit et la philosophie asiatique.
Le Cambodge m’a plu, car je crois que les Cambodgiens font partie des peuples les plus accueillants d’Asie. Ce sont aussi des gens qui montrent une réelle envie d’apprendre. Et j’avais aussi envie d’enseigner, de transmettre tout ce que je savais après ma très longue carrière dans la gastronomie.
CM : Au Cambodge également vous avez souhaité vous investir dans le social
Dès mon installation au Cambodge, je me suis impliqué dans l’ONG « Pour un Sourire d’Enfant » (PSE). Jean-Claude Garen, qui savait que j’avais joué au rugby à Dax, m’avait demandé d’entrainer l’équipe nationale. Durant les entraînements, j’ai rencontré Philippe Monin de PSE qui m’a invité à visiter les installations de l’ONG. J’ai donc entraîné les enfants de PSE et de fil en aiguille, je me suis intéressé à l’école hôtelière de l’association et j’ai donc commencé à enseigner là-bas comme volontaire.
« J’aimerais souligner que cette ONG fait un travail extraordinaire dont trop peu de gens ont conscience »
PSE gère au total plus de 10 000 personnes, c’est impressionnant et je ne connais pas d’autre ONG engagée à cette dimension.
CM : Quel type de challenge cela représentait-il ?
Cela représentait pour moi un défi intéressant, car chacun sait que le Cambodge a fortement besoin de techniciens dans l’hôtellerie et la restauration. Aussi, je pense avoir apporté un plus dans l’enseignement technique en privilégiant la pratique. L’enseignement théorique est important, mais sans pratique assidue, cela risque de ne pas être suffisant, surtout dans notre métier.
Pour l’anecdote, chacun sait que j’ai un caractère fort et beaucoup avaient prédit que cela ne fonctionnerait pas avec les Cambodgiens. Pourtant, aujourd’hui, je crois qu’il y a près de 4000 d’entre eux qui m’appellent « Papa ». C’est une reconnaissance ici et j’en suis ravi.
CM : À combien de jeunes cambodgiens pensez-vous avoir enseigné la restauration ?
Si je compte les élèves des cuisines et des restaurants durant toutes ces années, cela fait plus de 1000 étudiants. Bien sûr, j’ai gardé le contact avec la majorité d’entre eux.
CM : D’autres engagements ?
Par la suite, je vais créer l’Association des Chefs, dans la capitale et à Siem Reap, du club d’œnologie, j’ai aussi participé à la création de la Fédération du Tourisme au Cambodge.
CM : Vous vous présentez sur la liste Ensemble pour les prochaines élections consulaires, pour quelle raison vous engagez-vous ?
Je ne m’engage pas dans une action politique ! Surtout pas ! La liste Ensemble dont je suis en partie à l’origine est totalement apolitique et je tiens à֙ le rappeler.
Je rejoins mon avis Bruno Bogvad sur cette question des motivations qui ont conduit à la constitution de cette liste. Je souhaite fortement plus de transparence et aussi beaucoup plus de proximité vers les Français et Franco-Cambodgiens du pays.
« Plus de proximité en particulier pour les problèmes sociaux et administratifs »
C’est tout de même plus intéressant d’un point de vue humain d’aller à la rencontre des gens, de recueillir leurs doléances et d’agir soit directement si c’est possible, soit de relayer le dossier au Consulat ou à une association.
« La politique politicienne ne m’intéresse pas, ni aujourd’hui ni demain. Je respecte ceux qui se lancent dans cette élection avec un engagement très politique, mais ce n’est pas pour moi »
Ma vision est simple, être là, auprès des Français et servir d’aide ou de relais, ou les deux. Pour moi, autant dans mon engagement public que professionnel, c’est « l’homme » qui compte d’abord. Pour prendre un exemple, je préfère un directeur d’hôtel qui aura démarré par le poste le plus bas et ensuite expérimenté toutes les étapes du métier que quelqu’un bardé de diplômes qui manquera forcément d’expérience pour les petits métiers de l’hôtellerie qui sont tout aussi importants que les postes de direction. Cela rejoint mon souhait de privilégier le côté humain et la proximité plutôt que la théorie.
Concernant le poste de conseiller consulaire, c'est important d’être un relais solide, car il y a parfois des démarches administratives assez compliquées et fastidieuses. J’en ai fait l’expérience il y a quelques années et j’aurais vraiment eu besoin d’un soutien technique.
Propos recueillis par Christophe Gargiulo. Images Jérémie Montessuis
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