Dernière interview - vidéo et texte - de notre campagne de soutien à Airavata avec un (long) entretien en compagnie de Pierre-Yves Clais qui rappelle - en sus de nombreux souvenirs de son riche vévu - combien la fondation Airavata a besoin de soutien de la part de la communauté en ces temps moroses pour le tourisme dans le nord-est du pays.
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Rappelez-nous, si besoin, qui est Pierre-Yves Clais ?
Alors, je m’appelle Pierre-Yves Clay, je suis au Cambodge depuis une trentaine d’années maintenant. C’est un pays que j’ai découvert avec l’armée française et dont je suis tombé amoureux. Et pas que du pays d’ailleurs, je suis aussi tombé amoureux de Chenda et de la culture de ce pays, de l’histoire, puis de l’histoire commune qu’ont nos deux pays. Et pendant l’essentiel de ma vie active ici, j’ai travaillé dans l’écotourisme.
J’étais au départ spécialisé dans les accompagnements en jungle, dans le Ratanakiri, qui avait l’avantage de mélanger nature et culture, parce qu’il y avait beaucoup de tribus très authentiques dans une très belle nature. Et puis après tout cela a un peu souffert de la déforestation et du mondialisme galopant. Donc j’ai un peu raccroché mes chaussures depuis une quinzaine d’années. Nous avons donc construit d’autres hôtels.
Et puis j’avais tout de même une vraie frustration d’avoir disparaître toute cette belle nature dans laquelle je m’étais épanoui et où j’avais vécu la plupart de mes rêves de gamin.
Et il y a quelques années de ça, environ huit ans, quelqu’un est venu me dire « tu sais, si tu ne fais rien, les derniers éléphants du Ratanakiri vont disparaître ». Alors bon, on a déjà perdu une grosse partie de la forêt… Un petit peu comme dans le film Podium, où il achète le téléphone de Claude François. Il dit : « ça reste en France ».
« Et là, nous nous sommes dit, les éléphants restent dans le Ratanakiri. Et nous nous sommes lancés dans une aventure dont on n’imaginait pas du tout la complexité et tout ce que ça allait entraîner. »
Nous avons eu beaucoup, beaucoup de problèmes et beaucoup de joies aussi. J’ai perdu des dents, des côtes et d’autres « menus trucs ». Mais aucun regret. Ça a été fascinant et nous ne nous sommes pas ennuyés un seul moment.
Pouvons-nous revenir un peu sur l’histoire des terres rouges. Qu’est-ce qui a motivé, au tout départ, le choix de ce style d’hôtel ? Comment ça a évolué et la situation aujourd’hui ?
Alors, les terres rouges, c’est une histoire d’amour, en fait, pour les provinces les plus lointaines du Cambodge, mais aussi pour la liberté, parce qu’en homme nouvellement marié, ma liberté avait été sérieusement impactée. Et donc, en partant en forêt, je retrouvais une partie de cette liberté. J’étais habillé en treillis comme à l’armée. Je pouvais manger salement, sans reproche, parler de la même façon, beaucoup rire et beaucoup partager avec les gens, en fait. Que ce soit les touristes qui venaient du monde entier et les gens des minorités.
Moi, j’étais une espèce de clown qui faisait prendre la sauce entre des gens absolument aux antipodes. Et c’était très amusant. Tout le monde y trouvait son compte, en fait, parce que l’idée d’amener des gens, voir d’autres gens façon zoo, c’était impossible. Par contre, marcher en forêt, souffrir, rencontrer des gens le long de la route, échanger quelques gorgées à la gourde, puis plus tard, dans le village, sortir la vodka vietnamienne dégoûtante qu’on achetait à l’époque et partager ça, rigoler, danser. Ça a été des grands moments pour tout le monde. Et c’était un beau tourisme que j’ai eu beaucoup de plaisir à pratiquer.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Est-ce que c’est un peu difficile après le Covid ? Est-ce que ça revient ? Est-ce que ça se stabilise ?
Alors oui, maintenant, c’est totalement différent. D’abord parce que moi, je n’accompagne plus en jungle. J’ai fait un petit retour récemment avec un ami de France. J’ai été favorablement surpris parce qu’en fait, il reste encore des beaux morceaux de jungle cambodgienne au milieu du parc national à Ratanakiri.
Donc ça, c’est une chose. Mais c’est vrai, pour revenir au tourisme, là, bon, c’est mauvais. Nous avons eu trois ans de Covid, plus ou moins. Et puis derrière, ça n’a pas repris comme nous aurions aimé. Et pourtant, nous avons réinvesti dans nos hôtels. Et tout ça, pour le moment, c’est dur. Il faut rembourser la banque et tous les créanciers.
Heureusement, nous avons la famille qui aide un petit peu. Mais bon, nous n’avons pas d’autre choix, de toute façon. Maintenant, même nos enfants nous aident. En travaillant et des fois en nous donnant un petit peu de sous.
Notre fille Marianne, de temps en temps, envoie des sous de France à ses vieux parents. Donc c’est sympa. Et puis, c’est surtout qu’en fait, les éléphants, notre projet d’éléphant, c’est quelque chose qui tient à cœur de toute la famille. Mais c’est aussi quelque chose qui est un petit peu ruineux.
Comment en êtes-vous venu à créer Airavata ? Comment ça se passe aujourd’hui ?
Alors, Airavata, ça s’est passé par hasard. Personne dans la famille, à part un grand-père de Chenda, ne connaissait quelque chose aux éléphants. Moi, j’en avais croisé souvent pendant mes balades à pied dans la forêt. Enfin, je parle d’éléphants domestiques. Les éléphants sauvages, on ne peut pas les rencontrer comme ça. Ils peuvent être chatouilleux. Et donc, moi, j’étais cavalier dans ma jeunesse. Donc, ce ne sont pas du tout les mêmes animaux. Le langage corporel n’est pas le même. Et donc, il a fallu tout apprendre.
Et au début, c’est assez compliqué. Vous dépendez de vos cornacs qui vous expliquent des choses qui sont vraies à leur échelle. Puis après, il faut approfondir tout ça avec des gens qui viennent d’ailleurs, des experts.
Alors, nous avons travaillé avec un Suédois, avec un expert qui est, à ma connaissance, l’un des meilleurs, mais aussi avec des Allemands. Et on apprend tous les jours, sur tous les plans, que ce soit les traditions, que ce soit la médecine vétérinaire, que ce soit les soins à prodiguer tous les jours, l’entraînement, comment est-ce qu’on fait du renforcement positif appliqué aux éléphants. Le renforcement positif, c’est une base d’entraînement.
Nous entraînons les éléphants avec des récompenses, comme pour les chiens. Assis, voilà un sucre. Donc là, le sucre est remplacé par une banane ou un morceau de canne à sucre ou autre chose. Et donc, tout ça, ça a pris beaucoup de temps. En fait, les éléphants ne sont pas vraiment… Ce n’est pas ce qu’il y a de plus dur.
Le plus dur, c’est les cornacs autour. Il faut savoir convaincre les cornacs qu’on peut apprendre des choses à un éléphant, quel que soit l’âge de l’éléphant. Alors comme nous avions peu d’expérience, voire pas d’expérience à l’époque, ils ne nous prenaient pas au sérieux. Et maintenant, huit ans plus tard, tout le monde a beaucoup évolué, nous, et les cornacs. Et nos éléphants ont aussi beaucoup évolué également. Ils ont appris à faire plein de choses et nos cornacs prennent plaisir à entraîner leurs éléphants maintenant. Tous les jours, nous avons un petit rapport vidéo sur le groupe Telegram d’Airavata. Nous y voyons aussi l’entraînement des éléphants.
Éventuellement, s’il y en a un qui a un bobo. En ce moment, Ikeo a un petit problème à l’œil. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs. Donc là, nous suivons ça de près et partageons avec nos différents vétérinaires-conseils. Nous avons deux Cambodgiens et une Française, Virginie, que je salue ici. Et Chenda, qui était auparavant vétérinaire à Phnom Tamao et à Wildlife Alliance. Donc, nous avons de la chance d’avoir maintenant, en plus d’une certaine forme de « bouteille » avec les éléphants, de plus en plus de connexions qui rendent notre travail plus facile. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui connaissent bien leur domaine au Cambodge. Il y a de bons professionnels.
Quand nous avons eu besoin de faire opérer pour la deuxième fois l’abcès de Bokva, Chenda, le vétérinaire, a été magistral. Il lui a administré une sédation debout. Et vous aviez un éléphant de cinq tonnes, debout, qui ne vacillait pas sur ses jambes et qui ronflait pendant qu’on lui découpait la couenne. Donc c’était un beau moment.
Donc tout ça, ça coûte cher. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des financements ?
Alors oui, en effet, les éléphants, ça coûte cher. Et puis il n’y a pas que les éléphants, il y a toute une structure derrière. Nous avons douze employés à Airavata, huit cornacs et d’autres personnes. Ma femme et moi, nous sommes bénévoles, nos enfants aussi, beaucoup de gens nous aident. Par contre, les autres ont besoin de gagner leur croûte et ça se comprend. Les cornacs sont des gens que nous payons assez cher, entre 300 et 400 dollars. Et puis après, il y a tous les soins et les logements pour les cornacs parce que ces derniers habitent parfois dans des villages situés à plusieurs dizaines de kilomètres.
Donc là, on a de la chance d’avoir de bons amis. Il y a Jacques Marcille de Kulen qui nous a payé la maison des cornacs, trois chambres avec salle de bain et cuisine dans chaque chambre. Maintenant, ils sont tellement contents qu’ils passent plus de temps là que dans leur village. Il y a même la femme de Hen, notre plus vieux cornac, j’ai vu qu’elle avait emménagé dans la maison des cornacs. Et elle, c’est une femme assez intéressante, c’est une chamane. Elle guérit les jambes, elle est toute petite avec des yeux très perçants. Je pense qu’à une autre époque, j’aurais été très sensible à ses charmes - au siècle dernier...
Auparavant, nos hôtels nous aidaient beaucoup, mais ceux-ci sont en panne du fait de cette désaffection du Cambodge en ce moment d’un point de vue touristique. Et donc, nous avons fait appel de plus en plus à la communauté, aux gens qui habitent ici, qui ont vu ce que nous faisions. Parce que, comme vous ne l’ignorez certainement pas, nous sommes les seuls à poursuivre les activités traditionnelles au Cambodge. Et c’est très, très mal vu du monde occidental.
Je serais un bourreau d’éléphants dont le plaisir est de voir couler leur sang. Alors, je vous rassure, ce n’est pas le cas. J’aime beaucoup les éléphants et la culture cambodgienne. Et on s’aperçoit qu’on peut très bien gérer des éléphants en bon père de famille.
« Nous, nos éléphants sont des membres de la famille. Et nous avons plaisir à les voir progresser, à les voir en bonne santé. Et de même, nous avons plaisir à voir nos cornacs s’épanouir dans leur travail. »
Nous sommes fiers maintenant. Parce qu’avant, c’était juste de gros vachers pour beaucoup de Cambodgiens. Maintenant, ce sont des stars. Ils passent sur Facebook, sur Instagram, ils montrent comment on gère un éléphant en musth (rut), comment on fait marcher un éléphant au pas en levant la trompe.
Nous sommes fiers et heureux pour nous et pour la communauté. Maintenant, il y a toute une communauté à Phnom Penh, des professionnels dans différents domaines qui nous soutiennent financièrement. Pour la plupart, parce qu’ils aiment bien Chenda. Et pour les autres, parce qu’ils ont vu ce que nous faisions sur le terrain. Nous sommes très heureux d’avoir le soutien de Sa Majesté la Reine qui nous l’a témoigné à nouveau encore aujourd’hui.
Pour nous, c’est quelque chose qui nous motive encore plus à accomplir notre mission au profit des éléphants cambodgiens. Malgré les dons, les donations des amis de la famille, ça ne suffit pas. Beaucoup de gens, maintenant, ont commencé à nous suivre et à nous soutenir, mais ça ne suffit toujours pas. Les éléphants, c’est vraiment cher.
C’est pour ça que chaque année, maintenant, nous sommes amenés à organiser un gala de charité. Ce gala aura lieu le 18 août prochain au Sun and Moon Riverside qui est un tout nouvel hôtel. Malheureusement, nous avons lâché nos amis du Royal en leur expliquant qu’on voulait doubler la capacité d’invitation.
Le Royal nous a toujours soutenus et nous a toujours beaucoup aidés. Cette année, il a été décidé de passer à l’étape supérieure et d’avoir à peu près 400 invités pour soutenir la fondation d’un point de vue financier, pour ratisser plus large.
Cette année, nous avons un bel endroit, très moderne, très grand, avec au programme des artistes cambodgiens connus. Nous aurons Belle, la danseuse qui a fait connaître les danses traditionnelles cambodgiennes dans le monde entier, nous aurons Derek, comme d’habitude, la belle Taroth, et d’autres encore.
« Nous vous invitons tous à nous rejoindre le 18 pour célébrer l’éléphant et la culture cambodgienne autour de l’éléphant. »
Pour nous soutenir financièrement, vous pourrez vous acheter plein de choses. Il y aura des artistes qui vont vendre leurs œuvres. Je pense à notre ami, Bruno Lévi-Truffert qui fera des mandalas en coréen. Il y aura de très belles œuvres d’art en bronze. Il y aura des peintures, cela va être chouette. Et les artistes habituels qui nous soutiennent depuis le début comme Nou Sari, et d’autres, qui sont des gens dont la générosité nous a touchés chaque année. Des gens qui ne sont pas que dans le paraître comme ça pourrait être le cas dans ce milieu. Ils aiment vraiment leur culture et les animaux du pays. Merci à eux.
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