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Photo du rédacteurVoyageuse Passion

Cambodge & Histoire : Quand les Français voulaient conquérir le Mékong

La Mission d’exploration du Mékong fut une expédition financée par le gouvernement colonial de Cochinchine française. Dans un contexte de concurrence entre puissances coloniales pour l’accès au marché chinois, son principal objectif était d’établir la navigabilité du Mékong en direction de la Chine.

Illustration : Membres de la Commission d’exploration du Mékong sur le site d’Angkor. De gauche à droite : Francis Garnier, Louis Delaporte, Lucien Joubert, Clovis Thorel, Louis de Carné et Ernest Doudart de Lagrée. Gravure à partir d’une photographie d’Émile Gsell.

 

La mission débute le 7 juin 1866 à Saïgon. Elle se terminera deux années plus tard dans cette même ville, le 29 juin 1868. Au cours de cette période, les membres de l’expédition auront parcouru près de 10 000 kilomètres. Si le Mékong se révéla impraticable pour l’ouverture d’une véritable voie commerciale, les découvertes scientifiques et les travaux cartographiques conduiront à de nombreuses distinctions, notamment auprès de la Société de géographie et de la Royal Geographical Society.

Contexte

La Cochinchine est annexée par la France à l’Annam en 1862. En 1863, le Cambodge devient protectorat français. Si l’acquisition de ces territoires vient en réponse aux ambitions anglaises dans la région, elle n’engendre pas le succès commercial escompté. Au contraire, l’administration de ces terres lointaines est coûteuse et l’on s’interroge à Paris sur la pertinence d’une installation dans la durée.

Sur place, les colons voient dans le Mékong une possible route privilégiée vers la Chine et son immense marché, une promesse de commerce et de prospérité. Sous l’impulsion du gouverneur de Saïgon, l’amiral Pierre-Paul de La Grandière, le ministre de la Marine et des colonies Prosper de Chasseloup-Laubat se rallie à l’idée d’organiser une mission reconnaissance du grand fleuve. Le commandement en est confié au capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée, secondé par l’officier de marine Francis Garnier. Une vingtaine d’hommes embarque sur deux canonnières au départ de Saïgon.

Le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée
Le capitaine de frégate Ernest Doudart de Lagrée

Le 5 juin 1866, lors de l’embarquement, un public nombreux vient saluer « les valeureux pionniers de la science ». La mission dirigée par Doudart de Lagrée est composée de : Francis Garnier, chargé des travaux d’hydrographie et du tracé de la carte du voyage ; du dessinateur Louis Delaporte ; du chirurgien de marine Lucien Joubert, responsable des observations géologiques ; de Clovis Thorel, botaniste et médecin ; du vicomte Louis de Carné, en charge de la description des pays traversés et de l’étude des questions commerciales ainsi que du photographe Émile Gsell.

Cambodge

Munie de la lettre de commission de l’amiral de La Grandière, la mission quitte Saïgon le 5 juin 1866, gagne Phnom Penh et, par le Tonlé Sap, se rend à Angkor. Repassant par Phnom Penh, elle remonte le Mékong en canonnière et atteint les premiers rapides à Samboc-Sombor au-delà de Kratié.

La progression se fera désormais par voie d’eau en pirogues et sur terre à dos d’éléphants et en chars à buffles. Les zones dangereuses de Préapatang et des chutes de Khone sont franchies en suivant la rive et le 11 septembre la mission parvient à Bassac (Champassak). De là, Garnier reconnaît le cours inférieur du Se-Don (Tonle Kong en cambodgien) et les ruines de Vat Phou, Doudart de Lagrée, lui, se rend à Attopeu.

Course de pirogues à Bassac
Course de pirogues à Bassac

Laos

Depuis le sud du Laos, une partie des membres de la Commission remonte la Semoun jusqu’à Ubon Ratchathani au Siam tandis qu’une autre poursuit la remontée du fleuve. Les deux groupes se rejoignent sur le grand fleuve à Kemarat le 30 janvier 1867. L’expédition dépasse Vientiane et arrive à Luang Prabang le 28 avril 1867. Ayant franchi de trop nombreux rapides, Garnier conclut que le Mékong est une rivière qui « ne voulait tout simplement pas coopérer ». Il note dans son rapport :

« l’avenir des relations commerciales rapides sur ce vaste fleuve, la route naturelle de la Chine à Saïgon, dont j’avais heureusement rêvé la veille, m’apparait désormais sérieusement compromis. »

Épuisés, la malaria fait rage, les hommes se reposent pendant quatre semaines à Luang Prabang où ils obtiennent leurs passeports pour la Chine. Cependant, les territoires difficiles à venir et l’instabilité politique de la région affectent les plans du voyage. L’expédition repart le 25 mai 1867.

Birmanie et Chine

Pour rejoindre la province du Yunnan, Doudart de Lagrée comptait suivre la Nam Ou, affluent du Mékong, mais des révoltes dans cette province obligent l’expédition à poursuivre sur le Mékong vers Sé-Mao. En octobre 1867, la mission quitte finalement le Mékong pour se diriger vers Kunming (Yun-Nân-Sen). C’est alors que l’expédition fait face à un puissant fleuve : il s’agit du fleuve Rouge (Song-koï). Garnier est missionné par Doudart de Lagrée pour en faire une reconnaissance. Il doit bientôt renoncer à cause de la difficulté du terrain et des rapides. Néanmoins, le second de l’expédition pressent la possibilité d’une route fluviale pour rejoindre la mer de Chine. Les hommes se rejoignent à nouveau pour se séparer encore quand Garnier part pour une autre mission en direction de la ville de Dali (Ta-Li-Fou). L’accueil du sultan n’est pas favorable et les hommes sont contraints de faire demi-tour. Pendant leur absence, Doudart de Lagrée, gravement malade, a succombé le 12 mars 1868. Francis Garnier prend le commandement de l’expédition, rejoint le fleuve Bleu (Yangzi Jiang) et le descend jusqu’à Shanghai. Les hommes seront de retour à Saïgon le 29 juin 1868, après deux années d’exploration.

Conséquences

Si le Mékong ne s’avère pas être la voie de communication espérée, Francis Garnier croit trouver dans le fleuve Rouge une alternative à l’accès au marché chinois. Explorée dans sa partie haute au hasard du parcours de l’expédition, la navigabilité du fleuve sera établie quelques années plus tard par Jean Dupuis. La prise d’Hanoï et du Tonkin en sera une conséquence.

Héritage

Sur le plan scientifique, les nombreuses découvertes vaudront à Francis Garnier de partager avec David Livingstone la Médaille d’Honneur de la Société de géographie en 1871. Louis Delaporte réalisera de nombreux dessins et croquis, témoignages uniques des mœurs et coutumes de ces territoires alors inconnus de l’Occident. Quant à Émile Gsell (qui s’arrêtera au Cambodge), il ramènera les premières photos jamais prises du site d’Angkor.

Le récit de l’expédition

Francis Garnier est chargée par le Ministère de la Marine de la publication du récit du voyage. L’ouvrage est composé de deux volumes in-4 et d’un atlas in-folio. L’édition originale est publiée par la Librairie Hachette en 1873. L’ouvrage comporte de nombreuses gravures sur bois dans le texte et pleine page, et 10 cartes gravées en couleur.

 

Bibliographie

  • L. Rapatel, Voyage d’exploration en Indochine. Interfaces — Livres anciens de l’Université de Lyon, 2020. [En ligne : https://bibulyon.hypotheses.org/15248.

  • G. Taboulet, Le voyage d’exploration du Mékong (1866-1868) : Doudart de Lagrée et Francis Garnier, Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, 1970

  • Wikiwand : Mission d’exploration du Mékong (1866-1868)

  • (en) Milton Osborne, River Road to China : The Mekong River Expedition, 1866–1873, 1975

  • (en) Milton Osborne (en), ‘Francis Garnier (1839–1873), Explorer of the Mekong River’, in Explorers of South-east Asia, Six Lives, éd. Victor T. King, Kuala Lumpur 1995

  • Gomane, Jean-Pierre. L’exploration du Mékong. La mission Doudart de Lagrée. Francis Garnier (1866-1868). Paris : L’Harmattan, 1994, 287 p.

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