Les parents du Cambodgien Jean-Sien Kin ne lui avaient jamais fait part de leurs souffrances pendant les années noires du régime de Pol Pot. Ce n’est que lorsqu’il est tombé sur une toile réalisée par Vann Nath dans les années 2000 qu’il a pris conscience des horreurs de cette période.
Kin rencontrera Vann Nath en 2006 et lancera le groupe « Cercle des Amis de Vann Nath » en France pour collecter des fonds afin d’aider à payer les soins médicaux de l’artiste qui souffrait d’une maladie rénale.
Vann Nath est décédé en septembre 2011 et, pour marquer le 10e anniversaire de sa disparition, son ami Kin et le groupe ont publié un livre sur ses peintures.
Intitulé simplement « Vann Nath », écrit en anglais et en khmer et publié avec le soutien du Musée du génocide de Tuol Sleng à Phnom Penh, de la Direction du développement et de la coopération suisse et de sponsors privés.
Officiellement lancé à Phnom Penh au Centre de ressources audiovisuelles Bophana le 11 mars, l’ouvrage de 240 pages présente les peintures de Vann Nath exposées en permanence au musée de Tuol Sleng ainsi que des œuvres acquises par des collectionneurs du monde entier.
Rappel
Entre 1,5 et 1,8 million de personnes ont perdu la vie dans le génocide cambodgien, les Khmers rouges ayant tué près d’un quart de la population cambodgienne en quatre ans seulement, par la famine, le manque de soins médicaux, le surmenage, les tortures et les massacres.
Paradoxalement, les Khmers rouges ont épargné la vie d’un peintre, Vann Nath, qui, par son art, aurait été le témoin des atrocités du génocide cambodgien.
Vann Nath
Né en 1946 à Phum Sophy, un village de la province de Battambang, Vann Nath était issu d’une famille pauvre qui n’avait pas les moyens de financer son éducation. Il a été moine bouddhiste pendant quelques années et a suivi une formation d’artiste dans les années 1960. Il a ensuite gagné sa vie en peignant des portraits, des affiches de cinéma et des panneaux publicitaires.
Lorsque les Khmers rouges ont pris le pouvoir en 1975, Nath a été déporté à la campagne et contraint de travailler dans une rizière. Il a été arrêté en 1978 et transféré à la prison de Tuol Sleng. Cette prison secrète de Pol Pot est connue pour avoir été une institution barbare où des milliers de personnes, y compris des femmes et des enfants, ont subi d’horribles tortures et ont ensuite été exécutés. D’après les archives, sur les quatorze mille personnes détenues par S-21, seule une douzaine a été épargnée et sept d’entre elles ont ensuite raconté leur expérience dans leurs mémoires.
Parmi eux, il y avait Vann Nath. Une fois transféré à S-21, il a été photographié, emprisonné et torturé, mais il a été épargné lorsque les gardiens de la prison ont découvert qu’il savait peindre. Jusqu’à la fin du régime des Khmers rouges, Nath a été recruté de force pour peindre des portraits de Pol Pot tout en restant en prison et en étant témoin des atrocités, peignant souvent en entendant les hurlements des personnes torturées.
Nath a fui la prison S-21 le 7 janvier 1979, lorsque les Vietnamiens ont libéré le Cambodge et que le régime des Khmers rouges a pris fin. Un an plus tard, le centre d’interrogatoire et de détention S-21 a été transformé en musée du génocide de Tuol Sleng.
Ce site commémoratif préserve la mémoire de la page la plus sombre du Cambodge « dans le but d’encourager les visiteurs à être des messagers de la paix ». À cette fin, le musée a demandé à Nath de peindre les atrocités dont il avait été témoin en tant que prisonnier de S-21.
Nath a rassemblé ses souvenirs d’arrestations, de tortures et de meurtres pour en faire un témoignage visuel puissant et précieux du génocide cambodgien. Nath a consacré sa vie d’homme libre à la mémoire.
Exposées en permanence au musée de Phnom Penh, ses peintures ont ensuite fait partie de ses mémoires intitulées « A Cambodian Prison Portrait: One Year in the Khmer Rouge’s S-21 », publié en 1998 et traduit du khmer dans plusieurs langues étrangères. Nath est décédé en 2011 après avoir témoigné devant le tribunal des Khmers rouges contre Kaing Guek Eav, l’ancien commandant de la prison S-21 connu sous le nom de Camarade Duch.
Vann Nath, qui a figuré en 2002 dans le poignant documentaire « S21, la machine à tuer des Khmers rouges » de Rithy Panh, a reçu le titre de Chevalier des Arts et de la Culture en 2004, et le prix Hellman/Hammett de Human Rights Watch pour les écrivains persécutés en 2002 et 2007.
Le lancement public du livre a lieu ce lundi à la galerie d'art Silapak Trotchaek Pneik, située à la YK Art House, 13 A rue 830 à Phnom Penh et l’ouvrage restera disponible à la galerie.
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