Chers lecteurs, dans ce nouveau volet consacré aux talents cambodgiens à travers le monde, voici aujourd’hui Amara Prum qui incarne la grâce et la beauté, mais aussi véhicule avec ferveur notre culture et nos traditions, et ce dans la plus grande authenticité.
Au travers des dires et du regard passionné de celle qui pense que « le hasard des rencontres n’existe pas », voici pour Cambodge Mag, l’interview exclusive d’Amara Prum. Cette magnifique danseuse Apsara franco-khmère, présente le 28 janvier dernier à la Ferme du Buisson (France), nous confie son parcours tournant autour de son amour pour la danse et des trois associations dans lesquelles elle est impliquée.
Entretien
Tu vois le jour en France, de parents ayant fui jeunes le régime des Khmers rouges. Raconte-nous tes plus tendres souvenirs de tes premières années, à l’école ou dans ton foyer
Issue d’une fratrie extrêmement soudée, définitivement, je penserai à nos moments de réunion familiale, en particulier ceux passés ensemble à la Pagode de Vincennes, des cérémonies tels le Nouvel An ou Pchnum Ben, à nos pique-niques. Ayant des parents férus d’art et de culture, je citerai également tous les événements qui nous rapprochaient inéluctablement de la nôtre, que ce fut par des associations au travers des fêtes données par l’école cambodgienne où nous étions tous inscrits, aux expositions du musée Guimet… à nos repas familiaux au Tricotin dans le 13e.
Un autre point, l’instauration de la règle hiérarchique familiale - où de l’âge en général - par notre mère dès mes cinq ans, ainsi que toutes les marques de respect propres à la culture cambodgienne.
Que regardais-tu régulièrement en cassette et pourquoi ?
La cassette VHS du ballet royal de ma mère… à ce sujet, la première danse que je tentai de reproduire à mes cinq ans fut, sans le réaliser, celle des Apsaras !
Dans quel type d’école as-tu été inscrite dès ton plus jeune âge ?
Nous étions à l’école cambodgienne de Noisiel, et ses classes du dimanche matin
Puis vers tes huit ans, tu décides, seule, de prendre l’initiative d’une inscription scolaire, attirée par un certain parcours. Raconte-nous !
Inscrite à la base aux cours de langue, la visite d’une association d’initiation à la danse me procure un déclic. Je décide alors de m’y inscrire de mon propre chef, du haut de mes huit ans !
Quelle fut la réaction de tes parents ?
Ma mère m’a confié récemment qu’elle était agréablement surprise de savoir que je m’étais inscrite à la danse. Elle était fière et heureuse de savoir que j’avais entrepris cette démarche de m’intéresser davantage à ma culture et m’a soutenue et accompagnée pendant toute ma carrière par la suite.
Plus tard, un événement extraordinaire se déroulera à la Pagode de Champs-sur-Marne. Lequel fut-il et comment pourrais-tu nous le décrire ?
Suite à l’inauguration du temple bouddhiste à la Pagode de Champs-sur-Marne (régie par un membre de la Famille royale) un événement extraordinaire en présence de certaines de Leurs Altesses eut lieu. J’eus ici même la chance de donner une représentation devant celui qui allait devenir alors le futur Roi du Cambodge.
Tu pus également ce jour-là ressentir la rigueur, l’exigence et l’excellence que demande le Ballet royal. Pourrais-tu brièvement faire une comparaison avec les ballets hors du Srok Khmer ?
Ce fut ma première occasion de côtoyer les danseuses et danseurs du Ballet royal, notamment ceux issus de la génération avant-guerre. J’y découvris ce jour-là une autre perspective, celle liée au Sacré (par les offrandes de fruits, l’encens, les bénédictions…) ainsi qu’une discipline emplie de rigueur et d’authenticité.
« Le lien et la dévotion que j’y découvris, unissant la maîtresse de danse à son élève, me marquèrent tout particulièrement. »
De façon plus personnelle, comment ressens-tu la danse ?
Au-delà d’une simple pratique, « je me sens investie d’un rôle, celui de pouvoir contribuer à la préservation de notre culture et à la pérennité de cet art dans le respect et la notion de sacré ».
Pourrais-tu expliquer en quelques mots les cinq gestes pour les néophytes ?
La danse se construit autour de cinq gestes de bases qui forment le cycle de la vie :
Le premier geste avec l’index vers le haut simule une tige de fleur. Cette fleur se transformera ensuite en bourgeon
Ce dernier éclora et s’ouvrira en fleur au contact de la lumière (les doigts sont alors resserrés, mais ouverts, tels les pétales)
Lorsque le majeur se coince à l’intérieur du pouce et les autres doigts restant relevés, cet ensemble forme une boule représentant le fruit
Puis ce dernier tombera et laissera place à une feuille
Le cycle de la vie ainsi s’achève.
Ces cinq gestes de bases, selon leurs positions par rapport à notre corps, exprimeront alors des sentiments, des gestes, qui assemblés, s’enchaîneront et permettront de raconter une histoire. On répertorie aujourd’hui plus de 4500 postures.
Tu évolues notamment au sein de trois associations. Décris-nous chacune d’entre elles ainsi que le rôle qui t’est imparti
Ma 1re, SELAPAK KHMER, est celle du cœur. Elle se veut familiale et permet le partage de notre culture au sens large. J’y évolue depuis mes quatre ans ; elle y permet d’explorer aussi un côté de la danse moins mis en avant tels des projets de mémoire avec la maîtresse Neak Kru MAM Kanika.
Ma 2e, TEP MONOROM, a été créée il y a trois ans. Il s’agit d’une troupe de désormais plus d’une trentaine de danseurs (dont je fais partie) dirigée par la dernière des cinq danseuses étoiles existantes au monde, Chap Chamrœunmina, désignée par feue notre Altesse Royale la Princesse Buppha Devi. J’ai notamment incarné le personnage principal dans l’Épopée de la déesse Kolyaneï Tévi lors de notre représentation au théâtre de Bourges, avec une première mondiale : l’utilisation de couronnes auréolées.
La 3e association est la mienne. Elle se nomme INDRADEVI Beaux-arts du Cambodge. Elle a pour but de soutenir les arts de tradition classique du Cambodge jugés en péril, pour la préservation et leur valorisation à travers la recherche de fonds.
N. B. Je gère et arbitre les projets dans les deux premières associations.
Ton année 2023 fut également mémorable sur plusieurs points. Parle-nous des temps forts durant cette période
Mon emploi du temps s’avère de ce fait extrêmement chargé et donc minutieusement géré. Avec entre 20 et 30 spectacles par an, je dirais que les temps forts furent :
Les 100 ans des Amis du Musée national des Arts Asiatiques Guimet
Les représentations en Suisse
Le grand ballet donné aux USA suite à un projet d’échange, un voyage fort en émotions (projet d’hommage réunissant la génération de ma maîtresse de danse pour honorer la mémoire de leur maîtresse disparue) au Cambodge avec nos troupes respectivement françaises et américaines
Mon rôle principal dans le Ballet Kolyaneï Tévi de Tep Monorom
Suite à toutes ces aventures, rencontres et performances, quels seraient tes souhaits pour les trois prochaines années ?
Soutenir la création et la coopération artistiques, mais aussi développer des projets de valorisation pour une meilleure connaissance de la danse et des arts de tradition classique tels que le théâtre d’ombres.
Enfin, quels précieux conseils prodiguerais-tu à de jeunes enfants/filles/femmes, qui désireraient s’initier à la Danse classique khmère ?
Je conseille toujours d’essayer plusieurs écoles de danse pour sentir celle où on se sent le mieux en fonction du ressenti et de la connexion que nous pouvons avoir une maîtresse de danse.
La danse est par ailleurs accessible à toutes sans critère d’âge, de morphologie et de prérequis concernant la souplesse. Nous pouvons acquérir très vite des bases quand le plaisir est là et que l’on se sent bien avec la maîtresse de danse !
Propos recueillis par Chantha R (Françoise Framboise)
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