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Photo du rédacteurRémi Abad

Archive & Nature : Angkor, sous la forêt, les champignons

C’est vers un sujet encore largement méconnu que va nous guider Christophe Guenole. Fin connaisseur de la faune et de la flore, cet amoureux de la nature parcourt régulièrement les sentiers entourant les temples d’Angkor.

Clathrus truebii, sud Cambodge (photo Gee Jay)
Clathrus truebii, sud Cambodge (photo Gee Jay)

Dans cette forêt diptérocarpe, plantes, mousses et fougères ne sont pas les seules à s’épanouir sous la canopée : un grand nombre de champignons y prolifèrent, pour le plus grand bonheur des mycophages, mycophiles et mycologues.

CM : Pourquoi devrait-on s’intéresser aux champignons d’Angkor ?

On trouve énormément d’espèces de champignons dans les bois alentour, mais aucune étude ne s’est pour l’instant penchée sur le sujet. À ma connaissance, une seule publication scientifique, parue en 2017, traite des champignons du Cambodge, mais laisse de côté la province de Siem Reap. Dans cette étude menée par des scientifiques coréens, 302 espèces sont recensées, ce qui représente à coup sûr un très petit nombre par rapport à la réalité. À titre de comparaison, on trouve en France métropolitaine plus de 3 000 espèces. Je ne pense pas qu’il y en ait moins au Cambodge : le sujet a jusqu’alors été négligé et réserve très certainement encore de belles surprises.

CM : Étiez-vous déjà passionné par le sujet lorsque vous viviez en France ?

Oui, je m’y intéresse depuis mon enfance. Ma grand-mère paternelle a transmis sa connaissance des champignons à mes parents. Très jeune, j’accompagnais ma mère en forêt et mon père à la chasse. En grandissant, ce sont ensuite les fougères qui m’ont fasciné, ainsi que les mousses et les lichens. Et, bien sûr, les champignons.

« Nous retrouvons d’ailleurs à Angkor quelques espèces bien connues des mycologues français : girolles, chanterelles, bolets, pleurotes, russules…»

Avec parfois quelques particularités. Par exemple, sur les 800 espèces de russules disséminées sur la planète, la Russule Siamensis est la seule au monde à posséder un anneau. Les phallus à indusium sont très élégants et exclusivement tropicaux. Il y a aussi les termitomyces, qui poussent sur les termitières et qui sont particulièrement impressionnants.

Phallus indusiatus, Angkor Vat, zone est
Phallus indusiatus, Angkor Vat, zone est

CM : Comment les champignons sont-ils ici consommés ?

Curieusement, alors que la médecine traditionnelle cambodgienne fait appel à de nombreuses plantes et écorces, les champignons ne rentrent dans la composition d’aucun remède, alors que les Chinois utilisent beaucoup les ganoderma. Je n’en ai pas non plus trouvé de représentation sur les bas-reliefs historiques ni dans un quelconque texte ancien. Cela ne veut pas dire que les champignons soient totalement ignorés, notamment dans la gastronomie : on les inclut la plupart du temps dans les soupes. Il est fréquent de trouver, sur le bord des routes, des étals débordant de champignons, dont la vente constitue une source de revenus pour la population locale.

CM : Peut-on consommer sans souci les champignons ainsi acquis ?

Si l’achat concerne une seule et même variété, il n’y a généralement aucun problème. La méfiance doit plutôt s’exercer lorsqu’il s’agit de mélanges :

« là, nous ne sommes pas à l’abri d’un champignon vénéneux qui aurait échappé à la vigilance »

Il est assez fréquent, en lisant les journaux, de tomber sur des histoires d’empoisonnement parfois dramatiques. Il faut avoir une bonne connaissance des espèces avant de les mettre dans son assiette, mais quelques signaux servent aussi de mise en garde : les champignons toxiques ont souvent en commun de réagir au toucher par un changement de couleur et possèdent une odeur nauséabonde qui n’incite pas particulièrement à leur consommation.

Il est très important de toujours sentir les champignons. Il y a une grande variété de nuances olfactives, allant de l’anis à l’amande amère en passant par le miel ou encore le poivre.

Russula sp, partie est d’Angkor Vat
Russula sp, partie est d’Angkor Vat

Dans quel but les champignons développent-ils ces senteurs si particulières ?

Dans le cas des phallaceae, l’odeur sert à attirer papillons, criquets et mouches, qui se chargeront ensuite de disperser les spores.

« C’est là que nous nous rendons compte des complémentarités et des interconnexions en œuvre dans la nature : tout est symbiose »

Les insectes dispersent les spores, les champignons vont produire des nutriments pour les arbres, et réciproquement. Les arbres s’attachent à certaines espèces de champignons. C’est à ce propos un excellent moyen d’identifier une variété : regarder au pied de quel arbre elle pousse facilitera son identification. À titre d’exemple, l’arbre dénommé ici Sralao ainsi que les diptérocarpes attirent particulièrement les chanterelles.

Cantharellus sp, espèce non encore décrite
Cantharellus sp, espèce non encore décrite

Vous disiez qu’un vaste travail de recensement était encore à effectuer. Comment cette tâche s’effectue-t-elle ?

Il y a une petite communauté de passionnés, pas seulement au Cambodge, mais aussi dans les pays frontaliers ou même encore plus loin. Des groupes Facebook et autres forums de discussions nous mettent en relation avec des experts situés aux 4 coins du globe. Grâce à ces échanges, nous pouvons identifier des variétés et obtenir des avis éclairés. Une espèce jusqu’alors inconnue ici est par exemple en attente d’envoi dans un laboratoire.

Des prélèvements ADN et un séquençage du génome permettront bientôt de lever le voile sur cette variété de cantharellus. Nous constituons aussi des banques d’images et réalisons des empreintes en pressant les champignons sur une simple feuille de papier : le motif obtenu, ainsi que sa couleur, peuvent permettre de distinguer des genres. Pour les russules les réactifs colorés sont très utiles.

Quelle est la saison la plus propice aux champignons ?

La plupart des espèces ne s’épanouissent que de manière très brève, durant parfois un seul et unique mois de l’année. Octobre est la période qui offre le plus de diversité, mais il y a aussi de belles pousses en début de saison des pluies, surtout en juillet.

Les champignons que l’on ramasse dans la région possèdent d’indéniables qualités gustatives, ce que confirment les restaurateurs qui les ont ajoutés à leur menu.

 

Christophe Guenole invite toute personne désireuse d’en apprendre plus sur le sujet à consulter le groupe Facebook dédié : https://web.facebook.com/groups/2694420720822218

Si vous êtes amené à partager vos clichés, il est important de prendre en photo le pied du champignon, sa partie souterraine, le chapeau dessus et dessous, ainsi qu’une vue générale tout en fournissant, si possible, des indications sur le milieu dans lequel il pousse.

Pour plus d’informations : christophe@siem-reap-for-sale.com

Soyez indulgent concernant le délai de réponse car cette activité est bénévole !

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