Chers lecteurs, après une longue pause, les interviews de Khmers au parcours atypique reprennent. C’est en France que nous commençons, avec une illustratrice de talent, originaire de l’Essonne et régulièrement présente dans notre diaspora pour ses interventions créatives et son engagement au travers de la communauté.
Voici donc le portrait plus intime de celle qui décrit le dessin comme « une extension d’elle-même » et qui considère aujourd’hui avoir atteint une certaine maturité artistique, SINATH BOU.
Ayant vu le jour en région parisienne dans une ville où se trouvent peu de représentants de la communauté asiatique, comment se passe ton enfance ?
Sans accroche. Rien dans mon entourage plutôt bienveillant - ou détaché - ne me fit me poser des questions sur mes origines, ou ma différence.
Bercée entre deux cultures, une anecdote fort intéressante est établie dans votre foyer concernant votre apprentissage des langues. Quelle est-elle ?
Chacun de nos deux parents s’attribua un rôle particulier :
1. Ma mère ne communiquait avec nous qu’en khmer
2. Mon père ne communiquait avec nous qu’en français
Cette forme d’apprentissage s’est avérée particulièrement bénéfique pour moi, qui était l’aînée d’une fratrie de quatre.
Au quotidien, la nourriture reste principalement khmère. As-tu des souvenirs atypiques concernant cette cuisine ?
Le PRAHOK sans hésitation ! Pour sa contraction entre son odeur si prononcée et son goût particulier que j’aime tant.
Ton rapport avec le Srok reste flou durant ton enfance. Quelle était ta vision du pays ?
Elle se créait autour de notre toile d’Angkor Wat et des représentations que nous avions des danseuses Apsara, ainsi que par l’autel mis dans notre foyer. La radio (RFI) et les musiques de mes parents également. Mes idées du Srok pour le reste demeuraient très vagues, hormis sa position géographique.
La pudeur de ton père, entremêlée d’une évidente volonté de protection, t’a longtemps laissée en dehors de tout ce qui pouvait te rattacher à l’histoire sombre de notre royaume. Aurais-tu désiré en savoir un peu plus à cette époque ?
En mon for intérieur, mon désir restait omniprésent. Mais le peu de moments de partage entre mon père et moi, notamment du fait de son travail prenant, ne me donna que peu d’occasions d’assouvir cette envie.
Jeune, tu as finalement peu de contacts extérieurs. Tu noues alors un rapport inconscient, voire inattendu, avec la culture japonaise. Raconte-nous !
De la génération Club Dorothée, cette émission reste définitivement le déclencheur de ma curiosité pour les mangas et les animés. Elle devint mon ‘cadre de référence’ pour ma curiosité envers la culture asiatique dans son ensemble.
De cet engouement naquit ma passion du dessin, en commençant par la reproduction des personnages que je découvrais notamment à la télévision. Mais aussi une réelle attirance (partagée d’ailleurs avec l’un de mes petits frères) pour la pop japonaise.
Ces centres d’intérêt me firent d’ailleurs passer souvent pour une Japonaise auprès de mon entourage, alors peu informé sur l’Asie en général.
Ton côté spirituel est également extrêmement présent lorsque l’on échange avec toi. Pourrais-tu nous dire d’où cela vient ?
L’ironie de cette question est justement que son numéro est le chiffre 7, chiffre possédant à mes yeux une connotation hautement spirituelle. Sinon durant mon enfance, ce côté était plutôt ressenti au niveau de notre pratique du bouddhisme, notamment avec la bénédiction et la purification avec de l’eau bénite lors du passage au Nouvel An.
Plus tard, ton côté artistique - jusque là considéré comme une passion - prend soudainement de l’importance, que s’est-il passé en 2011 ?
J’exprimais régulièrement cette passion sur des forums, mais aussi au travers d’un blog que j’avais créé à l’époque, jusqu’au jour où un éditeur de livres de jeunesse repéra l’un de mes personnages. Il me proposa d’illustrer une trilogie. Je devins alors officiellement illustratrice.
Tu traverseras ensuite une période latente, qui ensuite t’amènera de nouvelles révélations sur le plan créatif. Explique-nous !
Suite à une période où l’introspection remplaça la création, un renouveau m’amena à changer mon style de dessin. Il serait désormais plus minimaliste, majoritairement à l’encre, et s’exprimant plus selon mes envies et non selon un automatisme de performance.
Arrive ta rencontre avec la danse classique khmère. Peux-tu nous en dire davantage sur ce nouveau pas ?
Après une suite de rencontres inattendues, je me suis retrouvée à essayer un cours de danse classique khmère à TEP MONOROM et la sensation émotionnelle éprouvée lors de ce premier essai fut indescriptible. Je la pratique depuis de façon régulière.
Qu’est-ce que cet environnement t’a apporté à ce jour ?
Depuis, cette pratique me permet de m’épanouir et de me reconnecter plus profondément avec mes racines.
Aujourd’hui ton identité d’artiste a bien évidemment évolué ; lorsque l’on te parle, on ressent une évidente sérénité. Qu’est-ce qui désormais te fait le plus vibrer ?
Mon expression artistique se traduit désormais par ma propre créativité, et au travers de collaborations avec d’autres artistes, par l’exploration par exemple de leurs univers tout en y insérant le mien.
Quels sont tes projets professionnels préférés durant ta carrière ?
1. La réalisation de plaquettes pour L’ORÉAL
2. La Trilogie du CARNET DE THÉO, mon 1er livre
3. Les performances LIVE
Quels sont ceux que tu aimerais réaliser dans le futur ?
Mes 3 plus grands souhaits seraient :
1. illustrer des ouvrages en lien avec la culture khmère
2. dessiner des vêtements de couturier
3. transformer mes illustrations en animations
Des conseils à donner aux jeunes artistes ?
Toujours écouter son cœur, développer sa curiosité au maximum, savoir apprendre, mais aussi désapprendre, et persévérer.
Propos recueillis par Chantha R (Francoise framboise)
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